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(22/12/2002)

 

 

 

 

 

Joann Sfar, entretien
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jeudi 6 mai 2004

par Iconophage

N� en 1971, Sfar obtient une ma�trise de philosophie avant de se consacrer � la Bande dessin�e, avec Pierre Dubois ou Baudoin comme accompagnateurs. Une dizaine d’ann�es apr�s ses d�buts "officiels" (mais comme la majorit� de ses comp�res, il est n� avec un onzi�me doigt en forme de crayon), on ne compte plus les ouvrages dont cet infatigable conteur, dessinateur et sc�nariste, est signataire. Citons les s�ries Donjon, qu’il co-anime avec Lewis Trondheim, et le chat du Rabbin.

Entretien réalisé par MHG dans le cadre des onzièmes rencontres de la bande dessinée de Bastia, le 3 avril 2004.

Votre production donne l’impression que vous mat�rialisez une histoire � chaque fois que vous en avez l’id�e. Etes-vous d’accord avec �a ?
Non. En fait, je pense � mes histoires tr�s longtemps avant de les dessiner. Mais comme je suis un n�vropathe parano�aque, je suis toujours en train de passer mon temps � imaginer ce qui peut m’arriver de pire. Et cela me terrorise tellement que j’ai besoin de le coucher sur le papier pour m’en d�barrasser un petit peu. En g�n�ral, quand je commence � dessiner une histoire, c’est que je l’ai en t�te depuis deux ou trois ans.

Votre oeuvre est peupl�e de "monstres" - exemple des s�ries Grand Vampire et Petit Vampire [1]. Aviez-vous peur des fant�mes quand vous �tiez petit ? Ecrivez-vous pour exorciser cette peur ?
C’est tout le contraire. J’avais peur que les morts n’aillent nulle part. Qu’il n’y ait pas de vie apr�s la mort. L’id�e qu’il y ait des revenants est extr�mement rassurante. Cela veut dire que l’on peut �ventuellement leur parler, avoir des r�ponses d’eux. Voil� l’attitude qui me fait bouger.
Vous avez remarqu� la d�magogie avec laquelle je prends un accent du sud quand ce sont des gens du sud qui m’interviewent sous pr�texte que j’ai v�cu � Nice ? Je peux tout � fait parler pointu si je veux (rires).

A ce propos, le bassin m�diterran�en ne vous manque-t-il pas ? Vous le retrouvez d’ailleurs un peu dans Le Chat du Rabbin [2] ?
Oui, terriblement. Je pense que c’est un cadeau empoisonn� d’�tre n� sur les rives de la M�diterran�e parce qu’apr�s cela manque. J’aime beaucoup Paris pour tous les copains qui y vivent et pour les possibilit�s que cette ville rec�le. Mais je ne m’explique toujours pas que les rois de France aient fait leur capitale � cet endroit-l� alors qu’ils avaient tout le sud de la Loire qui est beaucoup plus accueillant et o� les gens sont mieux �lev�s.

On a parl� de lieux. Parlons un peu d’�poque. Vous situez la plupart de vos histoires dans un temps qui n’est pas contemporain. Pourquoi ?
Il y a des choses que l’inconscient collectif met longtemps � assimiler, les nouvelles formes, les nouveaux objets, et c’est vrai que je pr�f�re dessiner de vieilles voitures ou de vieilles maisons, mais dans lesquelles on vit encore aujourd’hui. Quand on demande � un gamin de dessiner une maison, il dessine souvent un toit en tuiles m�me si il n’y en a pas chez lui. J’essaie de travailler avec des images qui de mani�re inconsciente font �cho chez les gens. Donc pas forc�ment des images photographiques.

Vous dessinez, vous �crivez des sc�narii pour d’autres auteurs. Quelle sera votre prochaine �tape ? Un roman ?
Vous �tes bien inform�e. Je sors le mois prochain aux �ditions Deno�l une histoire qui s’appelle L’Homme Arbre [3], qui est ornement�e d’aquarelles, et qui a beaucoup � voir avec mes lectures enfantines de Tolkien. C’est de l’H�roic fantasy d’Europe de l’Est.

Vous �tes donc tr�s prolifique. N’avez-vous pas peur dans quelques ann�es, lorsque vous vous retournerez sur votre production, de vous �tre un peu noy� parfois dans toute cette masse ?
Moebius, qui est un de mes ma�tres, m’a dit : tu peux essayer de te trahir mais tu n’y parviendras pas. Si l’on travaille de mani�re tr�s �go�ste, c’est � dire uniquement pour son propre plaisir on ne peut pas beaucoup se fourvoyer. Si on essaie de faire plaisir aux autres, cela peut devenir probl�matique. J’ai toujours fait des histoires par n�cessit�. Cela m’aide � me lever le matin. Beaucoup, pas beaucoup, on n’a pas vraiment de contr�le sur le rythme sur lequel on travaille. Je ne me force pas � faire beaucoup de choses.

Vous ne renieriez pas le syndrome Frank Zappa...
Je suis super fan de Frank Zappa. Je ne crois pas que quand on fait moins de choses on les fait forc�ment mieux. Je ne suis pas dans la tradition du chef d’oeuvre. Je suis tr�s oriental dans mon go�t du dessin et je crois que l’on travaille un geste pendant toute son existence et que le dessin que l’on fait porte la trace de tous ceux que l’on a fait avant. Je travaille � perfectionner ce geste-l�. Je n’entends pas sortir des livres parfaits. J’essaie de sortir des livres amusants, distrayants. Je suis un feuilletoniste. Je veux que les gens aient envie de savoir la suite. L’imperfection ne m’emp�che pas de dormir. Un dessin de bande dessin�e, c’est cam�ra sur l’�paule : il faut que le dessin donne envie de basculer dans la case d’� c�t�. Si c’est trop bien compos�, on va plonger dans ce dessin-l� et ne pas aller dans celui d’� c�t�. On con�oit un dessin de BD comme un tableau sauf qu’on le fout en l’air un petit peu, � un moment. Les auteurs que j’aime beaucoup sont des gens comme Hugo Pratt qui dessinait plein de pages chaque jour. On dit que j’en fais beaucoup mais John Buscema quand il faisait Conan, dessinait 10 pages par jour. Moi j’en fais une ou deux. Ce n’est pas comparable.

Donc, vous avez encore de la marge ?
Je ne tiens pas � aller plus vite non plus. Si j’�tais Japonais on trouverait que je suis plut�t lent.

Quels sont vos go�ts en mati�re de bandes dessin�es ? Etes-vous int�ress� par les mangas ?
Il y a des choses que j’aime beaucoup. Enfin, tout le monde lit �a : je trouve tr�s bien en ce moment ce que fait Jir� Tanigushi. J’aime beaucoup Posy Simmonds qui a fait Gemma Bovery il y a quelques ann�es et qui vient de sortir un livre qui s’appelle Literary Life o� elle raconte la vie litt�raire en Angleterre. Cela me pla�t �norm�ment. Je suis dans une p�riode o� je lis peu de bandes dessin�es. Je lis plut�t des livres pour enfants. Des Roald Dahl.

Vous lisez aussi de la philosophie. Vous avez illustr� Le Banquet de Platon, Candide de Voltaire. Alors, le prochain philosophe sera qui ? Luc Ferry ?
(Rires) Cela serait tr�s dr�le !! Contrairement � Luc Ferry, je ne crois pas que l’on puisse donner un sens � la vie et je ne crois pas que l’on puisse donner des cl�s au bonheur, quoique lui ait fait probablement le bonheur des �ditions Odile Jacob...

...Et des enseignants.
(Rires) Oui. Il leur a donn� des pav�s pas tr�s dangereux � jeter. Moi je vais m’occuper de Fran�ois Rabelais qui a pour lui d’avoir �t� assez peu au gouvernement. Je vais essayer de parler de Pantagruel et je vais essayer de le faire avec ma bite et mon couteau, c’est � dire sans lexique, sans explications. Je vais voir si on peut se d�brouiller tout seul avec le texte de Rabelais qui n’est pas de l’Ancien Fran�ais, qui est vraiment du Rabelais. Pour moi, moderniser Rabelais, c’est un peu comme si on voulait actualiser les chansons de Brassens. Ou on les �coute, ou on ne les �coute pas. Je vais voir ce qu’il reste de Rabelais et ce que j’y comprends comme �a.

Merci et bonne continuation � Bastia.
C’est moi qui vous remercie et je vous demande vraiment pardon pour la fois o� j’ai p�ch� des rascasses dans le golfe de Porquerolles. Je le ferai plus.

Lire aussi : Sfar fait son cin�ma.


[1] Grand Vampire, tomes 1, 2, 3 & 4, Delcourt 2001, 2002, 2002 & 2003. Petit Vampire, tomes 1, 2, 3, 4 & 5, Delcourt 1999, 2000, 2001, 2002 & 2003.

[2] Le Chat du Rabbin, tomes 1, 2 & 3, Dargaud, Poisson Pilote 2002, 2002 & 2003.

[3] L’Homme Arbre, tome 1, Deno�l 2004.