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LETTRE D'INFORMATION |

La d�mocratie participative peut ne pas �tre un concept marketing (premi�re partie)

mardi 11 décembre 2007
par Eric Litot

Les Municipales approchent. L’occasion de revenir sur une tr�s int�ressante conf�rence conduite par un sp�cialiste de la d�mocratie participative [1]. David CHIOUSSE, charg� de mission � la mairie d’Aubagne, en explore les principes et leur mise en pratique en s’appuyant — ou non — sur l’exemple de sa ville.

Ce premier article brosse le contexte de la (re)naissance du concept de d�mocratie participative et �num�re les conditions n�cessaires (mais pas forc�ment suffisantes) de son d�ploiement.

LA (re)naissance de la d�mocratie participative

Comment d�finiriez-vous la d�mocratie participative ?

Avant toute chose, je voudrais pr�ciser que toute exp�rience dans ce domaine doit int�grer l’environnement et l’histoire sp�cifiques de chaque commune. Aucune exp�rience ne peut �tre reproduite in extenso.

Je rappellerai ensuite que la d�mocratie participative n’est ni un concept r�cent ni une id�e neuve. Ainsi, l’article 21.1 de La D�claration Universelle des Droits de l’Homme stipule que « toute personne a le droit de prendre part � la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’interm�diaire de repr�sentants librement choisis ». On constate que le terme « directement » �voque d�j� le concept de d�mocratie participative.

Deux conceptions de la d�mocratie participative s’affrontent aujourd’hui :

  1. celle adopt�e lors de la derni�re campagne pr�sidentielle par S�gol�ne Royal, qui consiste � utiliser la d�mocratie participative pour l�gitimer ses positions : « j’�coute les gens, ils me disent que ce que je dis et pense est bien et j’ai donc plus de pouvoir pour mettre en oeuvre mon projet ». C’est de la concertation.
  2. celle que je d�fends, qui travaille sur des valeurs d’�mancipation, de responsabilisation de chacun et de parit� dans le processus (� Aubagne par exemple, 3 composantes majeures clairement identifi�es travaillent ensemble : les �lus, les citoyens, et le service public communal) et qui fait de la d�mocratie participative une des conditions de la transformation sociale.

La d�mocratie participative n’est donc pas un concept neuf. Mais quelles sont les conditions de sa r�surgence ?

Les 25 derni�res ann�es ont vu l’�chec du mod�le l�niniste et communiste sovi�tique, la th�orisation de la Fin de l’Histoire [2] qui a profond�ment model� les esprits dans les ann�es 80, la mont�e d’une nouvelle forme du capitalisme, incarn�e par M. THATCHER et R. REAGAN, l’av�nement de l’id�ologie n�o-lib�rale qui affirme qu’il n’y a qu’une mani�re de concevoir les rapports sociaux, de faire de la politique et de s’engager (c’est l’�conomie de march� et la recherche du profit [3]), les nouvelles technologies qui ont pr�cipit� la d�mat�rialisation de l’�conomie et la mondialisation, la mont�e en puissance des institutions internationales telles que le FMI, la banque mondiale et l’OMC [4], la fin de l’Etat providence dans tous les pays d’Europe [5] au profit d’une mondialisation bas�e sur la concurrence [6].

En parall�le et face � cette mondialisation lib�rale, ont �merg� de nouvelles formes de contestation qui �chappaient aux structures classiques : mouvements sociaux contre la casse des retraites en 1995, cr�ation de coordinations, du syndicat SUD, de la FSU, mont�e en puissance des ONG sur la sc�ne internationale, convergence progressive vers un mouvement altermondialiste comme premi�re forme organis�e de la contestation antilib�rale, apparition de pratiques et de th�mes nouveaux (justice �conomique au niveau international, la question de l’autonomie des peuples, de la protection de l’environnement) qu’on a vu enfin apparaitre dans les campagnes pr�sidentielles.

A partir de l� des formes nouvelles d’organisation du champ politique sont apparues : le fonctionnement en r�seau rendu possible par les nouvelles technologies et la d�mocratie participative � travers l’organisation du processus d�lib�ratif (on participe au processus qui cr�e la d�cision). Ces formes �mergent assez vite dans les ann�es 90 (naissance d’ATTAC en juin 98 [7], premier forum social mondial de Porto Alegre en janvier 2001).

Oui mais pourquoi la d�mocratie participative ?

Le premier forum social s’est tenu � Porto Alegre, ville qui, apr�s avoir �t� conquise par le parti des travailleurs, a d�cid� de construire un autre rapport � la d�cision publique et a mis en place la premi�re exp�rience de budget participatif. Cette exp�rience a �t� pr�sent�e pendant le forum social et a fait quasiment consensus parmi les intervenants. Ceci dit, m�me si ce processus est souvent port�e aux nues, il ne faut pas oublier qu’il s’est d�velopp� dans un environnement particulier : la situation institutionnelle au Br�sil n’a rien � voir avec ce que nous pouvons conna�tre ici. Par exemple au Br�sil, le maire et son premier adjoint sont �lus au suffrage universel alors que le conseil municipal est �lu par les quartiers avec un syst�me tr�s complexe de proportionnelle qui a fait qu’il n’a pas eu la majorit� au conseil municipal. Il a donc �t� oblig� de mettre en place le budget participatif, non pas avec un objectif id�ologique d’associer les gens mais pour construire un rapport de force avec l’opposition et donc imposer les d�cisions qui allaient transformer la mani�re de g�rer la ville.

Depuis lors, certaines ONG altermondialistes se chargent de diffuser les exp�riences sur les budgets participatifs. Des textes et des id�es circulent et d�s 1999/2000, quelques villes en France se lancent dans cette exp�rience. C’est de l� qu’est n�e la coupure entre ceux qui consid�rent que la d�mocratie participative doit strictement renforcer la d�mocratie repr�sentative, et ceux qui s’engagent sur un projet de transformation sociale et de d�passement des limites.

La d�mocratie participative ne se d�cr�te pas

Si une exp�rience de d�mocratie participative ne peut �tre transpos�e d’un environnement � l’autre, existe-t-il tout de m�me des pr�-requis qui conditionnent le succ�s ou l’�chec de la d�marche ?

8 pr�-requis permettent de dessiner le cadre d’une d�marche de d�mocratie participative :

  1. la conviction et la sinc�rit�. Cela est tr�s difficilement mesurable. Par exemple � Aubagne, jamais la population n’a manifest� son d�sir de voir se d�velopper la d�mocratie participative. L’impulsion est toujours venue des �lus. Il faut donc se m�fier de l’�lu qui s’empare d’un concept � la mode pour en faire un nouvel outil marketing. Mais cela se d�tecte g�n�ralement tr�s vite. En effet, une d�cision valid�e collectivement qui n’est pas mise en oeuvre au bout d’un certain temps r�fl�te, soit de nouveaux probl�mes qui n�cessitent de se r�unir � nouveau, soit que l’�lu n’a pas envie de mettre en oeuvre la d�cision. La conviction et la sinc�rit� doit aussi �tre du c�t� des citoyens qui quittent un fonctionnement client�liste — ma petite subvention ou mes 2m� de trottoir — pour s’associer et faire �merger des solutions pour le bien commun et l’int�r�t g�n�ral.
  2. accepter la complexit�. On est plus dans un fonctionnement binaire mais dans des projets qui demandent du temps, de la r�flexion, beaucoup de travail et d’information. Par exemple en France les temps administratifs sont tr�s longs. Pour construire une �cole, il faut 10 ans, un coll�ge, 7 ans. Le citoyen doit donc appr�hender un �ch�ancier � moyen et long terme, et doit aussi accepter pour l’�lu et lui-m�me le droit de se tromper de bonne foi.
  3. la d�mocratie participative doit �tre ancr�e dans des valeurs et dans un projet politique. Aubagne est une municipalit� d’union de la gauche ou communiste depuis 40 ans, avec des �lus qui ont ces valeurs. Si par exemple demain quelqu’un demande � ce que soit cr�� un groupe de d�mocratie participative sur la supr�matie de la race blanche, que fait-on ? C’est bien entendu hors de question. On est sur des valeurs, sur des engagements qui fondent l’action politique. Cela ne se discute pas. Si les Aubagnais veulent en mars prochain changer d’orientation politique, ils ont les �lections pour cela. Apr�s, en fonction de leurs valeurs, les �lus construisent collectivement des projets qui correspondent � ces engagements. C’est particuli�rement vrai sur une question tr�s importante chez nous, celle du logement social. Qui est tr�s contest�e par l’opposition municipale, la droite locale, et qui est un des points forts de l’action municipale : respecter la loi SRU, c’est � dire avoir 20% de logements sociaux dans la ville et m�me un peu plus. L� dessus on ne transige pas. En revanche, quand il y a un projet de construction sociale, on peut discuter avec les riverains des conditions de la r�alisation, des am�nagements � imaginer, la forme urbaine que cela peut prendre... Tout cela est n�gociable et discutable. Mais le principe de construire des logements sociaux, cela n’est pas discutable.
  4. savoir que cette d�marche va produire des transformations fortes que l’on ne peut imaginer au d�part et qu’il faudra accepter. Par exemple � Aubagne, pendant 2 ans les d�cisions issues de la d�mocratie participative avaient du mal � �tre mises en oeuvre. C’�tait valid�, mais on n’arrivait pas � trouver le bon outil pour que les d�cisions soient prises et les travaux engag�s ou les nouveaux services � la population d�ploy�s. Cela a suscit� une r�organisation compl�te des services administratifs de la ville. Cela a �t� tr�s compliqu� car comment demander � une organisation qui en g�n�ral fonctionne de changer ?
  5. ne pas craindre de passer de l’exp�rience � la g�n�ralisation. On commence souvent par des exp�rimentations limit�es, des conseils de quartier, des d�bats sur certains th�mes. Il y a � Aubagne des �lus qui sont en d�saccord avec le principe de d�mocratie participative qu’ils per�oivent comme un hochet inoffensif. Mais si cela marche et qu’il est d�cid� de le g�n�raliser � tous les conseils de quartier, � tous les projets et au budget de la ville, cela coince ! Il ne faut pas craindre de passer de l’exp�rimentation, m�me imparfaite, � la g�n�ralisation. Ceci afin d’�viter qu’une part des d�cisions soit collective et une autre d�di�e aux �lus.
  6. ne pas avoir de fantasmes sur la repr�sentativit�. La d�mocratie participative ne vise pas � la repr�sentativit� qui concerne les �lections et le suffrage universel. On n’a pas � �tre repr�sentatif, � avoir des quotas de quartiers, sexe, ou autres. C’est sur la base d’un engagement citoyen, volontaire et individuel. On a entre 500 et 2000 personnes engag�es dans le processus � diff�rents niveaux : un premier cercle de 300 � 400 vraiment militants, un deuxi�me cercle de 500, 600 personnes qui pratiquent de fa�on �loign�e et un troisi�me cercle, plus large, de personnes qui pratiquent occasionnellement. 2000 sur 43000, ce n’est pas repr�sentatif mais ce n’est pas grave : ils ont la l�gitimit� de l’action. Il faut l’entendre et la respecter d�s le d�part car on ne peut �tre repr�sentatif de la ville, c’est impossible. La repr�sentativit� se construit petit � petit en sortant de l’int�r�t individuel du m�tre carr� de trottoir devant chez soi pour passer au bien commun et � l’int�r�t g�n�ral.
  7. trouver l’articulation entre la d�mocratie participative et la d�mocratie repr�sentative. Les �lus ont un r�le fort. En g�n�ral ils donnent l’impulsion mais il faut penser ce lien. C’est toujours le conseil municipal qui prend les d�cisions. On reste dans un cadre l�gal, on vote un budget dans les limites de temps qui nous sont fix�es, on a des r�gles mais on n’est pas du tout dans une substitution de la d�mocratie repr�sentative. On est dans une jonction entre les deux.
  8. la d�mocratie participative doit construire un pont avec le monde. On ne doit pas s’enfermer dans une forteresse et dans des pr�occupations �troites. C’est ce qui a fait grandir le mouvement altermondialiste : l’id�e du local au global. Le protocole de Kyoto a par exemple un impact sur la gestion d’une ville. Quand l’entreprise multinationale Nestl� d�cide de fermer le site de Saint-Menet, cela a un impact sur la ville d’Aubagne (970 salari�s de Nestl� habitaient Aubagne). Il faut accepter d’�tre travers� par ces mouvements-l� et il faut y participer. C’est pourquoi la ville d’Aubagne s’est engag�e dans les mouvements altermondialistes et participe aux forums sociaux en cr�ant les conditions pour que les associations et les syndicats de la ville soient repr�sent�s et transmettent la modeste exp�rience d’Aubagne. En retour, ils glanent de nouvelles id�es qui sont ensuite �tudi�es et soumises au d�bat.
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Seconde partie : l’exp�rience d’Aubagne.

[1] Soir�e-d�bat du 10 juin 2007 organis�e par le Mouvement Citoyen Gard�en

[2] La vision marxiste de l’Histoire d�crit diff�rentes phases id�ologiques, le capitalisme, le socialisme puis le communisme. Les chantres de la Fin de l’Histoire - particuli�rement Francis FUKUYAMA aux EU et Fran�ois FURET en France - voient dans la fin du bloc sovi�tique et de la guerre froide, la preuve de leur th�orie : le communisme terrass�, ne reste que le capitalisme.

[3] Une id�ologie parfaitement r�sum�e par l’acronyme TINA pour There Is No Alternative.

[4] Le FMI est n� en juillet 1947 � la suite de la conf�rence mon�taire et financi�re des Nations Unies de Bretton Woods. Il est cr�� pour reconstruire l’Europe dans un premier temps, puis pour assurer un d�veloppement « harmonieux » dans le monde. Dans le m�me temps, la Banque Internationale pour la Reconstruction et le D�veloppement (BIRD) �galement appel�e Banque Mondiale voit le jour. Elle fonctionnera en bin�me avec le FMI. L’Organisation Mondiale du Commerce est n�e en 1995 et a pour mission la lib�ralisation du commerce des biens et des services � l’�chelle mondiale, lib�ralisation qui doit �tre assortie de la cr�ation d’une juridiction des conflits commerciaux.

[5] Tout risque de r�volution communiste �tant �cart�, il n’est en effet plus n�cessaire de garantir des droits conquis au 19 et 20�me si�cle comme l’�gal acc�s � l’�ducation, � la sant� ou � la protection sociale.

[6] Et pour �tre en concurrence avec un salari� chinois qui gagne 7,5 euros/semaine, il faut se lever de bonne heure.

[7] La premi�re �vocation d’ATTAC date de l’�ditorial du Monde Diplomatique de d�cembre 1997 d’Ignacio Ramonet.

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