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LETTRE D'INFORMATION |

Q790, pour m�moire

L’errance du Clemenceau
samedi 18 février 2006
par Pierre Robert
Historique 2002-2006 : p�r�grinations, chiffres en furie et surtout, paroles d’experts.

16 d�cembre 2002.
D�SARM� cinq ans plus t�t, le Clemenceau perd son nom au b�n�fice de la r�f�rence Q790. Il ne s’agit plus d�s lors que « d’un simple cadavre » comme l’explique un responsable de com’ du minist�re de la D�fense. Une bourde, car la strat�gie m�diatique de l’Etat s’articulera d�sormais autour de l’affirmation suivante : « la coque n’est pas un d�chet au regard des diff�rents textes de loi applicables » [1]. Pourquoi cette pr�cision ? En admettant que le Clem est assimilable � un d�chet dangereux, la France ne pourrait l’exporter � fin de d�mant�lement que si 1- l’�limination des substances toxiques se faisait de fa�on « ï¿½cologiquement rationnelle » et 2- le d�mant�lement �tait r�alis� dans les limites de l’Union europ�enne, selon les termes de la convention de B�le entr�e en vigueur en 1992. La distinction (Clem ≠ d�chet) permet donc plus de souplesse. Elle sera d�fendue jusqu’au bout, comme en t�moigne cette intervention du Ministre d�l�gu� aux anciens combattants Hamlaoui M�kachera le 19 janvier 2006 : « conform�ment � la loi, un mat�riel de guerre demeure, jusqu’� sa destruction totale, un mat�riel de guerre. De ce fait, l’ex-Clemenceau ne rentre pas dans les cat�gories vis�es par la convention de B�le » [2].
Le point de vue de la France est rapidement contest� par de nombreux organismes, de la plus vulgaire association �colo-bolchevique aux plus �minentes institutions politiques (telle la Commission europ�enne). Dans l’Hexagone, c’est le Conseil d’Etat qui portera l’estocade en requalifiant officiellement la coque hors d’usage (Clem = d�chet, 15 f�vrier 2006). Mais reprenons la chronologie.
En 2002, la Marine estime � 220 tonnes la quantit� de produits amiant�s subsistant dans le navire. Cette quantit� sera plus tard r��valu�e � 160 tonnes « apr�s une �tude pr�alable [?] et plus pr�cise » [3].

16 juin 2003.
La coque est confi�e � la soci�t� espagnole Gijonese de Desquaces pour d�samiantage puis d�molition.

13 octobre 2003.
Le Clem quitte Toulon et prend la route de Giron. 4 jours plus tard, la Marine fran�aise l’intercepte entre la Sicile et la Tunisie alors qu’on l’attendait plut�t vers Gibraltar. La soci�t� espagnole visait le port d’Aliaga en Turquie, hors espace europ�en et convention de B�le. Objectif : faire le sale boulot � moindre co�t. Le Gouvernement casse le march� et file le b�b� � la soci�t� allemande SDI [4]. L’entreprise envisage d’abord de faire escale dans le port du Pir�e pour le d�samiantage, ce qui serait pratique puisque le Clem n’est plus tr�s loin, mais la Gr�ce refuse d’accueillir le porte-avions. La France ne peut que se r�soudre � le rapatrier vers Toulon. D�j�, certains esprits chafouins consid�rent que l’Etat « a fait ce que fait tout armateur pour contourner la convention de B�le sur les d�chets » [5].
Nouveau programme : le d�samiantage se fera en rade toulonnaise puis on enverra le bateau se faire d�monter sur le chantier d’Alang en Inde.

22 novembre 2004.
La d�pollution commence. Officiellement, le Clem dont la masse est estim�e � 22.400 tonnes contient encore 220 tonnes de produits amiant�s. Le sous-traitant charg� par SDI pour le nettoyage (Technopure) doit en retirer 90%. Les experts annoncent qu’on ne pourra �ter les 22 tonnes subsistantes sans nuire � la navigabilit� de la coque.
Il est int�ressant d’anticiper ici les conclusions du Commissaire du gouvernement Yann Aguila, charg� d’�tudier le dossier apr�s la saisie du Conseil d’Etat par deux associations �cologistes en 2006 (voir plus bas) [6]. Il remarquera que 22 correspondent tr�s exactement � 0,098% de 22.400, � savoir moins de 0,1%. C’est important, car � partir de 0,1% de produits amiant�s on pourrait consid�rer le bateau comme un « d�chet dangereux » — non exportable [7]. Rappelons la phrase cl� de l’Etat fran�ais : « la coque n’est pas un d�chet au regard des diff�rents textes de loi applicables ».
Il est aussi int�ressant de noter que les estimations du minist�re concernant la quantit� d’amiante r�siduelle vont �voluer, et de fa�on plut�t brutale. Alors que le nettoyage fran�ais est termin� et que le Clem s’approche des c�tes indiennes (nous sommes en janvier 2006), Mich�le Alliot-Marie annonce aux d�put�s : « 115 tonnes [d’amiante] ont �t� retir�es � Toulon, comme le prouvent les proc�s-verbaux d’enfouissement. Il reste donc 45 tonnes » [8]. On est loin des 22 jusque l� envisag�s (et du seuil de 0,1%). Le 7 f�vrier suivant, la Ministre de la D�fense en rajoute devant les s�nateurs : « les produits contenant de l’amiante restant � bord du Clemenceau sont estim�s � 46 tonnes ». Le Palais du Luxembourg a droit � une tonne de plus que le Palais Bourbon. Favoritisme ? Mais reprenons la chronologie.

10 mars 2005.
Deux associations [9] d�noncent la d�localisation d’une partie du d�samiantage et le non-respect de la convention de B�le. Elles assignent l’Etat et SDI en justice pour emp�cher le d�part du Clemenceau en Inde. Le Tribunal de Grande Instance de Paris se d�clarera incomp�tent [10]. Les plaignants feront appel et conna�tront un nouveau revers. Ils porteront l’affaire devant le Tribunal Administratif de Paris qui rejettera (26 d�cembre) la demande de suspension du transfert vers l’Inde. A noter : stigmatisant le recours tardif au TA, MAM soutiendra sans rire que « l’urgence n’est pas constitu�e, d�s lors que les associations auraient pu saisir de longue date le juge administratif ». Le Conseil d’Etat vers lequel elles se tourneront en dernier ressort (janvier 2006) leur donnera pourtant raison en remarquant que « les associations requ�rantes ont engag�, depuis le mois de f�vrier 2005, plusieurs actions, tant devant les juridictions administratives que judiciaires, destin�es � s’opposer � l’exportation vers l’Inde de la coque de l’ex porte-avions Clemenceau et qu’elles ont par ailleurs saisi les autorit�s comp�tentes de divers recours gracieux tendant � cette fin ». Mais reprenons la chronologie.

12 d�cembre 2005.
Un commando de Greenpeace part � l’abordage du Clem dans l’enceinte confidentiel d�fense de l’arsenal toulonnais, utilisant un zodiac et un parapente motoris�. Ils d�roulent une grosse affiche sur le m�t : « abestos carrier stay out of India ». Le secr�taire g�n�ral de la CGT Arsenal d�clare : « on nous emb�te toute l’ann�e avec le plan vigipirate renforc� et on se rend compte, qu’en s’en donnant la peine, on peut faire � peu pr�s ce qu’on veut dans l’arsenal » [11].

31 d�cembre 2005.
M�me pas le temps d’ouvrir une boite de cotillons. Le porte-avions entame son presque-dernier voyage. Il restera 11 jours devant le Canal de Suez apr�s une nouvelle intervention de Greenpeace. On doit le suspense aux autorit�s �gyptiennes et � celles du Canal, qui acceptent finalement d’ouvrir l’acc�s apr�s paiement d’une ran�on taxe suppl�mentaire de 200.000 dollars [12]. La presse du monde entier suit le feuilleton avec d�lectation.

16 janvier 2006.
Q790 est toujours coinc� en Egypte quand les autorit�s indiennes lui interdisent l’entr�e dans leurs eaux territoriales. La Cour Supr�me du pays est appel�e � statuer d�finitivement sur le sort de la coque le 13 f�vrier apr�s un compl�ment d’enqu�te. Des documents compl�mentaires sont r�clam�s � Paris. Le 26 janvier, la France annonce qu’elle est pr�te � r�cup�rer les r�sidus amiant�s apr�s le d�mant�lement.

3 f�vrier 2006.
Deux experts mandat�s par ANDEVA, Ban Asbestos, le comit� anti-amiante de Jussieu, la F�d�ration Internationale des Droits de l’Homme et Greenpeace rendent leurs conclusions apr�s analyse des documents fournis par Technopure, le principal sous-traitant charg� du d�samiantage � Toulon. Ils estiment « vraisemblable » la pr�sence r�siduelle de 500 � 1000 tonnes de mat�riaux amiant�s sur le bateau. Ils estiment par la m�me occasion vraisemblable la pr�sence d’autres substances toxiques en grande quantit�, comme les PCB. Le minist�re r�agit : « seule une communication incantatoire tente de donner � ce rapport le statut d’une expertise ind�pendante sur les quantit�s d’amiante restant � bord de l’ex-Clemenceau » [13]. Il faut pr�ciser que selon le porte-parole du minist�re, la soci�t� Technopure est en litige avec SDI au motif que des organismes de contr�le ind�pendants ont jug� qu’une certaine partie du travail n’a pas �t� r�alis� convenablement par le d�samianteur [14].

9 f�vrier 2006.
Philippe Vitel, d�put� toulonnais et fin analyste, donne son avis dans Var matin : « tant que l’Inde n’a pas dit non, je consid�re que le projet initial doit continuer. Maintenant, si l’Inde refuse, il est certain qu’on sera oblig� de ramener le Clemenceau dans les eaux territoriales fran�aises ».

12 f�vrier 2006.
On apprend que le centre d’enfouissement de Bellegarde (destinataire des d�chets ultimes) n’aurait re�u que 85 tonnes de r�sidus amiant�s sur les 115 dont parlait MAM. « En tout �tat de cause, il faut expliquer cette diff�rence » dit le porte parole du minist�re de la D�fense [15]. Le 14 f�vrier, MAM saisit la justice sur des « pr�somptions d’irr�gularit� » de la soci�t� Technopure. Le g�rant ricane : « [j’attends] que la v�rit� �clate pour voir qui a menti dans cette affaire ».

13 f�vrier 2006.
La Cour Supr�me Indienne maintient l’interdiction d’entrer en attendant un �ni�me compl�ment d’information. Le Commissaire au gouvernement remet ses conclusions au Conseil d’Etat saisi par Ban abestos et ANDEVA (voir "10 mars 2005"). La d�cision du Conseil tombe deux jours plus tard : « l’autorisation d’exportation de mat�riels de guerre d�livr�e le 29 novembre 2005 en vue de l’exportation de la coque de l’ex-porte-avions Clemenceau, la d�cision implicite de rejet oppos�e � la demande tendant � ce que la coque du Clemenceau ne soit pas transf�r�e en Inde pour son d�samiantage final et � ce que ce d�samiantage soit r�alis� en France, enfin la d�cision, r�v�l�e par une d�claration du 22 d�cembre 2005 du porte-parole du ministre de la D�fense, de transf�rer le Clemenceau en Inde en vue de son d�samiantage, sont suspendues ». Dans la foul�e, Chirac qui s’appr�te � entamer une tourn�e conqu�rante pour d�fendre « l’entreprise-France » en Asie (et particuli�rement en Inde) d�cide le rapatriement du Clem vers Brest.

16 f�vrier 2006.
Philippe Vitel, lou d�put� du village : « [je pense] qu’il y a un lien [entre le rapatriement et] le d�placement en Inde de Jacques Chirac ».
Marc Chevanche, audacieux �ditorialiste de Var matin : « m�me si on fait la part de la dramatisation orchestr�e par les sp�cialistes des grandes frayeurs �cologiques, peu regardants sur la r�alit� des dangers encourus et moins encore sur les int�r�ts �conomiques en jeu, tout laisse � penser que l’affaire du d�mant�lement du Clemenceau n’a pas �t� conduite avec le s�rieux et la rigueur n�cessaires ».

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[1] Communiqu� conjoint du Ministre d�l�gu� au Budget et du minist�re de la D�fense, le 30 octobre 2003.

[2] S�nat, s�ances de question d’actualit�, 19 janvier 2006.

[3] Intervention de Mich�le Alliot-Marie au Parlement, 17 janvier 2006.

[4] Ship Decommissioning Industry, filiale invent�e par ThyssenKrupp pour l’occasion.

[5] Experts et ONG cit�s par Lib�ration, 1er novembre 2003.

[6] Conclusions rendues le 13 f�vrier 2006, rapport�es par le Monde deux jours plus tard.

[7] Voir l’article 3 du d�cret n° 2002-540 du 18 avril 2002 relatif � la classification des d�chets.

[8] Questions au gouvernement, 17 janvier 2006.

[9] Ban Asbestos France et l’Association Nationale de D�fense des Victimes de l’Amiante (Andeva).

[10] Une premi�re fois en r�f�r� le 15 mars, une seconde fois (proc�dure "au fond") le 5 juillet).

[11] Var matin, 14 d�cembre 2005.

[12] Les frais de transit s’�levaient initialement � environ 1,5 million de dollars.

[13] In Observations relatives � l’analyse des documents de Technopure par M.R�der, 6 f�vrier 2006.

[14] "Script point presse" du porte-parole du minist�re de la D�fense, 5 janvier 2006.

[15] Reuters, 12 f�vrier 2006.

R�pondre � ce message

  • le clemenceau 20 mars 2006, par
  • Les Croisi�res Jacquot 26 février 2006, par
  • en col�re 25 février 2006, par


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