Toulon, port colonial 2004

 

samedi 14 août 2004
par Saint-Just

Une exposition rappelant le r�le des troupes coloniales dans le d�barquement de Provence et la Lib�ration de Toulon s’�tait tenue tout au long de l’hiver 2003-2004 dans la ville concern�e. Travail de m�moire afin que « les g�n�rations qui prendront la rel�ve pour la survie de la France » n’oublient jamais ce « qu’elles doivent aux Africains qui venaient de loin ». L’�lection du FN � Toulon en 1995 et plus r�cemment le saccage de tombes musulmanes dans des carr�s militaires en Alsace [1] t�moignent de la gratitude de certains vrais Fran�ais, qu’on retrouve sans doute parmi ceux qui parlent bien et ne portent pas de casquette Lacoste, � l’�gard de ces combattants.
M. Chirac avait donc fait le maximum pour les c�r�monies du 15 ao�t. Ces diff�rents affronts auraient d� �tre r�gl�s par une bonne bouffe et une promenade en mer le long des c�tes varoises, entre les marches du festival de Cannes et le quartier chic du Cap Brun de Toulon, en passant par la Voile Rouge � Saint-Tropez.

anque de bol, certains Toulonnais sont des coriaces et entendent bien pousser leur chansonnette contestataire. Les haut-parleurs sont parlementaires : Genevi�ve L�vy (d�put�e de Toulon) et Claude Goasguen (d�put� de Paris n� � Toulon). Les deux comparses ont pondu une missive � l’intention de l’ami Barnier, ministre des Affaires �trang�res, dans laquelle, avec les anciens combattants et les rapatri�s d’Alg�rie, ils « s’indignent de cette invitation de la France qui repr�sente une insulte � la m�moire de ceux qui sont tomb�s pour lib�rer la France et que Monsieur Abdelaziz BOUTEFLIKA a toujours ignor�s, voire bafou�s » [2]. Parmi les soixante d�put�s ayant cosign� la lettre, nous retrouvons fort logiquement Philippe Vitel. Genevi�ve L�vy pr�cise qu’elle ne demande « pas l’annulation de cette invitation » [3] ; la politique est d�cid�ment un jeu subtil.

Si nous ne sommes pas surpris de "l’indignation" de nos deux d�put�s toulonnais, puisqu’ils cultivent avec d’autres �lus locaux des liens �troits avec les cercles alg�rianistes, nous ne devons pas non plus nous �tonner de celle de M. Goasguen. De sensibilit� madeliniste, cet ancien recteur d’acad�mie qui fait aujourd’hui carri�re � Paris aurait commenc� son parcours universitaire � la corpo de droit en scandant « Alg�rie fran�aise ! » aux c�t�s de Jean-Marie Le Pen.

Le gouvernement n’a pas fl�chi et adopte une attitude claire par le biais de son ministre d�l�gu� aux Anciens Combattants, Hamlaoui Mekachera, selon lequel « il est utile de pr�ciser qu’aucune confusion n’est � faire entre cette page d’histoire �crite en commun en ao�t 1944 et d’autres �v�nements ult�rieurs, aussi douloureux soient-ils ». M. Mekachera assure qu’un « l�gitime et digne hommage » sera rendu « ï¿½ nos alli�s et � l’ancienne arm�e d’Afrique » [4]. Certains �ditorialistes se sont montr�s plus v�h�ments � l’encontre des parlementaires revanchards. « Quoi que l’on puisse penser d’une sanglante guerre achev�e il y a 42 ans, le temps n’est pas aux pol�miques politiciennes. Ces �lus UMP auraient mieux fait d’aller voir l’exposition photographique organis�e au jardin du Luxembourg par le S�nat, dont le pr�sident, Christian Poncelet, est �galement UMP. Cela leur aurait rappel� que la plupart de ces soldats de l’arm�e d’Afrique �taient nord-africains ou d’Afrique noire et qu’ils ont, par dizaines de milliers, donn� leur vie pour une patrie qui n’�tait pas vraiment la leur. Car, une fois rentr�s au pays, les tirailleurs alg�riens qui avaient connu l’�galit� devant la mort sur les champs de bataille ont compris, notamment en mai 1945 � S�tif, qu’ils ne seraient pas des �gaux dans la soci�t� coloniale fran�aise. Et, encore aujourd’hui, un ancien combattant camerounais touche de la R�publique une pension de 7 euros par mois » [5]. De quoi renvoyer les signataires alg�rianistes � leurs ch�res �tudes.

Arnaud Montebourg (PS) est de son c�t� mont� au cr�neau pour protester contre la venue du pr�sident de Djibouti, Isma�l Omar Guelleh. Celui-ci est soup�onn� d’avoir particip� � l’assassinat du juge Borrel, ancien conseiller du ministre de la justice djiboutien, mort en 1995. Le Quai d’Orsay a indiqu� qu’il b�n�ficiera de l’immunit� diplomatique lors de son prochain d�placement en France pour l’anniversaire du d�barquement de Provence. Comme tous les autres autocrates, d’ailleurs. Aucun d�put� ne s’est encore �mu de la venue de Ben Ali, pr�sident � vie de la Tunisie, d�mocratiquement �lu par son bulletin. Ni de celle du pr�sident togolais Gnassingb� Eyad�ma, ancien de la "coloniale", pr�sident r�guli�rement et d�mocratiquement �lu par les b�tes sorties « de la brousse pour voter pour lui » (Ahmadou Kourouma) depuis... 1967.
Nul ne s’est publiquement indign� de la tartufferie de la France, prompte aujourd’hui � honorer des soldats coloniaux alors qu’elle a largement contribu� � la mise en place de dictatures dans les anciennes colonies. Et ce n’est pas notre ami de trente ans, Jacques Chirac, qui inversera la tendance, lui qui pense que « sans l’Afrique, la France deviendrait une puissance de troisi�me rang ». D’ailleurs, avec ou sans Chirac, « les Africains ont appris � ne plus trop compter sur la France pour sortir des dictatures ou du sous-d�veloppement. Beaucoup sont conscients que le continent, ses mati�res premi�res, sa position strat�gique, ses votes aux Nations unies "ne comptent plus" et que les Blancs - militaires, entrepreneurs, missionnaires, et m�me le charity-business - s’en vont. Ils remettent en cause le "d�veloppement" tel qu’il �tait prescrit par les experts des anciennes m�tropoles coloniales, reconvertis � partir des ann�es 1960 dans l’id�ologie a priori g�n�reuse de la coop�ration » [6].

Qu’est-ce qu’on se fait chier le 15 ao�t !

Les c�r�monies du d�barquement ne dureront de toutes fa�ons qu’une journ�e, le temps de quelques tours dans l’eau et d’un discours officiel (suivi d’actes d�j� aussi attendus que ceux cons�cutifs au discours de Johannesburg). Les affaires s�rieuses reprendront d�s lundi. Claude Goasguen en fr�tille d’impatience. Il souhaite installer un vrai trait� d’amiti� entre l’Alg�rie et la France. Selon lui, « l’Europe devrait s’inspirer de ce qu’ont fait les Etats-Unis et le Canada avec le Mexique. Nous avons int�r�t au d�veloppement �conomique de l’Alg�rie. Mais il faut poser sans d�faillance la question de l’immigration maghr�bine. Dans le domaine de la s�curit�, nous comptons aussi sur l’Alg�rie pour rechercher les islamistes fondamentalistes » [7]. La France, terre d’humanistes !

NDLR : Pour bien comprendre la nature profonde (et �lectoraliste) de l’indignation de la d�put�e L�vy, on l’associera � celle des vieux routiers (pas tr�s sympas) du FN toulonnais, dont les id�es sont � ce point martell�es qu’elles en deviennent presque �videntes. Lire � ce sujet une br�ve de la LDH publi�e en r�action � un article apolitique de Var matin.

[1] 6 ao�t 2004 : 15 tombes musulmanes sont profan�es au cimeti�re militaire de Cronenbourg (Bas-Rhin). Des croix gamm�es et des signes SS ont �t� trac�s � la peinture sur les tombes de soldats musulmans morts pendant la seconde guerre mondiale.

[2] Extrait de la lettre dat�e du 13 juillet 2004.

[3] Le Monde, 9 ao�t 2004.

[4] Le Figaro, 7 ao�t 2004.

[5] Editorial du Monde, 10 ao�t 2004. Pour en savoir plus sur les pensions des anciens combattants coloniaux, voir ici.

[6] In Malaise dans la coop�ration entre la France et l’Afrique, Le Monde diplomatique, juin 2002.

[7] Interview de Claude Goasguen dans Le Figaro du 7 ao�t 2004. Pour conna�tre les fabuleux effets des �changes commerciaux entre les USA, le Canada et le Mexique, consultez l’excellent site du R�seau d’information et de solidarit� avec l’Am�rique Latine.