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Le mus�e du Pr�sident

dimanche 17 septembre 2006
par Gilles Suchey
Enfin ! La soir�e diapo d’un r�dacteur de Cuverville parti en vacances reportage dans un lieu improbable !

YAMOUSSOUKRO n’�tait qu’un petit village rougi de lat�rite quand le plus c�l�bre de ses fils, F�lix Houphou�t-Boigny, d�cida d’en faire la capitale de la C�te d’Ivoire. Des rues larges comme des autoroutes furent trac�es � la r�gle. On construisit la Pr�sidence sur un vaste domaine appartenant � Houphou�t, prot�g� des curieux par des esp�ces de douves o� batifoleraient crocodiles et tortues carnivores. Et un h�tel 5 �toiles avec son golf et sa piscine et sa salle de squash, sans oublier le piano-bar au dernier �tage. Et des campus, chacun plus �tendu que ne l’�tait le village de Yamoussoukro en 1900 : celui de l’Institut National Sup�rieur d’Enseignement Technique, par exemple, 150.000m� am�nag�s par Bouygues en 1982. Et une basilique plus haute et plus large que Saint-Pierre de Rome. Et un a�roport r�put� "international", sauf que l’h�pital grand format qui aurait pu accr�diter le label est rest� � l’�tat de chambre t�moin : la thune a un peu manqu� sur la fin.

Curieuse introduction, pour un article sur la chiraquie. Quel rapport ? On conna�t le lien d’amiti� habituel, un lien qui ne se mesure pas � l’aune des cadeaux officiels. Car Jacques, h�ritier des plus belles traditions gaullistes, reste un grand protecteur des n�gres. Ainsi, en prenant la peine d’affirmer que « l’Afrique n’est pas pr�te pour la d�mocratie » lors d’un s�jour en C�te d’Ivoire en 1986, il veut rassurer les peuplades indig�nes : vous y en avoir la chance d’�tre conduits par des sages de la trempe de Jah Houphou�t. Il est vrai que parmi les autocrates du pr� carr�, l’ex-ministre d’Etat du bon temps des colonies fait figure d’humaniste �clair�. 1986 : Chirac est alors pr�sident du RPR, un parti politique fran�ais qui a besoin d’argent et va le chercher l� o� il se trouve (les autres font pareil). Or la France aide financi�rement les pays en voie de d�veloppement. Corollaire : les potentats qui les dirigent ont les poches bien garnies, et les �missaires des partis politiques fran�ais y plongent la main avec avidit�. C’est ce qu’on appelle les vases communicants. Merci mon ami et rendez-vous dans quelques mois, pourvu que la d�mocratie ne vienne pas d�r�gler le m�canisme. La loi sur le financement des partis ralentira l’activit� des porteurs de valise � partir de 1990.

A priori donc, aucun rapport. En prenant la peine de s’y arr�ter un peu, on pourra cependant observer quelques similitudes entre Sarran, bourgade du Limousin comptant 300 habitants, et Yamoussoukro, ce village devenu capitale.

Oh bien s�r, le granite du Lot est bien moins rouge que la terre ivoirienne. Et les bonnes mani�res r�publicaines impliquent une certaine retenue dans la m�galomanie et l’extension du domaine pr�sidentiel. Et puis : tout l’argent du pays n’est pas dans la poche d’un seul homme. Et encore : il n’est pas question de faire de Sarran l’�picentre politique de l’Hexagone. La comparaison �tant circonscrite, nous pouvons nous lancer.

Biographie de poche.

Le parisien Jacques Chirac �pouse la parisienne Bernadette Chodron de Courcel en 1956 � l’�ge de 24 ans. Hormis un s�jour militaire en Alg�rie, l’essentiel de ses activit�s se concentre en Ile de France : ENA, sciences Po, cabinets minist�riels.
Le roturier n’oublie pas ses racines paysannes en Corr�ze. Il est �lu conseiller municipal de Sainte-F�r�ole en 1965, bled o� ses grand-parents faisaient les cultivateurs, et devient d�put� du canton d’Ussel deux ans plus tard. Roturier d’accord mais attention ! J’ai mari� une particule ! Les �poux Chirac ach�tent le ch�teau de Bity en 1969. Le principal d�faut de ce pied-�-terre est de se trouver un peu loin des terres ancestrales. Au revoir Sainte-F�r�ole de mon enfance, bonjour Sarran. Bernadette devient conseill�re municipale en 1971.

Selon de vieux articles parus dans la presse revancharde (L’Huma et le Canard), le ch�teau de Bity est class� monument historique peu apr�s son acquisition par les Chirac (Jacques est alors secr�taire d’Etat aux finances). Cela permet d’obtenir des aides publiques pour la r�novation ou l’entretien. Ensuite, � la fin des ann�es soixante-dix, le couple fait acheter par la fondation Claude Pompidou un terrain de 5 hectares jouxtant la propri�t� pour �viter l’installation d’hypoth�tiques colonies de vacances qui menaceraient la tranquillit� des ch�telains. La fondation aura la d�licatesse de laisser les cinq hectares en friche.

Apr�s toutes ces ann�es d’effort, la tranquillit� des futurs retrait�s semble assur�e. Pour le promeneur qui d�sire voir le ch�teau de Bity, le plus simple est d’acheter la carte postale.

Sarran.

Ici c’est l’ennui. Les arbres, les murs de granite, les mouches et le silence �a va un peu, on s’emmerde assez rapidement. Il y a bien une pomme qui tombe de temps � autre ou une vache qui p�te, mais �a reste trop sommaire pour alimenter les pr�sentoirs d’un office de tourisme. L’activit� commerciale est limit�e � l’�picerie-d�p�t de pain. Pas m�me un troquet o� siffler une Corona.

Une petite route tout juste d�partementale ( ?) descend vers le lieu dit "le Moulin du Cher". Sur la gauche, l’ancien moulin � eau. A droite une caserne d’appoint, o� plantonnent en toute discr�tion des jeunes gens sportifs et vigilants. Il faut bien encadrer les �migr�s de Sainte-F�r�ole.

Mais Sarran c’est aussi — et surtout — le lieu choisi par le fan-club du Conseil g�n�ral de Corr�ze (o� si�ge Bernadette) pour b�tir un mus�e � la gloire du Pr�sident Jacques Chirac. L’�difice a ouvert ses portes en 2000. Facile � trouver : le fl�chage commence depuis l’autoroute.
Qu’est-ce que c’est que ce mus�e ? L’endroit o� sont entrepos�s les cadeaux que le propri�taire du ch�teau de Bity a re�us dans le cadre de son activit� pr�sidentielle avant de les donner au Conseil g�n�ral (o� si�ge Bernadette, qui doit s’occuper de tra�abilit�). 5000 pi�ces en stock, de la maquette de pommier qui s’allume quand tu appuies sur le bouton � la ceinture de sumotori, en passant par des poteries, des bottes de cowboy et autres machins que mamie ne mettrait pas sur sa t�l�vision. De belles oeuvres aussi. Des antiquit�s — le patrimoine des "pays en voie de d�veloppement" continue donc d’alimenter les vitrines des mus�es occidentaux bien apr�s la fin de l’empire.

C’est le mus�e du Pr�sident Jacques Chirac. Attention. Pas le mus�e Georges Pompidou ni le mus�e Val�ry Giscard. Notons que ce dernier aurait certainement �t� sensible aux pr�sents de la famille royale d’Arabie Saoudite, comme ce "faucon sur son perchoir" orn� de 1400 pierres pr�cieuses et semi-pr�cieuses.
Il existe aussi un mus�e Mitterrand dont la vocation est similaire. On ne m�lange pas les torchons re�us � droite avec les serviettes de gauche. Un "mus�e du Pr�sident" tout court n’�tait manifestement pas envisageable.

A quoi servent ces cadeaux que les chefs d’Etat s’�changent en laissant l’initiative du choix aux services protocolaires ? A quoi sert d’exhiber ces objets de plus ou moins bon go�t ? En m�langeant les genres, les oeuvres originales d’artistes de talent et les santons de Provence, de pr�cieuses calligraphies et de grossiers canevas, le mus�e ne consacre rien d’autre que le principe d’accumulation. Chirac dit � Mitterrand : regarde comme ma dimension internationale est plus grosse que la tienne, regarde comme je suis populaire. Mitterrand s’en fout, il est mort.

L’espace n’�tait sans doute pas assez grand dans sa version originale puisqu’on l’a d�j� agrandi. Ce qui nous donne : une salle d’exposition, une biblioth�que de 10.000 volumes (« ouvrages du monde entier d�dicac�s pour la plupart »), un espace p�dagogique r�serv� aux scolaires (pas d’�cole � moins de 10km), un restaurant, un large parking (rest� vide pendant notre semaine de s�jour en plein mois touristique), un visuel tranchant, une signal�tique digne de la BNF, des injonctions � changer de trottoir (mais il n’y a pas de trottoir), � prendre le passage pi�tonnier alors que ne circulent sur la grand-route du village que de rares tracteurs ou VTT de soldats en promenade.

Et ces pommes ! En 1995, parce que Claude Chirac avait ax� la com’ des pr�sidentielles sur la pomme de Corr�ze, son p�re en a re�u par palettes enti�res. Des vraies, des fausses, en stuc, en sucre glace, en polystyr�ne, en bronze, en laiton, en cristal, « la pomme de la victoire ». Un certain nombre d’entre elles sont soumises au regard du visiteur, « don personnel de madame Bernadette Chirac » car les chambres froides de Bity �taient d�j� satur�es de compotes.

Mais voil� le plus important. A celles et ceux que ce tour d’horizon int�resse, nous devons une pr�cision essentielle. Vous ne trouverez pas ici les cadeaux re�us par Chirac dans le cadre de ses autres fonctions �lectives. Ainsi, point de petite culotte perl�e de cyprine que Madonna aurait jet� au maire de Paris lors d’un concert au Parc de Sceaux en 1989 (de toute fa�on, il para�t que c’est un gros short pas du tout humide car port� par dessus ses collants, et il para�t aussi que Chirac n’assistait pas au concert).

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