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LETTRE D'INFORMATION |

La d�mocratie participative peut ne pas �tre un concept marketing (seconde partie)

lundi 21 janvier 2008
par Eric Litot

Deuxi�me partie de l’intervention de David CHIOUSSE qui, apr�s avoir pr�sent� l’environnement favorable au d�veloppement de la d�mocratie participative, nous plonge les mains dans le cambouis.

Loin des discours sexy et consensuels qui fleurissent lorsque point l’�ch�ance �lectorale, la d�mocratie participative n�cessite investissement et travail de terrain.

En d’autres termes, la d�mocratie participative, c’est un peu comme la refondation de la gauche : il faut se mettre au boulot !

LA d�mocratie participative � Aubagne

Vous avez �num�r� et illustr� 8 conditions, fruits de votre exp�rience du terrain, qui vous semblent obligatoires pour envisager une �ventuelle r�ussite de la d�mocratie participative. Pourquoi et comment Aubagne a investi le champ de la d�mocratie participative ?

L’exp�rience d’Aubagne a d�marr� en mai 2003 avec le forum local o� pendant 15 jours, 4000 personnes ont particip� � 35 d�bats centr�s sur le projet de ville. Le projet global avait �t� d�coup� en sous projets — l’urbanisme, la s�curit�... -- qui ont �t� mis en d�bat, retravaill�s, enrichis... Toutes les propositions ont �t� regroup�es dans un document que l’on a appel� Les Engagements et pr�sent� � l’automne. Il contient les propositions avec les points de d�part et les objectifs � atteindre.

Pour faire vivre ces propositions et s’assurer de leur mise en oeuvre, on a cr�� une structure permanente qui a fait vivre la d�mocratie participative pendant 3 ans, l’Observatoire des Engagements — nom tr�s mal choisi car c’�tait plus un atelier de fabrique des engagements qu’un observatoire — dans lequel des citoyens, des �lus et le service public communal se sont impliqu�s.

Cela a bien fonctionn� sur un certain nombre de sujets mais on s’est heurt� � beaucoup de difficult�s sur d’autres.

La premi�re limite est l’�troitesse des marges de manoeuvre d’une ville. On croit qu’une ville a beaucoup de pouvoir, mais en fait elle est contrainte par des lois et des obligations. Les comp�tences qui lui restent sont peu nombreuses et elle se tourne rapidement vers la communaut� d’agglom�ration, le Conseil G�n�ral, le Conseil R�gional et l’�tat, quand on arrive � le trouver. On est dans des dispositifs multi-partenariaux qui deviennent d’autant plus complexes que seul un des partenaires d�veloppe la d�mocratie participative.

La seconde limite est la construction de l’engagement des citoyens. Au d�part il y a une vraie dynamique, beaucoup de monde dans les r�unions du forum, cela bouillonne dans les groupes de travail... Et petit � petit, quand on introduit la complexit� inh�rente aux questions pos�es, que l’on a les bonnes propositions mais que leur mise en oeuvre prend du temps et s’av�re complexe, cela cr�e du d�couragement. On perd donc des gens et on se met � fonctionner en vase clos.
M�me si on ne pr�tend pas � la repr�sentativit�, un minimum de diversit� de points de vue est n�cessaire. La grande r�ussite de l’Observatoire des Engagements a �t� de rapidement se forger des outils pour que les projets aboutissent.

L’exp�rience du budget participatif

Un de ces outils a �t� la mise en place du budget participatif d�s 2003, o� les habitants de la ville sont associ�s � la pr�paration au vote du budget, � son ex�cution et � son contr�le. C’est un processus complexe qui dure 4 mois o� il y a diff�rents allers-retours entre les onze conseils de quartier, les groupes de travail, les �lus et les services municipaux, la totalit� de l’administration communale et les structures de d�mocratie participative.

Aujourd’hui, � force d’exp�rimentation, la totalit� du budget est mis en d�bat avec la population. Certaines d�penses sont ainsi consid�r�es comme acquises, comme par exemple le fait de payer un salaire aux fonctionnaires territoriaux. Il faut en effet comprendre que dans une ville qui construit du service public, les salaires sont une part tr�s importante de la d�pense publique [1].

On cr�e donc les conditions d’un d�bat public autour de ces questions. L’arbitrage n’est donc plus fait seulement par les �lus, mais aussi par le processus d�mocratique. Ainsi, Aubagne doit �tre la seule ville en France � avoir d�cid� d’augmenter ses imp�ts locaux pour 2007 afin de r�aliser des actions qui ont �t� point�es comme prioritaires et absolument n�cessaires.

On comprend parfaitement que la discussion sur le budget soit une sorte de catalyseur et suscite nombre de d�bats annexes. En avez-vous profit� pour �tendre l’exp�rience de la d�mocratie participative � d’autres th�matiques ?

L’Observatoire des Engagements a en effet r�ussi � cr�er de nouveaux d�bats. � la suite du forum de 2003, certaines questions n’avaient pas trouv� de r�ponses satisfaisantes. 2004 a donc �t� une ann�e de d�bats sur des th�mes plus pr�cis, des d�bats plus longs qui ont permis aux citoyens d’avoir de l’information et de s’approprier des documents administratifs complexes.
Cela a �t� le cas du POS [2] � travers le forum URBA sur le logement social, o� l’opposition municipale est mont�e vivement aux cr�neaux � travers la constitution d’une association, "Non au b�tonnage du Garlaban". 4000 personnes ont particip� aux d�bats publics intenses qui ont pr�c�d� le r�f�rendum d’initiative locale organis� par cette m�me opposition. � la fin du processus, le maire s’est engag� � prendre sa d�cision en public et � avoir une sorte de validation publique. 700 personnes �taient pr�sentes.
La d�cision a �t� de modifier le PLU [3] pour permettre la cr�ation de logements sociaux, de nouveaux �quipements publics et la transformation de certaines zones pr�vues initialement pour l’urbanisation en terres agricoles, toute une s�rie de d�cisions prises en accord avec la population qui vont profond�ment transformer la ville.

Une nouvelle politique de la ville

Le deuxi�me temps fort de 2004, "Les 3 jours pour le logement", s’est centr� sur le logement social. Aubagne c’est 43000 habitants, 25% de logements sociaux et 3000 demandes qui incluent des habitants des communes voisines qui ne respectent pas les quota (certaines ont 0% de logements sociaux !). La ville ne peut r�pondre seule � ce d�fi sans cr�er une situation de d�s�quilibre.

Le premier jour ont �t� invit�s tous les demandeurs -- cela repr�sentait 600 personnes -- qui se sont heurt�s aux membres de l’association d’opposition municipale. Ont ainsi �t� r�unies les conditions d’un vrai d�bat public sur ce que chacun d�sirait pour cette ville, et sur les valeurs qui la sous-tendent.

Vous avez donc �t� oblig� d’�tendre le p�rim�tre d’application de la d�mocratie participative ?

Le constat a �t� fait qu’une ville seule ne peut pas tout. La question doit ainsi �tre pos�e � l’�chelle de la m�tropole, du d�partement et du pays. De l’initiative pr�c�demment cit�e est n�e l’id�e d’une s�curit� sociale du logement, d’un service public national du logement qui garantisse le fait que toutes les communes respectent la loi SRU [3], et que le pr�fet ait l’autorit� suffisante pour l’imposer.

On a construit une action sur plusieurs mois, une p�tition de 3000 signatures a �t� port�e au pr�fet, ce qui a permis de traiter collectivement la question du logement social et de casser cette id�e client�liste selon laquelle le maire distribue les logements sociaux � qui il veut. Par exemple, � Aubagne, le contingent communal sur lequel la d�cision du maire est prioritaire repr�sente 80 logements sociaux dans une ann�e, et les crit�res d’attribution ont �t� rendus publics.

Et apr�s 2004 ?

Une nouvelle �tape a �t� franchie en 2006 par l’organisation d’un deuxi�me forum "Aubagne citoyen social et solidaire" qui a suivi le chemin inverse du premier.

Alors que le premier �tait propos� par la municipalit� et ses �lus, le deuxi�me a d�but� par une phase de co-construction tr�s large, avec tous les acteurs de la ville — associations, syndicats, la commune, les services publics, les citoyens engag�s ou non dans la d�mocratie participative — qui sont venus pr�senter leurs d�bats et leurs th�mes, � l’image des forums sociaux mondiaux.
On a ainsi agglom�r� pendant 6 mois plein d’envies et de propositions, � travers des micro-d�bats dans les quartiers avec 10 personnes ou dans des r�unions de 500 personnes. Il y a eu aussi des moments festifs — th��tre, musique, spectacles de rue — cr�ant une ambiance tr�s particuli�re qui a transform� en profondeur la d�mocratie participative. On est sorti de la stricte gestion de la ville pour aller vers des questions de soci�t� telles que la pr�carit� professionnelle — la ville n’a stricto sensu aucune responsabilit� l�-dessus, ce n’est pas elle qui fait le code du travail, qui d�cide les licenciements. Elle ne g�re m�me pas le RMI. En revanche, on a cr�� un groupe de pression d�di� � ces questions ; le d�veloppement durable — Aubagne n’est pas forc�ment responsable de l’effet de serre mais nous avons tous une responsabilit� dans la mise en place d’actions citoyennes et communales pour aider � la prise de conscience et am�liorer la situation. On voit de plus que les questions environnementales et sociales sont li�es : les transports en commun, c’est d’abord une question sociale, les charges locatives dans les logements sociaux, qui sont une part tr�s importante du loyer pay� par les locataires, peuvent �tre all�g�es en envisageant des �conomies d’�nergie — en d�veloppant le solaire -- et d’eau -- en r�cup�rant les eaux pluviales.

La d�mocratie participative au quotidien

Comment s’organise pratiquement la d�mocratie participative ?

Elle n�cessite de rompre avec les formes classiques du d�bat politique o� on est souvent sur des tribunes, des face-�-face. On a tr�s longtemps �t� dans la recherche de formes qui garantissent la parit� dans le d�bat public. On s’est d’abord rendu compte qu’il fallait supprimer les estrades et tribunes pour que tout le monde soit sur un m�me plan physique. Ceci n�cessite de filmer les d�bats et de les projeter sur un �cran. En effet, quand on est 200 dans une salle et tous � la m�me hauteur, on ne se voit pas.
Le succ�s grandissant et l’augmentation du nombre de participants nous ont conduit � mettre en place des pratiques en atelier avec de tous petits groupes. On commence donc � 200, puis on �clate en groupes de maximum 30 personnes qui travaillent pendant 45 minutes, synth�tisent et restituent au groupe principal pour �changer. Une multiplicit� de formes sont ainsi apparues. Par exemple, la saisie en direct. Une personne est charg�e d’�couter, de synth�tiser et de diffuser sur l’�cran tout ce qui se dit. Tous les participants peuvent ainsi visualiser une reformulation de ce qui se dit et donc r�agir � toute interpr�tation erron�e. On fabrique ainsi un �tat des lieux commun.

Un autre point important est le passage d’une communication municipale � une information municipale qui permette de diffuser les �l�ments de r�flexion n�cessaires � la compr�hension de tel ou tel sujet. � Aubagne les m�dia ont �t� dissoci�s : les sp�cialistes de la communication continuent d’en faire, mais on a aussi mis en place un circuit parall�le qui permet aux citoyens de prendre connaissance des dossiers complexes dans un lieu o� ils peuvent rencontrer du monde, discuter et pourquoi pas repartir avec des dossiers de 400 pages.
Saint Denis, en r�gion parisienne, est une autre ville qui met en place la d�mocratie participative, et qui a d�cid� de compl�tement transformer sa communication municipale en vecteur d’information.

Le questionnement sur les formes qui autorisent un acc�s toujours plus important au d�bat public doit �tre permanent. Cela rejoint en effet la question de la repr�sentativit� : on ne se satisfait pas de n’�tre que 10 dans une r�union et on vise l’�largissement de la d�mocratie participative � de multiples acteurs. On est persuad� que tout le monde a un petit r�seau — sa famille, ses relations professionnelles ... — dans lequel on peut aller chercher une ou deux personnes. On travaille plus le "reseautage" que la communication large et tout azimut.

La d�mocratie participative se fait en marchant et est en perp�tuel devenir. Un premier bilan est-il tout de m�me possible ?

En 3 ans, le rapport de la population et des �lus s’est consid�rablement modifi�. On est pass� du face-�-face, de l’affrontement, � un sentiment de coresponsabilit�, de bienveillance, et � une vision constructive : « je suis pas d’accord avec le maire, je vote pas pour lui, mais j’ai autant le probl�me que lui. Comment fait-on avancer la solution ? ».

Cela change compl�tement le climat dans la ville. Cela fait du bien � la population qui a besoin d’avoir un lieu d’expression qui soit autant un exutoire qu’un vecteur de solutions. C’est avec le personnel communal que cela marche le moins : il se retrouve entre le marteau et l’enclume, possiblement mis en d�faut sur sa capacit� � r�aliser...
Ainsi, alors que se d�veloppait la d�marche de d�mocratie participative � destination de la population, le personnel communal �tait sensibilis� � une nouvelle organisation du travail qui introduisait le management transversal, le d�cloisonnement des services et une responsabilisation de chaque agent sur des objectifs d�cid�s en commun. Chaque service construit donc son projet de service — bien s�r valid� —, avec l’ensemble des agents et le met en oeuvre. C’est une transformation de la place de l’agent de la collectivit� locale par rapport � son travail mais aussi par rapport � l’accueil et au traitement qu’il fait de l’usager. On est sur toute une s�rie de structures avec des comit�s d’usagers par structure. Par exemple, m�me si pour l’instant cela reste embryonnaire, les parents dans les cr�ches sont associ�s � la gestion de la cr�che.

La d�mocratie participative a aussi chang� la vision qu’avait l’�quipe municipale de certaines cat�gories de population. On a ainsi constat� au sein de la d�mocratie participative une tr�s forte participation des femmes qui revendiquaient une vraie place. Cela a suscit� la cr�ation du groupe sp�cifique "Femmes en marche" — pas seulement ouvert aux femmes — qui traite les questions de la femme dans la ville et la soci�t� aujourd’hui.

Une autre cat�gorie a �merg�, les jeunes. Ils sont tr�s largement absents des dispositifs de d�mocratie participative. Aucune incitation n’a fonctionn�. On sait aujourd’hui que l’on a des questions � r�soudre sur le rapport qu’ils entretiennent � la ville et � la d�cision publique.

Derni�re cat�gorie qui a �merg� l� o� on ne l’attendait pas forc�ment, ce sont les personnes �g�es et plus particuli�rement les jeunes retrait�s. Ils sont tr�s actifs dans les villes � travers diverses structures associatives. Ils sont aujourd’hui un peu sous-estim�s et ne trouvent pas forc�ment de d�bouch�s � leur pass� militant quand ils en ont eu un. On essaie ainsi de travailler des aspects sp�cifiques comme par exemple les horaires des r�unions : la plupart du temps elles d�marrent vers 18h30/19h mais il faut savoir que beaucoup de personnes �g�es ne sortent plus de chez elles � ces heures-l� parce que simplement, il n’y a plus de bus pour les ramener chez elles � 20h30. Donc sur certaines initiatives qui les concernaient particuli�rement, on a mis en place du co-voiturage et fix� des heures de r�unions diff�rentes. On craignait qu’ils soient obnubil�s par les loisirs, mais en fait ils sont aussi sur des probl�matiques qui vont toucher leurs enfants et petits enfants, sur ce qu’ils ont v�cu eux et qui n’existe plus aujourd’hui.

La d�mocratie participative peut-elle �tre efficace au niveau d’une r�gion ou m�me d’un pays ?

Il est difficile d’imaginer aujourd’hui une d�mocratie participative efficace au-del� de la commune quand on fait la liste des difficult�s qu’on rencontre. En revanche, le d�veloppement des technologies de l’information — outils communicants et sites interactifs — ouvre des perspectives dont on n’a pas encore mesur� les cons�quences pratiques.

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Deux ouvrages pour aller plus loin :
puce De la d�mocratie participative. Fondements et limites, Bernard STIEGLER, Marc CR�PON, Mille Et Une Nuits - 2007 ;
puce L’Art de r�duire les t�tes. Sur la nouvelle servitude de l’homme lib�r�, � l’�re du capitalisme total, Dany-Robert DUFOUR, Deno�l - 2003.

[1] Pour Aubagne cela repr�sente 30 millions sur un budget de 80. Ces chiffres sont pr�sent�s et expliqu�s, soumis � la discussion et confront�s aux faibles marges de manoeuvre de la commune dont les leviers se r�sument � l’emprunt, la fiscalit� locale ou la suppression de services

[2] Plan d’Occupation des Sols.

[3] Le Plan Local d’Urbanisme remplace le plan d’occupation des sols (POS) depuis la loi 200-1208 du 13 d�cembre 2000 relative � la solidarit� et au renouvellement urbain, dite loi SRU.

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