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Joann Sfar, entretien
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Emmanuel Guibert, entretien
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jeudi 6 mai 2004

par Iconophage

N� en 1964, Guibert a commenc� sa carri�re professionnelle en �crivant des story-boards pour le cin�ma ou les clips vid�o. Il publie Brune, une bande dessin�e sur la mont�e du nazisme, en 1992 - sept ans apr�s l’avoir commenc�e. Son trait, �pur�, parvient � maturit� dans la revue Lapin. La fille du Professeur, sur sc�nario de Joann Sfar, est son premier succ�s public. Suivront La guerre d’Alan, Les Olives noires, ou Le Capitaine �carlate [1]...

Entretien réalisé par MHG dans le cadre des onzièmes rencontres de la bande dessinée de Bastia, le 3 avril 2004.

Quel est le poids de l’oralit� dans votre travail, et notamment dans votre derni�re �uvre, Le Photographe [2], r�alis�e avec Didier Lefevre ?
Mon copain Didier m’a racont� une mission qu’il a effectu�e avec M�decins Sans Fronti�res, il y a presque dix-huit ans, en Afghanistan, en 1986. Il me l’a racont�e avec des mots, et je l’ai enregistr�e. Je suis l’heureux possesseur d’une montagne de cassettes presque aussi �lev�e que les cols de 3000 ou 5000 m�tres qu’ils devaient passer pour rejoindre les lieux o� ils op�raient. Et � partir de cette montagne de cassettes, je r��coute, je transcris, je distille et j’en tire mon livre.

Cette d�marche est quand m�me atypique. Pourquoi ne privil�giez-vous pas votre propre imaginaire ?
Mais il m’arrive de le faire aussi, m�me en parall�le. Tous les mois je ponds entre vingt et quarante pages d’histoires de fiction. Je pense que je ne pourrais pas faire l’un sans l’autre. J’ai besoin de raconter des choses qui naissent de l’imagination la plus libre et la plus d�brid�e et puis dans le m�me temps j’ai besoin de raconter des choses de l’ordre de la vie la plus quotidienne et �a m’�quilibre ; c’est comme deux jambes.

Par rapport � cette d�marche de cr�ation qui consiste � utiliser les r�cits d’autres personnes, on peut remarquer que dans votre travail, notamment dans vos dessins, le d�cor n’est pas tr�s pr�sent ; vous semblez privil�gier le rapport � l’autre, les personnages au premier plan. Cette �pure dans votre dessin est-elle due � un respect par rapport � la m�moire de l’individu (La Guerre d’Alan) ? A une difficult� � vous figurer un environnement auquel vous n’avez pas �t� directement confront� (Le Photographe) ? Ou est-ce que vous bridez votre propre imagination ?
Il y a deux cas : Le Photographe m�lange des photographies et des dessins ; les photographies par essence sont descriptives puisqu’elles montrent la r�alit�. Donc il y a un certain nombre de choses dites par l’image photographi�e qui n’ont pas besoin d’�tre redites par l’image dessin�e. Quand mon lecteur sait o� je l’ai install�, dans un village, dans une plaine, dans une montagne, je peux me permettre sur certaines cases de le l�cher dans le d�cor si j’ose dire, de lui faire suivre des personnages en occultant le d�cor alentour pour la simple et unique raison que le lecteur sait parfaitement � quoi ressemble ce d�cor : il l’a vu deux ou trois images avant, il le reverra deux ou trois images apr�s. Donc �a permet un effet de focale et de concentration sur l’action ou la conversation elle-m�me. La Guerre d’Alan, c’est un peu diff�rent ; il s’agissait d’un r�cit qui s’enracinait dans une r�alit� v�cue plus de quarante ans auparavant. L� le blanc des dessins a une fonction particuli�re : c’est le blanc de la m�moire, de l’impr�cision, c’est la n�cessit� de ne pas repr�senter un r�cit d’une mani�re exag�r�ment r�aliste comme si je l’avais v�cu ou comme si j’�tais en train de le vivre, c’est la n�cessit� vitale de raconter un r�cit en indiquant d’embl�e au lecteur qu’il s’agit de quelque chose de l’ordre du pass� et m�me du pass� lointain avec tout ce que �a comporte d’impr�cision, de brouillard.

N’essayez-vous pas de contrecarrer, ou de r�agir contre cette impr�cision avec votre livre sur les croquis de paysages qui s’appelle La campagne � la mer [3] ? N’est-ce pas pour vous une fa�on de vous adonner pleinement au dessin de paysage ?
La campagne � la mer est un bouquin paru il y a deux ans aux �ditions Ouest France, qui est en fait une collection de croquis regroup�s, choisis dans mes carnets (je fais des carnets de croquis depuis un peu plus d’une dizaine d’ann�es), que je n’ai pas faits dans le but de les publier. Il s’est trouv� qu’un jour un �diteur est venu me voir en me disant « on sait que vous faites �a et �a nous plairait d’en faire des livres », et j’�tais d’accord. Et l�, effectivement, c’est un journal graphique qui correspond au besoin spontan� qu’ont les dessinateurs de dessiner. Moi, quotidiennement, si j’ai un petit carnet sous le bras et un outil pour laisser des traces dessus, j’ai du bonheur � retenir des instants plaisants par le dessin, � d�couper des petits morceaux de r�el et � les coller dans mon carnet. Parce que s’ils sont bien consign�s, bien dessin�s, il y a de fortes chances que cinq, dix, quinze ans apr�s, en rouvrant le carnet, ils me restituent la gr�ce de ce moment-l�, la lumi�re qu’il faisait, les gens avec lesquels j’�tais. Donc ce bonheur-l�, j’y associe mon lecteur : si on me propose d’en faire des livres, je suis d’accord. L� on en pr�pare un sur Paris, qui va �tre un gros bouquin de cinq cents pages, que l’on veut farcir de dessins et de textes, de la m�me mani�re. �a correspond � des choses que j’ai sous le bras, que j’ai sous le coude, qui sont des dessins que j’ai faits depuis des ann�es. Pourquoi pas ? Ce ne sont pas des choses que je garde pour moi, je fais circuler �a au milieu des copains comme �a ils ont des nouvelles de moi, nouvelles que j’ai � c�ur de partager avec des lecteurs que je ne connais pas.

Vos BDs t�moignent du souci de la narration, puisque vous �tes un grand raconteur d’histoires. Est-ce que vous envisagez d’�crire un roman, comme votre camarade Joan Sfar ?
Je l’ai fait, et il est m�me paru. J’ai fait un petit roman rigolo, qui est une couillonnade pour rire, que j’ai eu beaucoup de plaisir � �crire, qui s’appelle Les Poixons [4] et qui est justement paru dans la collection de mon copain Joan. On est donc en plein dans le n�potisme. J’aime beaucoup �crire des romans, je vais essayer d’en �crire autant que je pourrai, peut-�tre un par an � compter de cette ann�e. Je pense que quand on aime �crire et dessiner, la BD s’impose �videmment puisque c’est un moyen de m�langer les deux, mais elle n’est pas n�cessairement suffisante. On peut avoir le bonheur de faire des romans par ailleurs et puis n’importe quel type de textes et de dessins qui ne sont pas des dessins de narration, qui sont juste des dessins de captation, de l’ambiance ext�rieure, ou de ses propres �tats d’�me.

Le Capitaine Ecarlate �tait inspir� par une nouvelle de Marcel Schwob [5]. Vous avez un rapport privil�gi� � la litt�rature ? Quelle a �t� la part d’inspiration par rapport � cette nouvelle et par rapport � la litt�rature en g�n�ral ?
La litt�rature, c’est une partie de ma vie depuis que je sais lire, une partie importante, quotidienne. Comme beaucoup de gens, j’aime les livres, j’aime lire les livres, j’aime les histoires. Donc tout naturellement toutes ces histoires m’ont impr�gn�, influenc�. Si j’en �cris moi-m�me aujourd’hui c’est gr�ce ou � cause de �a. En l’occurrence je crois que tout �crivain ou toute personne qui t�te de pr�s ou de loin � la narration fera la r�ponse que je viens de vous faire. On �crit parce qu’on a lu g�n�ralement.

Par rapport au Photographe, connaissez-vous les �uvres de Joe Sacco qui a �crit sur Gorazde et sur la Palestine [6] ? Comment vous situez-vous par rapport � ce travail proche de l’enqu�te journalistique ?
Oui, je connais Joe Sacco, qui est venu d’ailleurs � Bastia, c’est l� que je l’ai rencontr� il y a deux ou trois ans ; c’est un gars formidable, qui fait un tr�s beau travail (tr�s diff�rent du mien) d’immersion dans ces lieux ; il se prom�ne, et il en ram�ne ce journal de rencontres qu’il fait avec des gens, dans des zones bless�es souvent. Donc, il questionne, il rencontre, il en fait �tat dans ses livres. C’est un gars qui fait un travail remarquable.


[1] La fille du Professeur, Humour libre, Dupuis 1997. La guerre d’Alan, 2 volumes, l’Association, Ciboulette 2000, 2002. Les Olives noires, avec Joann Sfar, 3 volumes, Dupuis 2001 � 2003. Le Capitaine Ecarlate, avec David B., Aire Libre, Dupuis 2000.

[2] Le Photographe, tome 1, Dupuis, Aire Libre 2003.

[3] La Campagne � la mer, Ouest France, Lecteur de l’imaginaire 2002.

[4] Les Poixons, Editions Breal 2003.

[5] Marcel Schwob, �crivain fran�ais n� � Chaville le 23 ao�t 1867, d�c�d� � Paris le 12 f�vrier 1905. Oeuvres principales : Coeur double (1891), Le livre de Monelle (1896), Les vies imaginaires (1896).

[6] Gorazde, tomes 1 & 2, Rackham 2001 & 2004. Palestine, tomes 1 & 2, Vertige Graphic 1996 & 1998.