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Les fiches bricolage du Palais Bourbon

Amis l�gislateurs : sachez vous sortir de l’embarras gr�ce � l’article 575 du code des imp�ts

jeudi 12 juin 2003
par Gilles Suchey

Comment r�diger une loi "neutre" d’un point de vue comptable ? Pour alimenter les caisses de l’Etat, quel contribuable peut-on encore solliciter sans nuire � la morale lib�rale ? Robert Molinari, d�put� moyen de la R�publique, nous aide � comprendre certains m�canismes.

EN 2002, le gouvernement italien entreprenait de r�duire le budget allou� � la recherche et � l’enseignement sup�rieur.
Ces orientations suscit�rent un v�ritable toll�, plusieurs recteurs d’universit� d�missionn�rent. D’autant que Berlusconi et ses amis, souhaitant l’apaisement, n’avaient rien imagin� de mieux que la compensation suivante : les budgets des facs seraient cr�dit�s d’une partie des b�n�fices cons�cutifs � une nouvelle hausse du prix des cigarettes [1] !

La bonne id�e berlusconienne peut faire sourire, elle n’est pas surprenante. Car remplir les caisses d’un Etat lib�ral reste une affaire complexe. Quand on syst�matise l’aide au secteur priv� � renfort d’exon�rations ou de baisses de charges, quand on d�veloppe les moyens de la police, de la justice et de l’arm�e et qu’on envisage parall�lement la baisse de l’imp�t sur le revenu, la marge de manoeuvre se r�duit. On peut bien s�r mettre la p�dale douce sur certaines activit�s dispendieuses et non "rentables", comme l’�ducation, les transports collectifs, la sant�, essayer de diminuer le nombre de fonctionnaires en plaidant la "r�duction du d�ficit public", cela ne suffira peut-�tre pas.
Surtout, soulignons-le encore, quand la simple �vocation des mots "fisc" et "pr�l�vements" entra�ne des r�actions � rapprocher de celles du vampire devant le nez duquel on agiterait une gousse d’ail.

Being Robert Molinari

Pla�ons-nous un instant dans la peau d’un partisan gaulois de la doctrine lib�rale. Endossons un costume en laine peign�e. Chaussons du cuir italien, nouons une cravate de soie. Nous voil� d�put� UMP.

Nos �lecteurs, amis ou convictions nous poussent � �tablir un projet de loi. Nous demandons � notre secr�taire une feuille blanche, la pla�ons bien en vue sur le bureau tout neuf de notre nouvelle permanence. Puis nous commen�ons � t�ter un stylo en fixant le plafond.
Pour la phase de r�daction concernant l’objectif de la loi, l’inspiration vient rapidement. Nos �lecteurs, amis ou convictions nous surveillent et dispensent leurs conseils.
Parfois, un effet de la loi sera de grever les finances publiques. Parce qu’elle dispensera un groupe de contribuables de certaines charges fiscales, ou qu’elle imposera � l’Etat de nouvelles participations financi�res.

Pour mieux cibler � quoi ressemble un projet de loi "co�teux", prenons trois exemples :

puce Soit la proposition de loi n°167, enregistr�e � la pr�sidence de l’Assembl�e nationale le 1er ao�t 2002. Pr�sent�e par Le d�put� Jean-Luc Reitzer, elle est relative � la distillation en franchise des droits d’une partie de la production des r�coltants-producteurs d’eau-de-vie naturelle. Il s’agit de r�tablir le privil�ge des bouilleurs de cru, une exon�ration fiscale pour la distillation dans la limite d’une production de 10 litres d’alcool pur par an. Le retour de l’eau-de-feu. Le retour des foies campagnards gros comme des �ponges. Le retour de la t�le froiss�e contre les platanes. Evidemment, en franchisant, on baisse les revenus de l’Etat.

puce Soit la proposition de loi n°790, enregistr�e � la pr�sidence de l’Assembl�e nationale le 10 avril 2003. Pr�sent�e par le d�put� Philippe Folliot, elle vise � la r�gulation de la d�mographie m�dicale et � l’accessibilit� des soins sur l’ensemble du territoire. Pour que les toubibs rechignent moins � s’installer � la campagne, l’Etat leur verserait quelques aides directes, les collectivit�s territoriales les exempteraient de taxe d’habitation et de taxe fonci�re pendant deux ans. Evidemment, en aidant et en exon�rant, on baisse les revenus de l’Etat.

puce Soit la proposition de loi n°325, enregistr�e � la pr�sidence de l’Assembl�e nationale le 15 octobre 2002. Pr�sent�e par le d�put� Thierry Mariani, elle modifierait la loi Lang relative au prix du livre en vue de pr�server la qualit� du march� et le r�seau fran�ais de librairies. Pour prot�ger les petites librairies menac�es par les grossistes de la distribution culturelle, Mariani souhaite que les biblioth�ques, les �tablissements scolaires, les comit�s d’entreprises [2] ne puissent plus b�n�ficier des remises autoris�es par la "loi Lang" [3]. Avec un taux de remise maximum de 15% du prix du livre, Mariani sauve le petit commerce. (Qu’il rende plus difficile l’acc�s � la lecture n’est pas son probl�me.) Evidemment, en diminuant les r�ductions accord�es aux collectivit�s territoriales, on augmente les charges de l’Etat.

Un bon imp�t est un imp�t mort. Sauf...

Elu responsable, nous ne pouvons soumettre au Palais Bourbon un projet de loi d�s�quilibr� d’un point de vue comptable. Ce que d’un cot� la loi pr�voit de soustraire � l’Etat, il faut qu’elle l’ajoute de l’autre.

A force de labeur, les d�put�s Reitzer, Folliot et Mariani ont trouv�, pour asseoir leur projet, des sources de financement compensatoire. En fait, ils sont arriv�s aux m�mes conclusions. Les trois propositions de loi expos�es ci-dessus s’ach�vent par les mots suivants : "Les charges �ventuelles (ou La perte des recettes et l’augmentation des charges) qui r�sulteraient pour l’Etat de l’application de la pr�sente loi sont compens�es, � due concurrence, par la cr�ation d’une taxe additionnelle aux tarifs vis�s aux articles 575 et 575 A du Code G�n�ral de Imp�ts"...
...Et les articles 575 et 575 A du CGI concernent le prix du tabac manufactur�. La taxe sur les cigarettes est un imp�t indirect � rapprocher de la TVA. Du salari� au patron, chacun paie le m�me paquet de s�ches au m�me prix : la taxe sur le tabac n’est pas tr�s juste.
Mais elle est morale, car fumer, c’est p�ch�.
Raison pour laquelle les l�gislateurs en panne d’inspiration l’utilisent � tour de bras.

Pour ne s’en tenir qu’aux projets de loi � l’�tude au moment o� ces lignes sont �crites [4], plus de 100 (soit un cinqui�me des textes d�pos�s � l’Assembl�e nationale et la tr�s grande majorit� des projets "co�teux") en appellent � l’augmentation du prix de la cigarette !
Cela va du projet visant � �tendre le taux de TVA de 5,5% � l’ensemble de la restauration (791) � celui qui pr�conise de revaloriser le bar�me fiscal applicable � l’usufruit (801), etc. Une v�ritable auberge espagnole.
Et l’UMP n’a pas l’exclusivit� de la rengaine. Socialistes, Verts et communistes savent aussi invoquer l’article 575 et pointer l’engoudronn� [5].
A titre de comparaison, seules 3 propositions de loi envisagent de relever la taxe sur le pari mutuel (le tierc�) ! Quelques chiffres pourtant : si en 2001, l’Etat empochait 10,42 milliards d’euros sur le dos des fumeurs [6], en 2002, il r�cup�rait tout de m�me plus de 4 milliards dans les poches des joueurs (loto, PMU, etc.) [7].

Comment ne pas dresser un parall�le entre l’exploitation syst�matique du fumeux filon et les derni�res directives de Jean-Fran�ois Mattei ? Quand le ministre de la sant� entend bouter la nicotine hors des poumons de l’hexagone et � cette fin, augmenter encore et toujours les taxes sur le tabac manufactur�, on peut en effet se demander si ses motivations rel�vent de la sant� publique ou de la comptabilit�... A-t-il eu vent des multiples projets de ses compagnons de route ?

Appr�cions le paradoxe : l’inflation du prix des cigarettes a pour but de les rendre inaccessibles aux faibles budgets. On souhaite pourtant que la consommation perdure afin de conserver, par les taxes aff�rentes, les revenus de l’Etat...
A en croire un vieux rapport d’information de la commission de finances du s�nat, ce ne serait pas incompatible : "...Le doublement du prix du paquet de cigarettes n’entra�nant pas une r�duction proportionnelle de la quantit� consomm�e, cet accroissement [se] traduit � la fois par une augmentation forte des d�penses des fumeurs [...] et par un accroissement des recettes des producteurs et distributeurs, mais aussi de l’Etat. Au total donc, les taxes sp�cifiques sur le tabac exercent un impact positif � la fois sur les recettes fiscales et la sant� publique..." [8].

Mais tout cela me d�passe. Moi, Robert Molinari, d�put� moyen de la R�publique, suis d’ailleurs inscrit au club des parlementaires fumeurs de Havane. La fum�e me brouille-t-elle l’esprit ? Force est de constater mon manque d’inspiration chronique. Alors, quand il s’agit de composer un projet de loi pr�judiciable au bien public, je ne feins m�me plus de chercher des financements compensatoires. J’assume le copier-coller : "...Charges �ventuelles ...A due concurrence... Articles 575 et 575 A...".
Dommage que ni Jean-Pierre ni Fran�ois n’aient eu vent de la m�thode. Ils auraient pu l’adapter. Le paquet de gitanes � 50 euros et hop ! La retraite par r�partition �tait sauv�e.

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Tous les projets de loi sont consultables sur le site de l’Assembl�e nationale.

[1] L�gende d’un dessin publi� par le magazine Science en d�cembre 2002 : "Warning : giving up smoking could seriously damage Italy’s universities". Slogan adapt� sans vergogne par Cuverville : "Ne pas fumer nuit gravement � l’enseignement priv�" est un article compl�mentaire � celui-ci.

[2] Autrement dits "acheteurs particuliers".

[3] Loi du 10 ao�t 1981 sur le prix du livre. Cette loi n’impose pas de limite aux r�ductions accord�es par les librairies ou grossistes � l’intention des "acheteurs particuliers".

[4] Certains ont d�j� �t� vis�s par le s�nat, d’autres finiront au placard.

[5] Voir le projet communiste n°368, envisageant le "suivi sanitaire des essais nucl�aires fran�ais" : en quelque sorte, pour pr�venir le cancer de la thyro�de, le PC propose de cultiver le cancer du poumon.

[6] Somme destin�e avant tout au financement de la S�curit� sociale et des 35 heures. Source : CDIT.

[7] Source : Le Monde Argent, 8-9 juin 2003.

[8] La concurrence fiscale en Europe : une contribution au d�bat, Philippe Marini, rapporteur g�n�ral, 1999. Texte sur les "�lasticit�s de la consommation de tabac" ici.

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  • BRAVO ! 23 octobre 2005, par


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