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LETTRE D'INFORMATION |

Marchiani, le roman de l’aventurier

vendredi 6 août 2004
par Gilles Suchey
Jean-Charles Marchiani est � nouveau pr�fet de la R�publique ! Cuverville lui rend un hommage bien m�rit�, pour tant de services rendus � la France dans le plus grand « respect de la morale et du Droit ».
Si la trame de l’hagiographie suivante est exacte, certains aspects restent flous, voire contradictoires selon les t�moignages : la transparence n’est pas de mise dans le domaine des services "sp�ciaux" [1].

N� en ao�t 43 en Haute-Corse, l’avenir du jeune homme prendrait forme en 61, en pleine guerre d’Alg�rie. Apr�s un menu service rendu au SDECE (Service de Documentation Ext�rieure et de Contre-Espionnage), les recruteurs de la Piscine [2] lui proposeraient d’int�grer leurs rangs contre le financement de ses �tudes. C’est l’�poque de la Main rouge, organisation "contre-terroriste" qui d�cime les membres du FLN [3] bien au-del� de l’Alg�rie (en particulier, beaucoup d’attentats sont perp�tr�s en RFA). Cette Main rouge, que l’on croit compos�e de pieds-noirs radicaux et autres ultra-partisans de la pr�sence fran�aise au Maghreb, ne serait en fait qu’une annexe du SDECE travaillant avec la b�n�diction de l’Etat, mais utilisant des m�thodes tellement peu orthodoxes qu’un paravent est n�cessaire. On a parfois associ� le nom de Marchiani � quelques activit�s de la main sanguinolente.

SAS � la B�doule. A la fac d’Aix-en-Provence il pr�side la Corpo-Droit, association d’�tudiants plut�t tr�s r�actionnaires qui ne se r�unissent pas seulement pour boire du Gambetta-limonade. Le futur pr�fet obtient des dipl�mes de Droit et d’Administration publics. Puis, il suit une formation d’officier parachutiste.
Un r�seau se constitue autour du "cercle corse". Noms r�currents : Pasqua, Tib�ri, Sanguinetti, etc., des gens qui ne se r�unissent pas seulement pour boire du Patrimonio.
Selon certains t�moignages, Marchiani devient dans les ann�es 60 responsable du d�partement yougoslave du SDECE. Le fait est qu’il se trouvera plusieurs fois associ� � des histoires balkanisantes, de l’affaire Markovic en 72 � la lib�ration des pilotes fran�ais abattus en Bosnie en 95 (voir plus loin).
En 67, � l’occasion d’une mission au Biafra, on croit l’apercevoir aux cot�s de Jacques Foccart. Dans ses m�moires, ce dernier, �ternel "monsieur Afrique", charg� (pour r�sumer) d’entretenir dans l’ombre les meilleurs rapports entre les dirigeants autocratiques des ex-colonies et les autorit�s fran�aises (armes � vendre, valises � porter, etc.), niera pourtant conna�tre le Corse.
En 68, on retrouve celui-ci en charge des minorit�s "subversives" (entendez par l� "gauchistes").
Proche de Pasqua, il a int�gr� le SAC [4]. Marchiani est d�cid�ment abonn� aux r�seaux ambigus de la R�publique, o� se c�toient "fonctionnaires" et truands. Comme dirait Mitterrand (Fran�ois), « la jungle des barbouzes a ses lois que seule la raison d’Etat conna�t ».
A l’approche des ann�es 70, l’agent intime des gaullistes n’est pas lui-m�me un fan convaincu du G�n�ral. On lui pr�te les propos introductifs suivants : « Marchiani, Jean-Charles. Je m’excuse pour le Charles ».

« Bond, Jean-Charles Bond ». En octobre 1968, un ex-garde du corps d’Alain Delon est retrouv� assassin� dans une d�charge d’Elancourt (Yvelines). C’est le d�but de "l’affaire Markovic". Ce petit malfrat d’origine yougoslave sera, � son corps refroidi d�fendant, le d�clencheur d’une manipulation visant � plomber Pompidou, successeur pr�visible de De Gaulle � la t�te de l’Etat. Et tout ce que le pouvoir fran�ais s�cr�te d’anti-Gaulliste et d’anti-Pompidolien va s’acharner � mettre en �vidence le tr�s hypoth�tique concours de madame Pompidou aux parties fines qu’organisait Markovic. Les services secrets fabriquent vraisemblablement des photos compromettantes, et le scandale peut �clater... Cela n’emp�chera pas l’�lection de Pompidou � la pr�sidence de la R�publique en 69, et l’homme saura faire payer au SDECE sa vilaine attitude : en 72, c’est le grand m�nage au sein du service d�sormais rebaptis� DGSE (Direction G�n�rale de la S�curit� Ext�rieure). Marchiani, fortement impliqu� dans l’affaire Markovic, fait partie de la charrette et entame un long purgatoire.
Suivent 10 ann�es dans le groupe Air France. Nomm� secr�taire g�n�ral de la Servair, soci�t� charg�e de la fabrication des plateaux repas, « Marchiani continue � rendre des petits services � son ancienne maison. En organisant, par exemple, des livraisons de mines antipersonnel � l’Erythr�e, confront�e � une gu�rilla "communiste" » [5].

Negociator. Avec la Gauche au pouvoir, il perd son poste � la Servair (notons au passage qu’il y a connu quelques soucis. Jean-Charles a d’ailleurs horreur que l’on aborde cet �pisode.)
Malgr� le retour de la Droite aux affaires en 88, il �choue dans sa volont� d’int�grer la DGSE et se recase chez Thomson. Des contacts moyen-orientaux, qu’il �tablit � l’occasion de n�gociations diverses concernant la vente d’armes et autres joyeuset�s, permettront sa remise en piste : le 4 mai 88, il obtient la lib�ration des otages prisonniers du Hezbollah libanais. Mais toujours en disgr�ce officielle, il reste dans l’ombre.
Le yoyo �lectoral continue : la Gauche revient... Puis s’en va. Balladur est d�sormais premier ministre, et Pasqua int�gre la place Beauvau. Marchiani est alors nomm� pr�fet hors cadre charg� "d’une mission de service public". Il ne m�nage pas sa peine et devient sp�cialiste du Maghreb en g�n�ral, et de l’Alg�rie en particulier.
L’arriv�e de Chirac � l’Elys�e et l’�viction de Pasqua (qui a un peu trop soutenu Edouard dans sa candidature pr�sidentielle) stoppent l’�lan. Le nouveau ministre de l’Int�rieur, Jean-Louis Debr�, montre une grande d�fiance vis-�-vis du clan corse...
Pourtant, fin 95 voit la nomination de notre h�ros � la t�te de la Pr�fecture du Var. Le but de la manoeuvre serait de bouter l’UDF hors de la r�gion PACA au profit du RPR. Cible principale : Fran�ois L�otard (mais J.-C. viendrait aussi pour notabiliser Le Chevallier [6], un peu comme Peyrat � Nice).
Le 12 d�cembre 95, une photo de Marchiani en compagnie de Chirac et de Millon (alors ministre de la d�fense) fera la Une des journaux, pour c�l�brer le r�le d�cisif du haut fonctionnaire dans la lib�ration de deux pilotes fran�ais, prisonniers du g�n�ral serbe Mladic apr�s que leur avion a �t� abattu au dessus de Pale le 30 ao�t, lors du conflit de Bosnie.

Un RPR couillu. Pr�fecture du Var, donc : lors du premier rendez-vous que Marchiani donne � la presse, il lance : « le Var est un tr�s beau d�partement, o� il n’y a pas plus d’affaires qu’ailleurs ». Le FN vient d’�tre �lu sur les ruines d’un syst�me politico-mafieux, juste apr�s l’assassinat d’un d�put� de la R�publique (Yann Piat), mais c’est un d�tail.
Le nouveau pr�fet alterne les parades en costume immacul� et des travaux beaucoup plus discrets, toujours ces r�seaux � mettre en place ou consolider.
Il fait vivre � Jean-Marie Le Chevallier ses plus beaux jours : c’est gr�ce au soutien z�l� du Corse, voire � ses propres initiatives quand l’inertie et le manque d’imagination chroniques du FN se font trop �vidents, que Ch�teauvallon [7] conna�t ses d�boires, ainsi que les rappeurs de NTM, etc. On se souviendra de certains propos officiels, tels celui-ci : « en tant que repr�sentant de l’Etat, en tant que chr�tien et en tant qu’homme, je ne peux laisser passer une telle atteinte � la dignit� de la femme et de la m�re de famille » (� propos des initiales NTM, pour Nique Ta M�re).
Sa stature tr�s virile et "droiti�re" est aussi appr�ci�e des tenants du Palais de Justice, ainsi que du pr�sident de la Chambre de Commerce et d’Industrie Dominique Poggi (une tendresse tout insulaire ?).
Marchiani se r�gale, joue des renseignements particuliers qu’il poss�de sur ses interlocuteurs, mais la dissolution pr�matur�e de l’Assembl�e nationale en 97 met un terme � l’aventure.
Selon les crit�res de l’int�ress�, on doit pouvoir dresser un bilan plut�t positif de son action varoise : la carri�re politique de Fran�ois L�otard a sombr� [8] ; le clan Fargette, mafia jadis proche du PR toulonnais [9], est d�cim� (mais rassurez-vous, un nouveau clan a repris les affaires) ; Leuch a quitt� le FN.
Seul b�mol, et de taille : l’homme qui fera rena�tre la Droite locale de ses cendres est encore issu du s�rail UDF, il se nomme Hubert Falco.

Le parlement europ�en comme bulle immunitaire. La vie professionnelle de Jean-Charles se poursuit � partir d’ao�t 97 dans un placard des locaux de la pr�fecture de Police parisienne : Pr�fet hors cadre, Marchiani devient "secr�taire g�n�ral de la zone de d�fense de Paris", une promotion qu’il doit au gouvernement Jospin. Cela durera jusqu’en 1999, ann�e des �lections europ�ennes. Une nouvelle lubie. Les parades en costume blanc et les photos en pleine lumi�re lui ont donn� des id�es. Finie l’ombre, Marchiani se recycle en hom’politic. Il est �lu au parlement europ�en sur la liste souverainiste de son mentor Pasqua. Puis il postulera en 2001 � la mairie de Toulon, juste pour le fun. Et repartira en 2004, en pleine tourmente judiciaire, � l’assaut de son mandat europ�en qui lui garantissait une certaine tranquillit� vis-�-vis des juges... Cette fois-ci, les �lecteurs la lui refuseront.

Mis en examen dans cinq dossiers, Jean-Charles dort en prison depuis le 2 ao�t dernier. Pour le consoler, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin vient de lui restituer "m�caniquement" son statut de pr�fet hors-cadre, avec prise d’effet r�troactif le 20 juillet. Depuis cette date, il est officiellement sorti de sa bulle parlementaire.

Ce qu’on lui reproche

Jean-Charles est l’innocente victime d’un odieux complot. Voil� ce que c’est de trop bien servir la Nation. Vous devez subir l’acharnement de juges en service command�, revanchards, communistes, voire m�me continentaux :
puce Mis en examen depuis mai 2001 dans le cadre de l’affaire des ventes d’armes pr�sum�es � l’Angola. Une commission de 3,5 millions d’euros serait pass�e par ici ("trafic d’influence" et "recel d’abus de biens sociaux").
puce Mis en examen depuis janvier 2004 dans un volet de l’affaire Elf. Une commission de 4,2 millions d’euros serait pass�e par l� ("recel d’abus de biens sociaux").
puce Mis en examen depuis ao�t 2004 pour une commission de 1,3 million d’euros peut-�tre per�ue � l’occasion d’une vente de chars Leclerc aux Emirats Arabes Unis au milieu des ann�es 90 ("recel d’abus de biens sociaux" et "trafic d’influence aggrav�" vu qu’� l’�poque de l’�ventuel r�glement, J.-C. �tait d�j� parlementaire europ�en).
puce Mis en examen depuis ao�t 2004 pour une commission de 1,48 million d’euros peut-�tre per�ue d’une soci�t� n�erlandaise � l’occasion d’un contrat sign� par la soci�t� A�roports de Paris, portant sur un syst�me de tri de bagages automatique ("recel d’abus de biens sociaux").
puce Mis en examen depuis ao�t 2004 pour le blanchiment (peut-�tre) d’une partie de l’�ventuelle ran�on destin�e � la lib�ration des otages au Liban en 1988, ran�on que le gouvernement de l’�poque, via son ministre de l’Int�rieur Charles Pasqua, a toujours ni� avoir vers�e ("recel d’abus de biens sociaux").

Revue de bons mots

« Jean-Charles Marchiani est le seul pr�fet de la R�publique qui a lib�r� 11 otages sans que cela ne co�te un seul sou aux contribuables.  » Jacques Tr�molet de Villers, avocat du susnomm�, d�plore l’incarc�ration de son client (2 ao�t 2004).

« Le nouveau préfet du Var (Jean-Charles Marchiani) n’est pas un homme à se laisser marcher sur les pieds. C’est exactement ce dont a besoin le département qui souffre depuis trop longtemps du mélange de la politique et de l’affairisme.  » Le Toulonnais, bulletin municipal de la capitale du Var, décembre 1995.

« Nous allons faire une liste de rassemblement composée de gens qui n’ont jamais été impliqués dans les affaires qui ont défrayé la chronique. » Jean-Charles Marchiani, candidat aux municipales à Toulon, le 1er avril 2000.

« Il n’y aura pas d’accord de désistement, de combine, c’est pas le genre de la maison. » Idem.

« Le travail à Strasbourg est particulièrement inintéressant, voire débilitant. Compte tenu de mon statut, être élu aux européennes me permettait de bénéficier d’un détachement de droit, faute de quoi j’étais soumis au bon vouloir du gouvernement.  » Jean-Charles Marchiani, élu au Parlement européen, est interrogé par Var matin en avril 2000.

« Voter Jean-Charles Marchiani, c’est défendre une France française dans une Europe européenne, c’est voter utile pour la France. » Sur le tract de campagne de Jean-Charles Marchiani, postulant à nouveau au Parlement européen, juin 2004.

« Il n’y a pas de services secrets mais des services de renseignement, j’étais un serviteur de l’Etat comme un autre. » Jean-Charles Marchiani, candidat aux municipales, le 25 janvier 2001, débat organisé par le club de la Presse.

« Je suis un agent secret. Je ne veux pas voir les journalistes. Je n’ai rien à dire, pas même à ma femme. Je n’ai de compte à rendre qu’au Premier ministre Jacques Chirac et au ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. » Jean-Charles Marchiani, émissaire pour la libération des otages, le 5 mai 1988, (propos rapportés par Libération, 2 août 2004).

«  Je garde de l’estime pour ce grand serviteur de la France, qui a prouvé à maintes fois son courage. [...] Si j’étais moi-même pris en otage, j’aimerais être libéré par Jean-Charles Marchiani. » Jean-Marie Le Chevallier, maire de Toulon (1995-2001), regrette le d�part du pr�fet Jean-Charles dans un communiqu� de presse dat� du 17 juillet 1997.

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[1] Le roman de l’aventurier est la mise � jour d’un article paru dans Cuverville n°36, mai 1999.

[2] Nom affectueux donn� aux locaux du SDECE.

[3] Front de Lib�ration Nationale, organisation alg�rienne qui gagnera la guerre d’ind�pendance (et le pouvoir pendant 30 ans).

[4] Service Action Civique. Fond� en 59, parfois sobrement qualifi� de "service d’ordre gaulliste", c’est une redoutable milice aux multiples usages, qui sera dissoute en 82 apr�s la "tuerie d’Auriol" : l’assassinat d’un ancien membre de l’organisation avec 5 membres de sa famille.

[5] in l’Evenement Du Jeudi, 21 d�cembre 1995.

[6] Alias Leuch, maire de Toulon �lu sous l’�tiquette Front national, 1995-2001.

[7] Centre culturel �tabli sur la commune voisine d’Ollioules, et symbole de l’opposition r�publicaine pendant les ann�es FN.

[8] Ministre de la D�fense (1993-1995), il aurait peut-�tre d� accepter que Jean-Charles prenne les commandes de la DGSE comme le Corse en avait para�t-il �mis le souhait...

[9] Parti R�publicain, une des anciennes branches de l’UDF, celle sur laquelle p�rorait Maurice Arreckx.

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