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La Marseillaise et les petits Varois

vendredi 15 juillet 2005
par Saint-Just
Le 14 juillet, c’est toujours folklo. Malgr� toutes ces parades militaires qui monopolisent les festivit�s et nous imposent les commentaires audacieux d’un Jean-Claude Narcy en grande forme, c’est le moment d’entonner une belle Marseillaise, ou de l’emballer lors du bal populaire.

LES Anglais perfides ont eu � la fois les Jeux Olympiques et les attentats, la guerre en Irak et la pr�sidence de l’Union europ�enne. La France se doit de relever la t�te. Trop de Trafalgar, trop de Waterloo, et voil� un Premier Ministre qui nous parle de Cent Jours. Tout cela fleure bon la d�faite en rase campagne. Pourtant la droite actuelle n’a eu de cesse de proclamer haut et fort sa volont� de moderniser notre pays pour le rendre plus fort. Et, sous les yeux paresseux d’une gauche interdite, elle a d�ploy� ses muscles. Elle a �galement renou� avec ses extr�mes. Le tout au son, pas toujours accord�, de la Marseillaise.

Les armes du citoyen

En janvier 2003, l’UMP d�cida de r�primander les outrages faits « au drapeau tricolore et � l’hymne national » � hauteur de 7500 euros d’amende et de six mois de prison dans le cas d’un affront en r�union. L’auteur de cet amendement n’est autre que Rudy Salles. Le Syndicat des avocats de France restait � l’�poque « confondu devant tant de b�tise », estimant que cette initiative relevait « d’une volont� identitaire plus que franchouillarde et nous [ramenait] au temps des tribunaux militaires et de l’infraction d’insulte au drapeau » [1]. Le Ni�ois faisait donc preuve de z�le, peut-�tre de peur que ses concitoyens ne demandent leur rattachement � l’Italie. « Quoi ! Des cohortes �trang�res/ feraient la loi dans nos foyers ! ». Non, leur r�pondait hardiment Rudy.

Dor�navant l’hymne sera appris dans les petites classes. C’est la loi du 19 f�vrier 2005. Une proposition de loi du d�put� UMP J�r�me Rivi�re (Alpes-Maritimes) rend obligatoire l’apprentissage de la Marseillaise � l’�cole primaire. « L’�cole de la R�publique est attach�e � des valeurs mais aussi � des symboles dont l’hymne national fait partie comme le drapeau », expliquait-il au d�but de l’ann�e. Il comptait m�me r�pondre par son amendement, attention tenez-vous bien, « ï¿½ l’enjeu de l’assimilation des populations ext�rieures venues sur le territoire national » [2]. Outre l’aspect quelque peu d�magogique de la mesure, il peut �galement para�tre incongru de faire apprendre La Marseillaise sans apprendre L’Hymne � la joie alors que l’on se targue en plus haut lieu d’�tre un fervent europ�en.

"Marchons, marchons" qui disaient (Image JPEG) Il n’est m�me pas certain que ces messieurs de l’UMP veuillent faire vibrer la fibre patriotique dans un but d’exaltation du civisme. A moins que nous ne parlions pas du m�me, de civisme, car l’�ducation r�publicaine se r�v�le immanquablement ambigu�. En ce d�but de XXIe si�cle, dans une France que nos politiques d�crivent comme en manque de coh�sion sociale, fractur�e m�me, l’id�e de faire de nos bambins de bons citoyens attach�s � la communaut� nationale pourrait �tre consid�r�e comme bonne. Il n’en est rien. Il ne suffit pas de savoir d�clamer la main sur le coeur que « le jour de gloire est arriv� » pour �tre un citoyen conscient. Tout comme il ne suffit pas de glisser (ou de ne pas) glisser son bulletin dans l’urne pour se sentir affranchi pour la dur�e de la mandature de tout engagement civique. Pour que la Marseillaise ne devienne pas le chant des bras tendus, il faut certainement que les �l�ves apprennent plus que de simples paroles et en comprennent la signification. Les lyc�ens apprennent lors de leurs cours d’Education civique, juridique et sociale ce que signifie la citoyennet� dans ses dimensions sociale, �thique et politique. A la sortie des classes, ils mettent en oeuvre les principes d’engagement dans la vie de la cit� et re�oivent, en guise de bons points, des coups de matraques.

Depuis longtemps le sens de notre hymne nous �chappe. M. Agulhon raconte qu’un certain 13 octobre 1893, Toulon accueille l’escadre russe. « La c�r�monie officielle d’accueil est grandiose. Grands frais de tirs de canons, de parades, de fleurs, de drapeaux... Grands frais de culture : Jean Aicard, de Toulon, mais de notori�t� d�j� nationale, lit une ode � la Russie. (...) Surtout, la ville amplifie l’accueil officiel par son enthousiasme. Les autorit�s municipales, le commerce, tout un peuple enfin, habitu�s � vivre de la flotte fran�aise, de ses pompes et de ses oeuvres voient dans l’accueil � l’escadre russe la reprise en plus solennel des �clatantes revues navales du 14 juillet. Donc tout s’encha�ne, grand bal de 5000 invit�s dans l’arsenal, banquets � terre et � bord des navires, soir�es au th��tre, corsos fleuris. Les marins russes descendus � terre en permission sont choy�s, embrass�s, invit�s, pouss�s-accompagn�s dans les caf�s, les restaurants et autres lieux que l’on devine. (...) Politiquement cela ne va pas sans contradiction. La R�publique se renforce, mais gr�ce � une alliance avec un despote. Le fugace plaisir que l’on peut ressentir � voir le tsar se mettre au garde-�-vous pour entendre une Marseillaise qui est tout de m�me un cri de guerre contre « les tyrans » s’accompagne de l’inconv�nient plus durable de la solidarit� en plus basses et plus concr�tes besognes. La police fran�aise devra surveiller de pr�s les r�volutionnaires russes ou allog�nes r�fugi�s en France » [3].

Marseillaise d’Etat contre Marseillaise populaire, Marseillaise conservatrice contre Marseillaise progressiste, � nous de choisir.

Qu’un sang impur abreuve leurs sillons

Gauche et droite d’aujourd’hui peuvent se retrouver sur le caract�re autoritaire de La Marseillaise. La droite parce que cet hymne serait le ciment d’une nation debout, rassembl�e derri�re son chef, pr�te au combat. La gauche, pour les m�mes raisons, mais dans une posture d’opprim�e. Mme Voynet, dans un acte de bravoure comme seuls en sont capables les s�nateurs, avait propos� la constitution d’un groupe de travail « pour r��crire ou pour compl�ter notre hymne national par des paroles moins belliqueuses et plus adapt�es � notre temps ». Elle n’avait pas tort : la version officielle adopt�e en 1887 �tait et reste fortement mena�ante, sans se soucier de la mort de nos ch�res t�tes blondes qui en toute logique devaient retrouver la poussi�re et la trace des vertus de leurs a�n�s, « Bien moins jaloux de leur survivre/ Que de partager leur cercueil ». Th�me du bonheur post-mortem que l’on retrouve dans le Chant des Partisans. Les R�sistants marchaient, tuaient, crevaient. « Chacun sait/ Ce qu’il veut, ce qu’il fait/ Quand il passe/ Ami, si tu tombes,/ Un ami sort de l’ombre/ A ta place./ Demain du sang noir/ S�chera au grand soleil/ Sur les routes ». Et les compagnons chantaient, et dans la nuit, la libert� les �coutait...

A �couter notre hymne guerrier qui apprend aux jeunes g�n�rations � abreuver leurs sillons d’un sang impur (que l’ennemi soit ext�rieur ou int�rieur), on peut se douter des ravages que l’application de tels couplets provoquerait dans les �coles : hausse du suicide (altruiste, cela va sans dire), x�nophobie l�gitim�e. Bref de quoi d�piter un Renaud, pourtant encore jeune et sans alcool, qui d�clamait au d�but des ann�es 1980 : « J’peux pas encaisser les drapeaux / Quoiqu’le noir soit le plus beau / La Marseillaise m�me en reggae / �a m’a toujours fait d�gueuler / Les marches militaires �a m’d�glingue / Et votre r�publique moi j’la tringle / Mais bordel o� c’est qu’j’ai mis mon flingue ? ».

les choristes version grosse caisse (Image JPEG)

Les Toulonnais ont pu, au moins une partie d’entre eux, avoir un peu la gerbe lorsque, le 14 juillet 1995, d�filaient les militaires sous les saluts satisfaits d’une triplette perch�e sur son estrade : Jean-Marie Le Chevallier (�lu r�cemment maire de Toulon), Jean-Marie Le Pen (invit� en sa qualit� de pr�sident du groupe FN de la r�gion Provence-Alpes-C�te d’Azur), et Jean-Charles Marchiani (� l’�poque pr�fet du Var). Toulon �tait la « vitrine du Front national ». Devant la tribune officielle, une vingtaine de femmes voil�es en noir se sont post�es bien en vue avec une pancarte qui portait pour inscription : « Veuves toulonnaises des valeurs r�publicaines. » On en appelait alors aux valeurs de la R�publique, peut-�tre pas de la France. Question de vocabulaire, question de m�moire.

Libert�, libert� ch�rie

D�j� Charles P�guy parlait d’une Marseillaise « disqualifi�e aupr�s des socialistes r�volutionnaires par la faveur des bandits nationalistes » mais avait assist� � sa r�appropriation par le peuple � la faveur d’un tournant historique dont l’avenir de la R�publique d�pendait. Ce jour-l�, le 19 novembre 1899, le capitaine Dreyfus avait �t� condamn� par le tribunal militaire de Rennes mais graci� par le pr�sident Loubet. « Je n’oublierai jamais ce qui fut le plus beau de la journ�e : la descente du faubourg Antoine (...). Le soir descendait, la nuit tombait. Tous ignorants que nous soyons de l’histoire des r�volutions pass�es, qui sont le commencement de la prochaine R�volution sociale, nous connaissons tous la gloire de l�gende et d’histoire du vieux faubourg. Nous marchions sur les pav�s dans cette gloire. (...) Rien ne distinguait plus le cort�ge et les spectateurs. Le peuple descendait dans la foule et se nourrissait d’elle. On rechanta la vieille Marseillaise (...) Tout le faubourg descendait, dans la nuit, en une pouss�e formidable, sans haine » [4].

(Image JPEG) Ce mouvement de balancier qui fait que la gauche a tendance � c�der l’hymne trop national � la droite avant de se le r�approprier quand l’avenir du pays l’exige est r�current. Le Front populaire effectua cette alliance entre le peuple et la Nation, et ce d�s les l�gislatives de 1936. « Nous communistes, qui avons r�concili� le drapeau tricolore et le drapeau rouge de nos esp�rances, nous vous appelons tous, ouvriers, paysans et intellectuels, jeunes et vieux, hommes et femmes, vous tous le peuple de France, � lutter avec nous » (Maurice Thorez, le 17 avril 1936) [5]. Quatre ans plus tard, le r�gime de Vichy renia la Marseillaise. Bref les bras cass�s du parti majoritaire aujourd’hui, en l�gif�rant sur l’apprentissage d’un chant r�volutionnaire en classes primaires, s’approprient un lieu de m�moire qui n’a pas toujours �t� le leur.

En dehors des limites hexagonales, la Marseillaise accuse cette m�me dualit� : celle qui fait de ce chant guerrier l’instrument des conqu�tes coloniales, mais en m�me temps un exemple de libert� pour ces m�mes nations opprim�es. Quand Napol�on envoya Rochambeau reconqu�rir l’�le de Saint-Domingue (actuelle Ha�ti) et y r�tablir l’esclavage, c’est la masse servile qui a vaincu, au chant de la Marseillaise, � Verti�res le 18 novembre 1803, des troupes fran�aises m�dus�es. Plus proche de nous, les �v�nements du Chili entre 1970 et 1973. Les militants de Salvador Allende d�filaient dans les rues en entonnant aussi bien l’Internationale, El pueblo unido ou la Marseillaise — signe d’attachement � la R�volution fran�aise. Comme le fait remarquer M. Agulhon « certes, c’est la R�volution dans sa lecture la plus lib�rale, celle de l’ann�e 1789, du Serment du Jeu de Paume, de l’apostrophe de Mirabeau, de la prise de la Bastille mais aussi de la F�te (ir�nique) de la F�d�ration - toutes choses dont on per�oit surtout aujourd’hui la mod�ration (par rapport � 1793) mais dont les contemporains conservateurs sentaient bien le caract�re... r�volutionnaire. »

Si bien que, oui, nous pouvons chanter La Marseillaise, mais pas avec tout le monde.

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[1] Le Monde, le 26 janvier 2003.

[2] Le Canard Encha�n�, 23 f�vrier 2005.

[3] Maurice Agulhon, La R�publique, Paris, Hachette, 1990, pp. 140-141.

[4] Charles P�guy, Cahiers de la Quinzaine, cit� dans M. Agulhon, op. cit., p.166.

[5] cit� par Fabrice Abbad, La France de 1919 � 1939, Paris, A. Colin, 1996. Les r�sultats all�rent, pourrait-on dire, au-del� de l’esp�rance des petits p�res staliniens puisque nombre de militants d�sob�irent aux pacte Moscou-Berlin de 1939.

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