Suite et fin du roman de la dalle (lire la première partie ici). François Trucy (UDF-PR) et Jean-Marie Le Chevallier (FN) ont dilapidé l’argent de Toulon pour venir en aide à des promoteurs dans le besoin. Il faut bien que l’impôt serve à quelque chose. Leuch aimait d’ailleurs qu’on dise de lui qu’il gérait sa ville "en bon père de famille".
Hubert Falco (UMP) fera-t-il mieux ?
FALCO hérite en 2001 d’un ex-projet de "médiathèque publique" devenu avec le temps "complexe cinématographique privé". Nom de code : « Palais Liberté ».
Problème : il n’y a plus de grand écran ni de projecteur au programme car UGC a retiré ses billes. Pour un projet de complexe cinématographique, ça la fout mal. Huberman va alors supplier la compagnie EuroPalaces, propriétaire de Pathé et Gaumont, de s’intéresser à l’entreprise. Un "multisalles" Pathé est déjà installé à 20 mètres du futur Palais (sur la place de la Liberté) et s’y trouve très bien. Pour convaincre le distributeur de déménager, l’équipe municipale nouvellement élue propose le montage suivant : Pathé reçoit en don ses futurs locaux du Palais tandis que la Ville rachète à la compagnie son vieux multisalles pour la somme de 1,5 millions d’euros.
Tope la ! EuroPalaces finit par accepter. Il faudrait être particulièrement pisse-froid pour refuser le cadeau. D’autant qu’avec le déménagement, la surface d’exploitation augmentera considérablement et le nombre de fauteuils proposés aux spectateurs passera de 1290 à 1610.
Notons que Falco a promis aux Toulonnais de nouvelles salles de spectacle dans l’espace abandonné par Pathé. Force est de constater que près de deux ans après que nous ayons écrit un premier article sur le sujet, la pancarte « la ville de Toulon réalise son théâtre » est toujours solidement installée en devanture, juste un peu plus poussiéreuse qu’avant. Il paraît que tout devrait se débloquer d’ici à la fin 2006. Mais respectons la chronologie.
Remercié par la nouvelle équipe, ou peut-être démissionnaire, le promoteur Buildinvest a déserté le programme et c’est un fond de pension américain, l’investisseur Lone Star [1], qui rachète les droits. Et là... Miracle... Les grues reprennent leur ballet, dix ans plus tard... Le bâtiment se dresse !
Le Palais Liberté, « symbole du renouveau de Toulon » est inauguré en septembre 2003. Symbole du renouveau de Toulon : Falco, bon politique, fait comme s’il était à l’origine de sa construction et réécrit l’histoire à son avantage (avec l’aide des propagandistes de service [2]). Le jour de l’inauguration, le maire se réjouit de l’intérêt que les investisseurs privés portent au « nouveau Toulon ». Eduardo Malone, PDG d’EuroPalaces, lui renvoie : « l’investissement privé, certes, mais vous êtes tellement investi dans ce projet que vous faites partie du succès ! » Bizarrement, les contribuables toulonnais n’ont pas tous été invités à grignoter les petits fours.
Pour l’instant, seuls Pathé et une grande enseigne de brasserie ont investi les lieux. 1600m² de boutiques et 4000m² de bureaux cherchent locataires, le cabinet Jomel est mandaté pour séduire le chaland. Un site web, toujours en activité au moment où ces lignes seront écrites, est créé pour l’occasion avec la petite musique qui va bien et tout : .
Malheureusement, les investisseurs doivent rapidement déchanter. Les chalands n’arrivent pas, les bureaux restent vides.
En 2004, Lone Star revend le Palais à la Compagnie Mutuelle de Bretagne via sa filiale Suravenir. La gestion de la bâtisse passe à la société GPM Management.
Septembre 2005 : les gestionnaires du lieu affirment que les deux tiers des bureaux sont loués. Le service public est là encore venu à la rescousse du privé : les notaires, avocats, cabinets d’expertise et autres toubibs étant toujours aussi peu intéressés par les locaux, ce sont les administrations qui s’y collent. L’antenne toulonnaise du Conseil Régional s’y est installée, tout comme une succursale de la Chambre de Commerce et d’Industrie. On parle aussi d’une annexe de l’ANPE.
Le loyer mensuel est d’environ 1500 euros HT pour un bureau de 100m², plus les charges, plus les 15% d’honoraires à verser à l’intermédiaire qui réalise la transaction (agent immobilier : voilà un beau métier).
Pour finir...
Si l’histoire du Palais Liberté semble désormais écrite, les travaux ne s’arrêtent pas là. Le nouveau maire ambitionne de faire de la place de la Liberté et de ses alentours « un carrefour d’échanges ». « Le programme retenu comprend le réaménagement de la place et de ses accès, son traitement architectural, paysager, sol, mobilier, éclairage, espaces verts, réorganisation des terrasses, intégration de futurs commerces » [3].
6,5 millions d’euros supplémentaires seront ainsi dépensés pour la rénovation de la place, rendue au public au début de l’été 2005 : des pavés pour remplacer le bitume et 50 palmiers à la périphérie en guise d’espaces verts. C’est joli, juste un peu plombé par le soleil estival. Falco souhaite que les Toulonnais « se réapproprient les lieux », mais les vieux restent à l’ombre et les jeunes ne sont pas les bienvenus. On a placardé des mises en garde autour de la nouvelle place : « interdit aux skates, rollers, ballons ». Faut pas niquer les pavés tous neufs, dont les roulettes n’ont de toute façon rien à faire.
Quand l’opposition s’est indignée de la somme investie pour la rénovation en pointant les lacunes de la ville en matière d’accueil pour la petite enfance ou la vétusté des écoles, Falco a dénoncé « des arguments d’une accablante désolation » : « toutes les villes de France ont compris le rôle essentiel de la place dans l’espace urbain, en terme d’attractivité, de redistribution des flux, d’images, d’animation » [4].
Rôle essentiel d’une place, certainement. Mais que dire de deux places ? A une poignée de secondes de la place de la Liberté (à vol de gabian) se trouve en effet un autre espace « attractif en terme de redistribution des flux », tout aussi ombragé, tout aussi accueillant. Il s’agit de la place d’Armes, qu’il n’est pas question de requalifier (une entreprise de BTP achève de couler les nouvelles marches qui permettent d’y accéder depuis la rue Anatole France). Deux places de premier ordre pour deux fêtes du Livre ? Deux foires au vin ? Deux patinoires hivernales ? Délaissées par le public le reste du temps, trop grandes, trop vides ?
« Toulon n’est désormais plus dans une logique de rafistolage, mais bien dans une stratégie de reconquête d’ensemble, pensée et programmée », s’enorgueillit le maire [4]. Bien sûr. Trucy et Le Chevallier disaient d’ailleurs la même chose.
[1] Lone Star est depuis quelques années très intéressé par la côte méditerranéenne. Immeubles à Nice, Sophia-Antipolis, Aix en Provence, Marseille...
[2] ne boudons pas le plaisir de citer les mots de Métropole, mensuel officiellement non officiel, qui évoque « le pari sur la revitalisation du centre ville programmée par le nouveau maire Hubert Falco » dans son numéro 62 d’avril 2003.
[3] Bulletin municipal toulon méditerranée, décembre-janvier 2004.
[4] Var matin, 25 novembre 2004.