PARCE qu’il faut bien dire qu’avant, �a n’�tait pas comme �a. Avant, �a craignait un peu, il fallait se m�fier. Force est de constater qu’on nous racontait parfois des salades. Ou alors, pire : on ne nous disait rien.
Dans cet article, nous allons d’ailleurs revenir sur ce mois d’avril 2005 qui, par quelques �v�nements successifs, porte un �clairage �blouissant sur la pi�tre consid�ration dans laquelle l’Etat, en sa branche arm�e, tenait jadis son petit personnel et le reste du monde. Avant. Avant la prise de conscience, avant le souci de faire de l’industrie militaire une activit� durablement respectueuse des hommes et de leur cadre de vie. Avant la charte de l’environnement. Avant le BVQI et la certification (voir ici, l� ou l�, par exemple).
Tout ce qui suit n’est donc plus que reliquat de mauvais souvenirs.
Commen�ons par la d�cision judiciaire du 22 avril relative � l’agonie du porte-avions Cl�menceau : la Cour d’appel de Paris ordonne � l’Etat de produire le contrat qui l’unit � la soci�t� choisie pour organiser le d�samiantage du Clem. Un document dont personne - except� les contractants - ne conna�t les termes, ce qui n’avait pas emp�ch� le TGI de Paris de d�bouter les deux associations plaignantes, Ban asbestos et Andeva [1], lors d’une premi�re proc�dure en r�f�r�.
Les juges ont cette fois-ci estim� « que le contrat sign� le 23 juin 2004 m�ritait d’�tre publi� pour trancher le d�bat entre l’Etat et les associations sur la dangerosit� du chantier � venir » (voir plus bas). Constatant que l’Etat n’a pas su �tayer l’all�gation selon laquelle le contrat rel�verait du "secret de l’industrie et des affaires", les magistrats ont port� l’estocade en indiquant que « le march� [...] �tait [de toute fa�on] soumis � l’origine � une proc�dure d’appel d’offres [...] qui a entra�n� l’�tablissement d’un cahier de charges auquel tout int�ress� pouvait avoir acc�s » [2].
L’application du contrat est cependant maintenue : sans nouvelle d�cision judiciaire, le b�timent finira ses jours dans un port indien. Mais l’Andeva, qui consid�re que la France ne peut se d�barrasser ainsi de ses poubelles, sauf � se trouver en contradiction avec sa propre l�gislation, la r�glementation europ�enne et la convention de B�le sur les d�chets toxiques, compte saisir le TGI de Paris "sur le fond" pour obtenir la suspension du processus. « Les associations affirment que le Cl�menceau rel�ve du r�gime des d�chets dangereux, tandis que l’Etat a soutenu devant la cour que l’ancien porte-avions, toujours stationn� � Toulon, devait se voir appliquer les dispositions relatives au mat�riel de guerre » [2].
Toujours � propos d’amiante : le 7 avril, 12 anciens salari�s de la Direction des Chantiers Navals de Brest portaient plainte contre X pour "coups et blessures involontaires". « Ces plaintes au p�nal sont les premi�res concernant la DCN, un des principaux utilisateurs d’amiante en France », selon un avocat des plaignants [3]. « D�s 1950 des notes internes au chantier naval faisaient �tat des dangers de l’amiante et aucune mesure de protection n’a �t� prise ».
Les ex-salari�s sont aujourd’hui membres de l’Addeva du Finist�re, une association [4] comptant pr�s d’un millier de personnes qui se battent pour obtenir des indemnisations de leurs anciens employeurs. Pour le tiers d’entre elles, cet employeur fut la DCN. 200 dossiers ont ainsi �t� �tudi�s par le tribunal des affaires de s�curit� sociale de Brest, qui reconna�t la faute de la Direction des Chantiers Navals, « mais la DCN fait toujours appel et la cour de Rennes diminue nos indemnit�s », d�plore le pr�sident de l’Addeva. « Psychologiquement, c’est tr�s dur. Depuis quatre ans, 85 de nos adh�rents sont morts de l’amiante » [3].
Changeons de registre. Le 12 avril, la CGT-DCN obtenait du minist�re de la D�fense la mise en place d’un "suivi m�dical personnalis�" pour les salari�s ayant travaill� depuis 1972 sur le site de l’Ile-longue, en face de Brest. C’est l� qu’on stocke et qu’on bichonne les t�tes nucl�aires destin�es aux missiles embarqu�s sur les SNLE (Sous-marins nucl�aires lanceurs d’engins), apr�s livraison par le CEA (Commissariat � l’Energie Atomique).
« La CGT avait r�clam� une enqu�te �pid�miologique apr�s la reconnaissance officielle du lien entre le d�c�s d’un salari� et une exposition � des rayons ionisants par le service des pensions du minist�re » [5]. Comme dans le cas de l’amiante, les responsables ont n�glig� de mettre en oeuvre les protections appropri�es malgr� la connaissance du danger. Selon la CGT, le minist�re de la D�fense se serait « engag� � faciliter les d�marches administratives pour, en cas de besoin, faire officiellement reconna�tre comme maladie professionnelle une affection li�e � l’exposition aux rayonnements ionisants � l’Ile Longue, ainsi que la faute inexcusable de l’employeur » [5].
Le suivi m�dical pourrait concerner quelques centaines de salari�s, y compris des retrait�s. L’un d’entre eux est mort en janvier 2002 � l’�ge de 50 ans d’une "leuc�mie aigu� my�lo�de" apr�s avoir travaill� pendant une trentaine d’ann�es au service pyrotechnie de l’Ile Longue. La CGT indique que d’autres cas de maladies ont �t� signal�s.
Pour conclure.
Dans les ann�es cinquante, manipuler l’amiante ne pr�sentait aucun danger.
C’est sans doute pour cela que la DCN n’encourageait pas ses salari�s � porter une protection appropri�e.
Dans les ann�es soixante-dix, travailler sur le site de l’Ile longue ne pr�sentait aucun danger. A tel point que la DCN n’encourageait pas ses salari�s � porter une protection appropri�e.
Dans les ann�es 2000, le nucl�aire militaire pr�sente encore moins de danger qu’avant. C’est pour cela qu’on ne distribue pas de pastille d’iode aux riverains. Et c’est pour cela que le Minist�re de la d�fense a c�d� � la ville de Toulon, sans �tat d’�me, un bout de terrain situ� en lisi�re de l’arsenal, � 2 secondes � vol de gabian du quai o� sont ammar�s les sous-marins nucl�aires et leurs petits r�acteurs individuels. Dans cet espace que de sombres r�actionnaires - n�anmoins experts de l’am�nagement du territoire - ont qualifi� de "zone d’urgence nucl�aire" sur les plans d’urbanisme, s’�l�vera bient�t un centre sportif destin� � accueillir les enfants des �coles. Malgr� les prescriptions de la loi Bachelot sur les nouvelles constructions � proximit� des zones sensibles.
Pardon ? Vous dites qu’on l’a d�j� racont�e de nombreuses fois, cette histoire ? Et bien on la raconte encore.
Vivement 2020 !