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LETTRE D'INFORMATION |

La Seyne et les l�gendes du roi Arthur

samedi 25 mars 2006
par Saint-Just

Reprenant le vieil adage communiste, le roitelet Arthur Ier de La Seyne se fait un devoir de raser le pass�. Enfin, pas n’importe lequel...

EN cette ann�e 2006, Arthur Paecht annonce le retour � la version "originale" des armoiries de la ville de La Seyne : deux poissons, cinq pains et un Louis. Vaste programme. Le bon roi Arthur joue sur la corde sensible pour l�gitimer ce projet ambitieux : les Seynois m�ritent bien de ce blason � l’ancienne tant la ville fut martyre de la Seconde Guerre mondiale.

Ne voyez pas, braves gens, d’ironie facile envers le choix courageux du premier consul seynois, car redorer le blason originel de cette bonne vieille ville a demand� un long travail d’investigation. Les vassaux ont durement fouill� dans les archives municipales pour se rapprocher du Graal. Ces armoiries tant et tant reproduites portent-elles pains, ou brioches sur l’�cu ?
La peur d’une guerre civile a certainement interdit au premier magistrat de proposer un r�f�rendum. Car mine de rien, par ce retour au blason old school, le roi Arthur lutte contre les communautarismes qui gangr�nent notre belle R�publique la�que. Preuve en est cette image issue du site internet de la ville :

Le maire nous pr�cise tout de m�me qu’avec la R�publique, la couronne comtale et la croix qui surmontaient le blason furent remplac�es par des tours, tandis que le laurier et le ch�ne prirent la place des deux rameaux de sagne. Bref : Arthur ne retient du blason originel que les sardines et les miches, c’est-�-dire les ingr�dients pour faire un bon missel.

Manipulation du pass� qui n’est pas sans rappeler le geste de M. Le Chevallier en son temps en la ville voisine de Toulon. Dans le m�me souci de renouer avec on ne sait quelle identit� toulonnaise, Leuch avait jet� � la poubelle les logos arty de son pr�d�cesseur et d�poussi�r� le vieux blason de la ville [1]. Les v�hicules, le journal municipal, les lampadaires, les bennes � ordure furent mis au go�t d’hier. S’inventer un pass� donnerait de l’�paisseur � du vent... « La m�moire est la vie, toujours port�e par des groupes vivants, et � ce titre, elle est en �volution permanente, ouverte � la dialectique du souvenir et de l’amn�sie, inconsciente de ses d�formations successives, vuln�rable � toutes les utilisations et manipulations, susceptibles de longues latences et de soudaines revitalisations » (Pierre Nora [2]).

Etablir une relation entre Le Chevallier et Paecht n’est pas fortuite. Cela aurait pu se passer ailleurs que dans ces lignes, un jour de 1980 par exemple. Le 14 juin, pour �tre plus pr�cis. Le ministre Jacques Dominati inaugurait la premi�re st�le en France � la gloire de l’OAS [3], aux c�t�s d’un certain Arthur Paecht (et aussi de Jean-Claude Gaudin). Leuch avait �t� quant � lui secr�taire g�n�ral de la f�d�ration "R�publicains Ind�pendants" (RI) d’Ille-et-Vilaine de 1971 � 1975, puis, jusqu’en 1976, directeur du cabinet de Jacques Dominati alors secr�taire g�n�ral de la f�d�ration nationale des RI. Le monde est petit.

Sous le pont levant croule La Seyne

L’�pop�e du blason ne constitue qu’une bataille dans la croisade men�e par le roi Arthur pour annihiler le pass� industriel de sa ville. Sa lutte est m�thodique, pugnace m�me. Le brave consul brandit � la moindre contestation de ses ouailles une menace de d�part en rase campagne. « On veut m’emp�cher d’aller au bout de cette reconversion. C’est du sabotage organis� [...] A la veille de passer � l’acte on veut nous poignarder » [4]. Manque le cor de Rolland...

Arthur n’est pas le premier venu des rh�toriciens. Il sait que les mots sont des armes qui servent � conqu�rir les territoires imaginaires. D�sirant ancrer la Seyne dans un pr�sent radieux, Arthur sait que « le processus de localisation d’un souvenir dans le pass� [...] ne consiste pas du tout � plonger dans la masse de nos souvenirs comme dans un sac, pour en retirer des souvenirs de plus en plus rapproch�s entre lesquels prendra place le souvenir � localiser. [...] Le travail de localisation consiste en r�alit� dans un effort croissant d’expansion par lequel la m�moire, toujours pr�sente toute enti�re � elle-m�me, �tend ses souvenirs sur une surface de plus en plus large et finit par distinguer ainsi, dans un amas jusque-l� confus, le souvenir qui ne retrouvait pas sa place » (Henri Bergson [5]).

Manque de pot pour le patrimoine industriel, il se trouve dans la zone d’expansion des vis�es touristiques du maire. La cantine n’est pas d’une grande beaut� architecturale. Elle est dans le pur style de ce que pouvaient nous pondre les architectes deux d�cennies apr�s la seconde guerre mondiale. Son auteur, Albert Henry [6], architecte toulonnais, fut �galement le concepteur du b�timent de la Caisse d’Epargne � Toulon, futur si�ge de l’agglom�ration, et de la piscine du Port Marchand (toujours � Toulon) dont les bateliers du port s’amusent � raconter qu’il lui manque deux centim�tres pour �tre olympique. Mais la cantine est-elle plus immonde que la mairie ? moins amiant�e ? Il lui manque du Vasarely sur les murs.
La clinique reste, quant � elle, une belle bastide proven�ale en pierre, reconnue saine et r�habilitable par l’architecte des B�timents de France. Elle est, malheur � elle, non pas une figure pagnolesque � la gloire du p�re, mais le symbole de l’immigration italienne dans la r�gion toulonnaise pour les besoins de main-d’oeuvre de l’industrie navale [7]. La clinique rappelle que le quartier de la Lune �tait un gourbi avant d’�tre convoit� par les b�tonneurs. Egalement symbolique du genre de service qu’on peut accoler � une entreprise, alors qu’aujourd’hui la mairie ferme son centre m�dico-social [8]. Elle �tait en quelque sorte "l’ambulance" de l’usine prodiguant aux bless�s les premiers soins.

Pour balayer tout cela, le maire invoque la s�curit� du public. « si tu veux tuer ton chien, dis qu’il a la rage », scie tr�s utile. Ainsi, le vassal d’Arthur d�l�gu� � la pr�vention des risques Robert Morini affirme que ces deux b�timents « contiennent une forte quantit� d’amiante » [9]. Or les rapports d’expertise sur l’amiante, le plomb et les termites auraient montr� qu’il n’y a pas de termites pour grignoter les boiseries des b�tisses, qu’il n’y a pas de plomb dans la clinique, que l’amiante est pr�sente dans la cantine dans une faible proportion (13 �chantillons sur 40). Seule son ossature pr�senterait des d�formations tout � fait r�parables [10].

Le roi Arthur m�nera � terme sa campagne de d�molition. C’est sa contribution pour donner un air de riviera � la c�te toulonnaise. De quoi laisser songeur plus d’un ancien ouvrier et aussi Nathalie Bicais, ren�gat de la majorit� : « en effa�ant la m�moire, ceux qui auraient d� sauvegarder la Navale en son temps ne voudraient-ils pas aussi effacer les traces de leur �chec ? ».

Laissons pour conclure la parole � Maurice Halbwachs : « Si nous examinons d’un peu plus pr�s de quelle fa�on nous nous souvenons, nous reconna�trions que, tr�s certainement, le plus grand nombre de nos souvenirs nous reviennent lorsque nos parents, nos amis, ou d’autres hommes nous les rappellent. [...] Le rappel des souvenirs n’a rien de myst�rieux. Il n’y a pas � chercher o� ils sont, o� ils se conservent, dans mon cerveau, ou dans quelque r�duit de mon esprit o� j’aurais seul acc�s, puisqu’ils me sont rappel�s du dehors, et que les groupes dont je fais partie m’offrent � chaque instant les moyens de les reconstruire, � condition que je me tourne vers eux et que j’adopte au moins temporairement leurs fa�ons de penser. [...] C’est en ce sens qu’il existerait une m�moire collective et des cadres sociaux de la m�moire, et c’est dans la mesure o� notre pens�e individuelle se replace dans ces cadres et participe � cette m�moire qu’elle serait capable de se souvenir » [11].

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[1] Blason d’azur � la croix d’or, l’�cu timbr� de la couronne murale d’or cr�nel�e � cinq tours. La devise « Concordia parva crescunt », (les petites choses croissent par la concorde) n’a pas fonctionn� pour l’ubu.

[2] « Entre m�moire et histoire. La probl�matique des lieux », in Les lieux de m�moires, Paris, Gallimard, 1984.

[3] Lire sur le site de la LDH Toulon - Marignane : histoires de st�les et de plaques.

[4] Var Matin, 3 f�vrier 2006.

[5] Mati�re et m�moire, Paris, Alcan, 1896.

[6] Revue des Forges et Chantiers de la M�diterran�e, n° 26, novembre 1962, 4�me ann�e.

[7] Voir des photos de la cantine et de la clinique ici.

[8] sur la fermeture du CMS, lire la propagande officielle de la Ville et aussi un vieil article de Cuverville analysant la situation.

[9] Var Matin, 4 mars 2006

[10] Le Tribunal Administratif de Nice a retenu, le 28 f�vrier 2006, les motifs de la mairie de La Seyne (dangerosit� etc.) et le manque de motivation de l’architecte des B�timents de France. Lire La cantine fait de la r�sistance.

[11] Les cadres sociaux de la m�moire, Paris, Albin Michel, 1994.

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  • La Seyne et les l�gendes du roi Arthur 4 avril 2006, par (1 r�ponse)
  • Le bonheur selon Arthur. 25 mars 2006, par


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