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LETTRE D'INFORMATION |

88 �coles, quelle mixit� sociale ?

dimanche 12 mars 2006
par Denis Collet
Un rapport "confidentiel" des Renseignements G�n�raux voit dans les �meutes de novembre « une insurrection non organis�e », d’abord aliment�e par « un fort sentiment identitaire ne reposant pas uniquement sur l’origine ethnique ou g�ographique, mais sur la condition sociale d’exclus de la soci�t� fran�aise » [1].
Depuis Jules Ferry, l’�cole est la premi�re institution o� se jouent l’int�gration et l’adaptation des petits citoyens aux valeurs de la R�publique. A quoi ressemble la mixit� sociale sous les pr�aux ? Comment les enfants sont-ils r�partis entre les �tablissements du primaire ? Cuverville liste quelques m�canismes � l’oeuvre dans le syst�me �ducatif fran�ais en analysant plus sp�cifiquement la situation toulonnaise.

LA nostalgie a la peau dure. Des experts mandat�s par l’INSERM [2] r�inventent le d�terminisme biologique en cherchant dans « le temp�rament et la personnalit� » du quasi-nourrisson la raison de ses « troubles des conduites » � l’�ge adulte. La phr�nologie, l’eug�nisme et le dix-neuvi�me si�cle ne sont plus tr�s loin [3]. Et certains l�gislateurs connus pour leurs id�es progressistes saluent le travail de ces dignes repr�sentants de la Recherche fran�aise.

Plus s�rieusement, un rapport command� par le Ministre de l’Education nationale [4] tente d’expliquer pourquoi la concentration scolaire d’enfants issus de m�mes milieux sociaux peut devenir un handicap, nuire � leur future int�gration et g�n�rer de la violence. Le rapporteur pose la question suivante, sans laisser de doute sur la nature de la r�ponse : « l’inculcation d’une "culture civique" qui rattache chaque citoyen [...] � une m�me nation et aux valeurs r�publicaines et d�mocratiques qui la fondent peut-elle encore avoir la moindre signification lorsqu’elle s’exerce dans des �tablissements o� se r�percutent toutes les s�gr�gations — �conomiques, sociales, ethniques, religieuses, culturelles — qui caract�risent le quartier dans lequel ils sont implant�s ? » Une pr�cision s’impose : « les s�gr�gations ne se situent pas seulement dans les banlieues dites "difficiles". Tel �tablissement de centre ville, public ou priv�, fr�quent� par les enfants des familles les plus ais�es peut pr�senter les m�mes types de probl�mes et induire des comportements d�viants, certes sp�cifiques, mais du point de vue d’une �ducation civique, tout aussi inqui�tants ».

Pas besoin d’�marger � l’INSERM pour constater que l’absence de mixit� sociale favorise le communautarisme, le repli sur soi, le racisme et, partant, certains « troubles des conduites ».

Le constat n’est pas brillant. Toutes les �coles de la R�publique ne sont pas repr�sentatives de toutes les strates sociales de la R�publique, c’est une �vidence. Et � Toulon, la mixit� sociale ne peut pr�tendre s’exprimer que dans les �coles des quartiers o� cette mixit� existe.

Inscrire le minot � l’�cole.

« La commune a la charge des �coles publiques », dit l’article L212-4 du code de l’Education. Cela signifie entre autres que l’inscription des �coliers est g�r�e par la Ville. « En fait, l’attitude des communes peut varier du dirigisme le plus strict au laisser-faire le plus complet » [4]. La situation toulonnaise correspond � ce deuxi�me cas de figure : l’inscription est laiss�e � l’appr�ciation du directeur de l’�cole qu’auront choisi les parents pour leur prog�niture. Sur le principe, cette �cole peut se situer � l’autre bout de la ville. La sectorisation, c’est-�-dire le d�coupage en zones pr�cises (tu habites ici, ton gamin sera donc scolaris� dans tel �tablissement), n’existe pas. Cadre institutionnel, la sectorisation pourrait pourtant agir comme promoteur de la mixit� sociale � condition bien s�r qu’elle soit am�nag�e en ce sens.
Sous pr�texte de laisser la libert� aux parents d’inscrire leurs enfants o� ils le d�sirent, certaines municipalit�s — dont Toulon — �vitent bien soigneusement de s’int�resser au probl�me. La sectorisation s’inscrit dans une d�marche politique volontariste qui contrarie forc�ment les �lecteurs les plus avertis. Il se trouve que les �lecteurs les plus avertis sont souvent les plus oppos�s � l’h�t�rog�n�it� des classes.
Bien au fait de la veulerie des maires, H�brard pr�conise « de confier la pr�paration de la sectorisation � une instance de discussion mettant en jeu les diff�rents partenaires (mairie, enseignants, familles, partenaires associatifs...) »

En attendant et pour garantir un certain �quilibre, les directeurs doivent donc s’entendre entre eux. Selon l’avis des professionnels avec lesquels nous nous sommes entretenus, cela se passe g�n�ralement en bonne intelligence. Mais il y a des contre-exemples : telle �cole de l’Est toulonnais �tait jadis le symbole de la mixit� car situ�e � la fronti�re d’une cit� HLM et d’une zone r�sidentielle. Le directeur de l’�cole la plus proche se mit en t�te d’�largir son cercle de recrutement g�ographique "naturel" et attira ainsi progressivement tous les gamins de la zone r�sidentielle au d�triment de l’�tablissement voisin. Le "symbole de la mixit�" est ainsi devenu "l’�cole du HLM"...
Il faut dire que le syst�me peut faciliter les d�rives. Pour assurer leur mission — et cela demande une certaine abn�gation —, les directeurs b�n�ficient d’une r�mun�ration adapt�e et de d�charges horaires [5] qui augmentent avec le nombre de classes de l’�cole. Cela va du quasi-b�n�volat (moins de 5 classes) � la d�charge compl�te (14 classes et plus). Mais c’est mal foutu, non proportionnel, il y a des paliers qu’on peut �tre tent� de franchir pour souffler un peu. Sch�matiquement : en acceptant plus d’�l�ves que l’�cole ne peut th�oriquement en recevoir, un directeur pourra faire pression sur l’Inspection Acad�mique [6] pour ouvrir une classe suppl�mentaire gr�ce � laquelle il acc�dera � une "tranche" sup�rieure.

Il convient d’affirmer que les acteurs principaux de la s�gr�gation sont les parents. Quand la soci�t� ne d�finit pas un cadre pr�cis et rigoureux pour le vivre-ensemble, c’est le chacun-sa-merde qui s’organise. Quoi de plus "naturel" que de vouloir le meilleur pour son gamin, demande le parent d’�l�ve qui craint de voir son fils rackett�, corrompu par les dealers, cr�tinis� au contact des classes sociales d�favoris�es ?
Propos rapport�s du directeur d’une �cole toulonnaise situ�e dans un quartier bourgeois : « les parents � qui je dis que je ne peux pas accepter leur minot parce que je d�passe l’effectif vont le foutre dans le priv�. Je suis bien oblig� de le prendre ! » Et c’est par effet d’entra�nement, sur l’environnement urbain ou la qualit� pr�sum�e d’une �quipe p�dagogique, que se cr�ent les d�s�quilibres et se font les r�putations, que telle �cole est d�sert�e par les couches sup�rieures au profit de telle autre. A mort l’h�t�rog�n�it� (des niveaux, des cultures, des couleurs, etc.) !
Nous pointons l� les parents des milieux les plus favoris�s. Les autres ignorent pour la plupart les m�canismes et sont sans doute moins pr�occup�s par le m�lange. Et comme ce ne sont pas les �lecteurs les plus fid�les, ils passeront facilement pour des citoyens de seconde zone aux yeux de la municipalit�.

Cr�er la mixit�, ce n’est pas m�langer la difficult� sociale et la tr�s grande mis�re sociale.

La Valbourdine est un foyer toulonnais pour jeunes gens en p�ril : le fond de la mis�re affective et sociale avec tout ce que cela peut induire de « troubles des conduites ».
Les minots de ce foyer �taient encore r�cemment scolaris�s sur place � raison de 5 ou 6 �l�ves par classe et presque autant d’adultes pour les encadrer, en comptant le ma�tre. L’Inspecteur de l’Education Nationale responsable du secteur a d�cid� de supprimer ces classes en chantant "l’int�gration" : ces enfants seraient bien mieux dans une �cole "normale" avec des gamins "normaux" au contact desquels ils pourraient se policer [7]. La mairie a donn� sa b�n�diction [8]. R�sultat : les deux �coles les plus proches du foyer ont r�cup�r� la vingtaine de minots, dont 12 pour le seul petit �tablissement du Fort Rouge qui ne disposait que de 4 classes pour les accueillir. Sachant que la population alimentant l’�cole n’est d�j� pas franchement favoris�e � la base, le Fort Rouge se retrouve dans une situation critique ; les ma�tres sont d�bord�s mais qu’importe, les parents d’�l�ves ne se plaindront pas.

Rive droite, rive gauche.

On a vu comment naissent les d�s�quilibres au sein d’un m�me quartier. Le rapport H�brard pr�conise de « casser la concurrence entre deux �coles proches en les rassemblant dans une m�me unit� de sectorisation (plus vaste et donc plus h�t�rog�ne) et en r�partissant dans chaque b�timent les niveaux successifs (le cycle 2 de l’�cole �l�mentaire dans l’un, le cycle 3 dans l’autre) » [4].

La mixit� sociale doit aussi composer avec la concurrence des �coles priv�es.
Quelle motivation certains parents trouvent-ils � inscrire leurs enfants dans un �tablissement sous contrat, quand les �coles publiques ne manquent pas ? La tradition, un peu, et la peur du m�tissage social, beaucoup. C’est dans les traditions de la Royale, par exemple, de consid�rer qu’un bon enseignement est un enseignement avec un crucifix au dessus du tableau. C’est dans les traditions de certaines professions lib�rales de consid�rer que les enfants m�ritent mieux que le m�tissage social. Or on trouve une forte densit� d’officiers de Marine, de toubibs et autres notables dans les quartiers toulonnais du Mourillon et du Cap Brun. Les �coles priv�es n’y manquent pas. L’�cole �l�mentaire publique du Port Marchand situ�e entre les jolies maisons du Mourillon et une cit� HLM limitrophe, par contre, ferme une classe � la rentr�e prochaine (ce n’est pas la seule). Certains observateurs consid�rent que si la mairie ne s’int�resse pas vivement au probl�me, cette �cole est vou�e � dispara�tre � moyen terme.
« L’h�t�rog�n�it� fait peur. Elle provoque des r�flexes de d�fense qui conduisent souvent au m�pris, � la x�nophobie et au racisme. Les enfants reproduisent rapidement les st�r�otypes des adultes et, quelquefois, les anticipent. Les r�actions de rejets sont le plus souvent r�ciproques. Si l’�cole faillit � l’apprentissage patient de l’acceptation de l’autre, c’est-�-dire de la diff�rence, qui pourra prendre en charge la transmission de cet aspect essentiel des valeurs de notre d�mocratie ? » [4]

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[1] Le rapport des RG date du 23 novembre 2005, des extraits en ont �t� publi�s dans le Parisien ou l’Express, entre autres. Qu’est-ce qu’un rapport confidentiel ? Un rapport dont les bonnes feuilles ne sont publi�es que par un seul journal � la fois.

[2] Institut National de la Sant� et de la Recherche M�dicale.

[3] Extraits d’une version all�g�e du rapport de l’INSERM sur les troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent : « Des facteurs individuels comme le temp�rament et la personnalit� peuvent �tre impliqu�s dans l’apparition, le maintien et la s�v�rit� du trouble des conduites. L’agressivit�, l’indocilit�, et le faible contr�le �motionnel pendant l’enfance ont �t� d�crits comme pr�dictifs d’un trouble des conduites � l’adolescence, ind�pendamment du contexte familial et des pairs. [...] Des traits de caract�re tels que la froideur affective, la tendance � la manipulation, le cynisme, l’agressivit� sont mentionn�s comme associ�s � la pr�cocit� des agressions, la persistance du trouble � l’adolescence et � une personnalit� antisociale � l’�ge adulte ». Chercheur, perds-tu ton sang-froid ?

[4] La mixit� sociale � l’�cole et au coll�ge, rapport pr�sent� par Jean H�brard, mars 2002.

[5] Les directeurs sont avant tout des ma�tres ou des instituteurs, il est donc pr�vu qu’ils enseignent.

[6] La commune g�re le patrimoine et les inscriptions (fa�on de parler...), et l’Inspection Acad�mique fixe le nombre de postes budg�taires, c’est-�-dire le nombre de ma�tres et d’instituteurs.

[7] Notons que le rapport H�brard conteste cette vision des choses.

[8] Elle envisagerait sur le site une op�ration immobili�re. L’assertion est non v�rifi�e mais on peut l�gitimement s’interroger sur les raisons de ce massacre social.

R�pondre � ce message

  • Ca me fait rire ! 23 avril 2006, par
  • 88 �coles, quelle mixit� sociale ? 28 mars 2006, par (1 r�ponse)
  • 88 �coles, quelle mixit� sociale ? 21 mars 2006 (1 r�ponse)
  • sectorisation : fausse solution 14 mars 2006, par (1 r�ponse)


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