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La vie des �lus - Entretien avec Philippe Chesneau

dimanche 11 janvier 2004

Parce qu’en 1998 la droite de Chirac ne voulait pas d’une alliance avec celle de Le Pen, le socialiste Michel Vauzelle se retrouva pr�sident de la R�gion Provence Alpes C�te d’Azur. Philippe Chesneau h�rita ainsi de la « commission emploi ». 6 ans plus tard, malgr� la difficult� d’une gestion minoritaire, malgr� les affrontements id�ologiques, les �checs et les compromis, l’�colo reste vert et envisage un nouveau mandat. Entre deux r�unions, il nous entretient de son job de repr�sentant du peuple.

« Impatient et patient »

POURQUOI un militant devient-il candidat aux �lections r�gionales ?
Pour concr�tiser, �tre dans la cr�ation et pas seulement le d�fensif. Avant, je ne comprenais pas pourquoi lorsqu’on amenait de bons dossiers aux �lus ils nous disaient « ouais c’est tr�s bien », mais il n’y avait jamais rien de concr�tis�. Et puis j’ai compris. C’est clair : plein de candidats sont �lus avec comme premier objectif d’�tre r��lus. Je me rappellerai toujours les plaisanteries de certains coll�gues au lendemain de l’�lection : « bon maintenant, on a six ans pour se faire r��lire ». Quand tu es �lu, tu dois �tre impatient et patient. Impatient parce qu’il faut pousser au cul, parce que les collectivit�s locales sont des bureaucraties qui fonctionnent toutes seules mais ne produisent rien de nouveau, qui ne peuvent que reproduire ce qu’elles savent d�j� faire. Donc il faut �tre teigneux et batailler comme un chien. Et en m�me temps, il faut �tre patient face � l’inertie. Et trop souvent, les �lus baissent les bras, parce qu’il y a toujours d’autres trucs qui s’ajoutent aux dossiers en cours... On a du pouvoir au-del� de l’imaginable. Mais tu as du pouvoir si tu es disponible, pr�sent. J’ai arr�t� ma vie professionnelle, je suis donc �lu � plein temps, ce que je ne voulais pas au d�but : je me disais qu’il fallait conserver mon travail pour rester « au contact ». Mais si tu veux faire correctement ton boulot d’�lu, il faut au moins un temps plein.

Si la vie d’un simple �lu est si remplie, que penser de ceux qui cumulent les mandats ? Ils ne dorment pas la nuit ?
A la limite, si tu n’as pas de responsabilit�, de d�l�gation, tu fais autre chose, je veux bien. Mais � mon avis, m�me le boulot d’�lu r�gional te prend un plein temps. D’abord parce que la r�gion est grande... Brian�on, Nice, Marseille. Tu vas dans les Alpes Maritimes, tu as trois heures de transport � l’aller, trois heures de transport au retour, tu passes ta journ�e pour une r�union. Mais inversement ce qui est int�ressant, c’est que tu es indemnis�. 11000 et quelques francs par mois, nets d’imp�t, ce qui permet d’assumer cette vie-l�. Un �lu de la ville de Toulon qui n’a pas de d�l�gation dispose d’indemnit�s d�risoires qui ne lui permettent pas d’obtenir ne serait-ce qu’un mi-temps. C’est vachement important d’arriver � convaincre les gens : si tu veux avoir des �lus qui sont sur le terrain, qui bossent, qui travaillent, qui apprennent, il faut qu’ils aient les moyens de vivre ! Sauf le mec qui est rentier. Il y en a. Pendant longtemps, le monde politique �tait quasiment un monde de rentiers.

Alors donc, quand un �lu cherche plusieurs mandats, c’est en fait pour cumuler les indemnit�s qui lui permettront d’assumer correctement sa t�che ?
C’est un leurre. La bataille � mener concerne le statut de l’�lu. Un mandat unique, et pas plus de deux mandats cons�cutifs. D�j�, je me pose la question sur deux mandats parce que je trouve que c’est long. Deux mandats qui se suivent sur la m�me fonction c’est un maximum. Mais en revanche, il faut que pendant ce mandat, tu aies les moyens de faire le boulot. Si tu es par exemple maire d’une petite ville, c’est un boulot � mi-temps, tu touches des indemnit�s qui te permettent de bosser � mi-temps. Il y a des cas o� tu ne peux pas avoir �a. Quelqu’un qui a une profession lib�rale ou qui est artisan, commer�ant, agriculteur, ne peut pas travailler � mi-temps. Il faut donc qu’il ait un rempla�ant et une indemnit� en regard. �a co�te, mais il faut assumer. �a veut dire qu’on paye les gens � faire le boulot. En �change, ils sont redevables. Ce sont les d�put�s qui devraient l�gif�rer l�-dessus, mais ils ne veulent pas. On a bien vu ce qui s’est pass� � l’occasion du d�bat sur la parit� homme-femme. Ils s’y sont mis parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement... Il y a une grande marge entre le discours des gens et leurs actes. Les �lecteurs sont trop gentils.

Ils ne sont pas gentils, ils sont d�sabus�s.
J’ai vu beaucoup de candidats qui avaient des casseroles au cul se faire brillamment r��lire. A un moment donn�, je suis pour critiquer effectivement l’�lu, mais il faut aussi mettre l’�lecteur devant ses responsabilit�s.

Il ne faut pas faire du cas Balkany une g�n�ralit�. Ce qui se passe plus souvent, c’est que l’�lecteur moyen s’abstient. Parce que ces probl�mes de casseroles concernent tous les partis. Vers qui l’�lecteur peut-il se retourner ?
C’est exactement l� qu’est la question. Il y a un grand courant de r�volte. Pour des raisons de condition de vie, tout simplement.

Mais l’�lecteur n’a pas encore assez faim.
On sait bien que la faim n’am�ne pas la r�volte. Ce ne sont pas les pays les plus affam�s qui sont les plus revendicatifs. Quand tu es affam�, tu t’occupes d’abord de bouffer et de faire bouffer ta famille. La vie sociale passe apr�s. Le probl�me n’est pas l�. Le probl�me est que si effectivement il y a de la r�volte, il n’y a pas d’espoir. Il y a une grande d�ception et c’est une trag�die. La d�sesp�rance se traduit en abstention ou en vote extr�miste. C’est � pleurer.

Gauche, droite : « il y a des degr�s dans la connerie. »

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Avant, Philippe Chesneau �tait un type sympa.

Comment r�ussir � g�rer la majorit� toute relative du Conseil R�gional ? Il est vrai que le probl�me ne se posera plus apr�s les prochaines �lections [1]...
Quand on veut concr�tiser des dossiers, il y en a des pas trop durs, et d’autres vraiment titanesques. D�j�, il faut convaincre la gauche, et apr�s il faut aller convaincre la droite. Parce qu’effectivement, on est en majorit� relative. Donc si la droite vote contre... Sur tous les dossiers emploi ou presque, l’extr�me droite a vot� contre, ce qui m’a un peu rassur� d’ailleurs. Donc il faut aller baratiner la droite, et ce n’est pas rigolo. D’une certaine mani�re, tu rampes. Mais je reste assez proportionnaliste... C’est l’expression de la d�mocratie. Au sein des commissions, j’ai r�ussi, petit � petit, � trouver des �lus de droite qui �taient � peu pr�s fr�quentables et normaux, avec lesquels on a pu travailler dans le sens de l’int�r�t g�n�ral. Apr�s, quand on arrive en s�ance pl�ni�re, on retombe dans les sch�mas traditionnels, o� les �lus de droite, m�me s’ils sont d’accord avec ton projet, votent contre. C’est du th��tre total, il y a des grandes envol�es lyriques, c’est � chier. �a fait partie d’une culture fran�aise un peu tragique. Je ne suis pas s�r qu’un syst�me majoritaire am�liorera les choses, parce que l’opposition n’aura plus qu’� se taire... C’est une tentation de ne plus faire participer les gens en face de toi. Mais le probl�me � mon avis n’est pas seulement de faire participer les �lus de l’opposition, c’est de faire participer ce qu’on appelle la soci�t� civile, les gens ordinaires, les gens de la vie. Parce que c’est eux qui savent. Un des premiers gros dossiers que j’ai trait�s concernait les ch�meurs. On a un fonds r�gional d’innovation sociale pour les collectifs de ch�meurs. Ils envoient leurs dossiers aux techniciens de la r�gion, on en d�bat dans des tables rondes o� sont pr�sents des �lus, des techniciens et les repr�sentants des comit�s. Petit � petit on s’est fabriqu� une culture commune, c’est important parce que �a �duque les �lus. Arriver � travailler comme �a, tout le monde y gagne. Les ch�meurs apprenaient � conna�tre les contraintes techniques et les probl�matiques politiques ; les techniciens et les �lus apprenaient � conna�tre ce que c’est que la vie d’un ch�meur. C’est une d�marche originale, il n’y en a pas beaucoup en France.

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...Mais depuis qu’il �marge au Conseil r�gional, il se la p�te en cravate.

Cela doit demander un investissement tr�s important...
En temps, oui, mais il s’agit de petits budgets, des subventions qui montent � 50000 francs, des sommes ridicules pour la R�gion, mais pas ridicules du tout pour les comit�s de ch�meurs ! Alors c’est vrai, concr�tement, il y a un tas de trucs dans la r�gion PACA o� on n’est pas au niveau. Mais sur plein d’autres domaines, compar� � d’autres r�gions de France, on est dans le haut du panier. Et �a on ne le fait pas savoir.

Quoi par exemple ?
Le transport des ch�meurs. Ils ont une carte de solidarit� qui leur permet une r�duction et de ne payer que 10% du prix du train. Il n’y a aucune r�gion qui fait mieux en France. On a aussi boss� sur les emplois jeune et leur p�rennisation. On est cit� en exemple � Bruxelles pour les dispositifs mis en place. Personne ne le sait. Il y a aussi « l’autre » �conomie, dite alternative. Sur cette �conomie-l�, en PACA, on met plus d’un million d’euros par assembl�e pl�ni�re. En France, on est une des r�gions qui travaillent le plus sur cette �conomie. En la mati�re, il y a des trucs bien et des trucs moins bien. Mais au moins, il appara�t que cette �conomie l� n’est pas faite pour faire du pognon. Ce n’est pas une �conomie capitaliste destin�e aux actionnaires pour qu’ils s’en foutent plein les poches, une �conomie ax�e sur le profit maximum imm�diat. La droite me dit : « les emplois que tu aides � cr�er, ce n’est pas de la vraie �conomie, on n’en veut pas, c’est de la merde. Nous ce qu’on veut, c’est aider les entreprises. » C’est de la vraie politique... Pour en revenir sur le fait que les gens sont d�sesp�r�s de la droite et de la gauche, moi pendant longtemps, j’ai eu le m�me r�flexe. Et m�me si je reste critique � l’�gard de la gauche classique, il y a une m�chante diff�rence. Avec la gauche classique on arrive � faire passer des choses int�ressantes, avec la droite �a ne marche pas. Il y a des degr�s dans la connerie. Pendant 5 ans, j’ai fait des alliances ponctuelles avec tel �lu PS ou tel �lu PC pour obtenir la majorit�. Au sein de la gauche, il y a des failles, il y a des gens qui sont ouverts. Mais il y en a plein qui ne sont pas � l’�coute de ce qui �merge, ce sont des gens qui ne produisent plus rien de nouveau. Ils ne sont pas transformateurs du monde. Il sont accompagnateurs du monde, et donc accompagnateurs de la soci�t� capitaliste. Moi ce qui m’int�resse, c’est de mettre des grains de sable dans les rouages de la machine capitaliste. Mais faut pas r�ver, tu ne fais pas la r�volution quand tu es �lu ! La transformation de la soci�t� se fera par les gens, et les �lus les accompagneront. C’est tout.

Quand Vauzelle �voque son programme, tout ce qu’on entend c’est qu’il faut voter pour lui car il va faire obstacle au FN.
C’est une bonne remarque. On a men� une r�flexion en disant : ce n’est pas une bataille contre le FN mais contre la droite...

Mais n’est-ce pas une bataille pour quelque chose ? D�fendre une utopie, une action ?
Je ne sais pas les infos que vous avez, mais tout ce que je peux dire, en se limitant � Toulon, c’est qu’il m’est arriv� d’envoyer des communiqu�s � Var matin concernant les actions r�alis�es. Soit �a ne passe pas, soit c’est caricatur�. Je me rappelle d’un article, en gros : « Chesneau est encore content de lui ». Mais comme description des actions : que dalle ! Il y a un vrai probl�me, une censure. Il y a une ligne �ditoriale qui fait que des choses ne passeront pas.

Quand un pr�sident de r�gion s’adresse aux m�dia nationaux, il sait qu’il y a une exploitation possible de ses propos. Il pourrait peut-�tre cibler son intervention de mani�re � ce qu’on ne puisse pas isoler le contexte. Il peut r�duire son intervention. Si tu dis trop de choses aux journalistes, tu es cuit.
C’est une critique pertinente concernant Vauzelle.

Les �lus sont pourtant au courant du fonctionnement des m�dia...
Comment lutter ? Si vous avez des id�es, je suis preneur.

D�j�, ne jamais parler de Le Pen ! Ce n’est pas lui qui fait la campagne politique des r�gionales !
L� o� je partage vos sentiments, c’est que Le Pen disait r�cemment : « je n’ai rien � faire, les autres travaillent pour moi ». S’il s’agit de faire peur, on a d�j� donn�. L’extr�me droite gagne toujours quand les forces r�publicaines sont faibles. Le vrai combat contre Le Pen est de montrer qu’il y a une alternative � la soci�t� actuelle. C’est m�me comme �a qu’on combat la droite.

C’est pas gagn�... Ni DSK ni Fabius ne font r�ver le peuple de gauche... A la limite les bikers, pour le second...
L� �a fait rigoler. Effectivement, si on n’a que �a pour r�ver, on va faire des cauchemars !

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Entretien r�alis� par Emanuel Haumant et Gilles Suchey, le 11 d�cembre 2003.

[1] Le mode �lectoral a chang�. Voir le d�tail ici.

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