CHER Jean-Claude, Cuverville peut te donner une id�e de ce que �a va co�ter � l’aide d’un exemple simple.
Tu as certainement d� entendre parler de Vinci, multinationale du BTP. Vinci finance ces jours-ci la restauration de la Galerie des Glaces du palais de Versailles. Le budget s’�l�ve � 12 millions d’euros.
Et bien tu vois, avec 12 millions d’euros, on finance � peu pr�s 500 m�tres de LGV. M�me pas de quoi faire la jonction entre Aubagne et la B�doule.
Les analystes de R�seau Ferr� de France (RFF), estiment le co�t global de la LGV compris entre 4 et 6 milliards d’euros. Grosso modo 250km de rails entre Marseille et Nice - ou Vintimille dans le cas d’un raccordement au r�seau italien. Ce qui reviendrait, sur la base d’une moyenne de 5 milliards, � environ 20 millions d’euros le kilom�tre.
Enjeux nationaux.
On peut parall�lement obtenir sur le site de RFF le chiffrage du projet de train pendulaire Paris-Orl�ans-Limoges-Toulouse (POLT) : en 1998, le co�t du POLT �tait estim� � 242 millions d’euros, pour une distance d’environ 750 km. En r�actualisant les chiffres de 1998 et en les gonflant jusqu’� 500 millions d’euros, soyons fous, on arrive � un co�t d’environ 0,67 million par kilom�tre.
Entre LGV PACA et POLT, le ratio du prix au kilom�tre est de l’ordre de 30 : le rail en or de la ligne rapide co�terait 30 fois plus que celui du train pendulaire [3].
On apprenait pourtant en novembre dernier l’abandon du projet POLT, au grand dam des trois r�gions impliqu�es. « Lors d’une r�union � Paris, mardi 9 novembre, Gilles de Robien, ministre de l’�quipement, et Fran�ois Goulard, secr�taire d’Etat aux transports, ont r�affirm� aux trois pr�sidents de r�gions concern�es (Centre, Limousin, Midi-Pyr�n�es) que "la solution de TGV pendulaire, en termes de gain de temps, d’�ch�ance de la r�alisation et de rentabilit� du projet, n’�tait pas pertinente en termes d’investissement comme d’exploitation". Cela confirme la d�cision prise lors du comit� interminist�riel d’am�nagement et de d�veloppement du territoire (CIADT) de d�cembre 2003 » [4]. On en conclut que la LGV � venir - dans quinze ans - ne pr�sente pas tous ces d�fauts.
On peut toutefois se poser quelques questions concernant la partie fran�aise de « l’arc latin » dessin� par la ligne � grande vitesse, dont les extr�mit�s se situent du c�t� espagnol � Barcelone, et du c�t� italien � G�nes.
Quel serait, compar� � ces 4 � 6 milliards d’euros de d�pense annonc�e, le prix d’un am�nagement complet, adapt� au ferroutage, entre Vintimille-Marseille-Montpellier-Narbonne-Cerb�re-Port Bou (fronti�re espagnole, c�t� Catalogne) et Narbonne-Toulouse-Tarbes-Hendaye-Irun (fronti�re espagnole, c�t� Pays basque) ?
Ce d�veloppement qui int�resse les quatre r�gions du "Grand Sud" (PACA, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyr�n�es et Aquitaine) permettrait de d�congestionner les axes autoroutiers A8 et surtout A9, aujourd’hui infest�s de camions. Et la future liaison Lyon-Turin viendrait compl�ter tr�s efficacement ce r�seau de ferroutage.
Quel serait le co�t d’un syst�me de TER [5] absolument op�rationnel, qui desservirait correctement chacune des trois agglom�rations de Marseille, Toulon et Nice ? Pour l’agglom�ration toulonnaise cela concerne les trajets Aubagne-Bandol-Toulon-La Pauline-Hy�res centre-Hy�res A�roport, d’une part (axe Est-Ouest), et d’autre part La Pauline-Cuers (axe Nord-Sud), plus une extension �ventuelle vers Carnoules et Le Cannet, la pression fonci�re conduisant bon nombre de Varois � coloniser de plus en plus loin le Centre-Var. Quid de la r�ouverture �galement de l’ancienne ligne Carnoules-Gardanne ? Combien d’automobiles se d�pla�ant en masse chaque jour vers l’agglom�ration toulonnaise cela �conomiserait-il ?
Enjeux europ�ens.
France et Allemagne s’imposent comme points nodaux du trafic ferroviaire europ�en.
La majeure part de l’activit� industrielle et �conomique s’inscrit dans un triangle dont les sommets sont Londres, Berlin et Milan. On y inclut bien entendu la Ruhr, Paris et tout le Benelux. Strasbourg a la dimension europ�enne que l’on sait. En 2007, elle sera connect�e � la capitale fran�aise via une ligne � grande vitesse sur le tron�on Paris-Moselle.
Le d�veloppement d’un axe LGV liant les r�seaux fran�ais et allemand appara�t donc comme prioritaire.
Il manque, outre l’ach�vement de la ligne Paris-Strasbourg et son prolongement vers Karlsruhe, un �l�ment essentiel dans l’axe Nord-Sud : c’est le maillon Rhin-Rh�ne.
Il partirait, en gros, du Creusot et rejoindrait Mulhouse, via Besan�on. Le prolongement de la ligne se ferait, soit du c�t� alsacien (mais cela semble difficile tant la plaine d’Alsace est peupl�e et dense en activit�s agricoles), soit du c�t� allemand (For�t Noire).
A partir de Karlsruhe il est facile d’imaginer un prolongement des lignes � grande vitesse vers Francfort, puis Hanovre (centre ferroviaire capital en Allemagne), et enfin Hambourg ou Berlin dans l’axe Nord-Sud, et Munich puis Vienne, Bratislava et Budapest dans l’axe Est-Ouest.
A y regarder de plus pr�s, il ne s’agit que de la modernisation de trajets fameux comme celui de l’Orient-express ou le Paris-Moscou. Avec les avantages, � la fois du tunnel sous la Manche, de l’Eurostar, du Thalys, et... de l’unification europ�enne. Sofia, capitale de la Bulgarie qui int�grera l’Union en 2007, est par exemple sur la route de l’Orient-express.
Enfin, comment ne pas noter l’importance tout aussi primordiale, dans le nouveau r�seau � grande vitesse, de la ligne Lyon-Turin ?
Toulon et Nice auraient une LGV avant Vienne, Berlin ou Budapest ?
Il est des axes beaucoup plus strat�giques que d’autres.
La LGV Marseille-Nice drainerait-elle des masses importantes de touristes suppl�mentaires comme l’envisagent certains en salivant ? N’oublions pas que la C�te d’Azur a surtout d�velopp� des infrastructures pour p�lerins friqu�s.
Et puis, supposons qu’un Milanais veuille se rendre en train sur la c�te m�diterran�enne. La liaison Milan-G�nes-Vintimille-Marseille s’impose-t-elle ? Ne serait-il pas plus pertinent de franchir les Alpes par la ligne Lyon-Turin, puis de descendre en TGV jusqu’aux calanques ? Il suffit pour s’en convaincre d’observer l’existant : il est aujourd’hui plus facile pour rejoindre Lyon en venant de Bordeaux de passer par la r�gion parisienne que de couper par le massif central (5 heures contre au moins 7h30). Les distances parcourues diff�rent, mais dans ce cas pr�cis elles se mesurent davantage en heures qu’en kilom�tres.
Interrogeons-nous sur le trajet de la LGV attendue par le maire de Nice dans le d�partement des Alpes Maritimes. Ne peut-on imaginer que les Ni�ois rejoignent Paris, via l’Italie, la ligne Turin-Lyon, et non plus par la c�te et le couloir rhodanien ? Il se trouve justement que la frange c�ti�re �tant surpeupl�e et hors de prix, beaucoup d’Azur�ens l’abandonnent pour l’int�rieur des terres, plus abordable au niveau du foncier. N’en doutons pas, la LGV contribuera � niveler les prix. Par le haut.
D’ailleurs, la m�me question ne manque pas de se poser pour tout le Centre-Var.
Car si � l’origine un arr�t LGV n’est pas pr�vu, disons � Cuers ou Brignoles, ou quelque part entre Grasse et Nice, rien de plus facile que d’en cr�er un, ne serait-ce que dans le but de mieux remplir certaines rames. Et l’on sait bien que deux ou trois minutes, « perdues » suite � un arr�t, se rattrapent ais�ment sur la dur�e totale du parcours. L’effet TGV risque de peser encore plus lourd dans une r�gion o� d�j� les prix du foncier connaissent une croissance d�lirante.
Enfin, faut-il croire les �lus qui n’ont plus que les mots environnement et durable � la bouche depuis que c’est � la mode, quand ils affirment vouloir d�velopper le ferroutage (initiative durable pour pr�server l’environnement) ? Gardons � l’esprit le poids �norme des taxes pr�lev�es par l’Etat sur les carburants. Une manne, un facteur malheureusement tr�s aggravant au niveau des politiques de transports �conomiques et propres [6].
Combien de projets structurants passeront � la trappe pour r�server quatre � six milliards d’euros � la r�alisation du projet de LGV PACA ?
[1] La Commission Particuli�re du D�bat Public permet aux citoyens de s’exprimer sur le sujet de la LGV PACA entre le 21 f�vrier et le 21 juin 2005. Site officiel : ici.
[2] Rapport� par Var matin, 11 mars 2005. Jean-Claude Gaudin est maire de Marseille.
[3] Un train pendulaire est capable de rouler plus vite sur une voie classique r�nov�e gr�ce � un syst�me d’inclinaison qui compense la force centrifuge dans les virages, � la mani�re d’une moto. Les vitesses atteintes sont de 220km/h sur une voie classique et 300 km/h sur une voie grande vitesse.
Une ligne grande vitesse est une voie sans virage qui permet � un TGV de rouler de 270 � 300km/h. On ne peut contourner les obstacles : ponts, tunnels, ouvrages d’art sont de mise d’o� l’importante augmentation de co�t.
[4] In le Monde, 13 novembre 2004.
[5] Transport Express R�gional. Anciennement appel� omnibus.
[6] Notons qu’� Nice, l’autre projet d’am�nagement qui suscitera un d�bat public � tr�s br�ve �ch�ance ne concerne ni le TER, ni l’intermodalit�, ni les "voies vertes"... Mais la modernisation du contournement autoroutier de la ville. De 0,5 � 2 milliards d’euros selon l’estimation, pour 30 kilom�tres.