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LETTRE D'INFORMATION |

1er mai, tous derri�re, tous derri�re...

lundi 5 mai 2008
par Saint-Just

... et Nicolas devant, en ligne de mire. Impression apr�s le d�fil� toulonnais � l’occasion de la f�te du travail.

10h30. La place de la Libert� parait vide. Les dalles blanches permettent aux premiers arriv�s d’entamer un discret bronzage en attendant le d�but du d�fil�.

11h. Ils sont venus, ils sont tous l�, syndicats, partis politiques, associations. Elle va partir la mama... nifestation. Les camions sono se mettent en branle. Le disque sur-us� des Motiv�s tourne encore en boucle tandis que le soundsystem des anarchistes �met des sons plus industriels. Tout le beau monde trouve sa place respective. Un drapeau rouge et noir s’est �gar� � c�t� des Verts. Il est rappel� � l’ordre par un anar ligne dure brandissant un drapeau exclusivement noir : « eh ! Notre groupe ferme le cort�ge ! ».

Ce petit �pisode m’a donn� envie de lire un peu de Proudhon. Ses �crits n’ont jamais eu le retentissement de ceux de Voltaire ou de Marx. Ils furent moins lus, � coup s�r, mais ils ont en eux cette volont� de retranscrire l’itin�raire d’un gar�on vacher devenu ma�tre �s anarchisme et d’�riger une id�ologie individualiste de la r�volution sociale.

Une rue de la Loubi�re, derri�re La Poste, porte le nom de Proudhon, comme pour nous rappeler que le philosophe passa par Toulon. Ag� de 19 ans, tout juste sorti du coll�ge, le jeune Proudhon parcourut la France pour se forger par la pratique une id�e du « principe d’harmonie, de pond�ration, d’�quilibre ». Apr�s avoir travaill� quelques semaines � Lyon et Marseille, notre ami se rendit � Toulon avec 3,5 francs en poche. De son propre aveu, il n’avait jamais �t� « plus gai, plus confiant, qu’� cet instant critique ».

Proudhon candide

« ï¿½ Toulon, point de travail : j’arrivais trop tard, j’avais manqu� la "m�che" de vingt-quatre heures. Une id�e me vint, v�ritable inspiration de l’�poque : tandis qu’� Paris les ouvriers sans travail attaquaient le gouvernement, je r�solus pour ma part d’adresser une sommation � l’autorit�.

Je fus � l’h�tel de ville, et demandai � parler � M. le Maire. Introduit dans le cabinet du magistrat, je tirai devant lui mon passeport :

— Voici, monsieur, lui dis-je, un papier qui m’a co�t� 2 francs, et qui, apr�s renseignements fournis sur ma personne par le commissaire de police de mon quartier, assist� de deux t�moins connus, me promet, enjoint aux autorit�s civiles et militaires, de m’accorder assistance et protection en cas de besoin. Or, vous saurez, monsieur le maire, que je suis compositeur d’imprimerie, que depuis Paris je cherche du travail sans en trouver, et que je suis au bout de mes �pargnes. Le vol est puni, la mendicit� interdite ; la rente n’est pas pour tout le monde. Reste le travail, dont la garantie me para�t seule pouvoir remplir l’objet de mon passeport. En cons�quence, monsieur le maire, je viens me mettre � votre disposition.

J’�tais de la race de ceux qui, un peu plus tard, prenaient pour devise : "Vivre en travaillant, ou mourir en combattant !" ; qui, en 1848, accordaient "trois mois de mis�re" � la R�publique ; qui, en juin, �crivaient sur leur drapeau : "Du pain ou du plomb !" J’avais tort, je l’avoue aujourd’hui : que mon exemple instruise mes pareils.

Celui � qui je m’adressais �tait un petit homme rondelet, grassouillet, satisfait, portant des lunettes � branches d’or, et qui, certes, n’�tait pas pr�par� � cette mise en demeure. J’ai pris note de son nom, j’aimais � conna�tre ceux que j’aime. C’�tait un M. Guieu, dit Tripette ou Tripatte, ancien avou�, homme nouveau, d�couvert par la monarchie de Juillet, et qui, quoique riche, ne d�daignait pas une bourse au coll�ge pour ses enfants. Il dut me prendre pour un �chapp� de l’insurrection qui venait d’agiter Paris � l’enterrement du g�n�ral [1] ;

— Monsieur, me dit-il en sautillant dans son fauteuil, votre r�clamation est insolite, et vous interpr�tez mal votre passeport. Il vaut dire que, si l’on vous attaque, si l’on vous vole, l’autorit� prendra votre d�fense : voil� tout.
— Pardon, monsieur le maire, la loi, en France, prot�ge tout le monde, m�me les coupables qu’elle r�prime. Le gendarme n’a pas le droit de frapper l’assassin qu’il empoigne, hors le cas de l�gitime d�fense. Si un homme est mis en prison, le directeur ne peut s’approprier ses effets. Le passeport, ainsi que le livret, car je suis muni de l’un et de l’autre, impliquent pour l’ouvrier quelque chose de plus, ou ils ne signifient rien [2].
— Monsieur, je vais vous faire d�livrer 15 centimes par lieue pour retourner dans votre pays. C’est tout ce que je puis faire pour vous. Mes attributions ne s’�tendent pas plus loin.
— Ceci, monsieur le maire, est de l’aum�ne, et je n’en veux pas. Puis, quand je serai au pays, o� je viens d’apprendre qu’il n’y a rien � faire, j’irai trouver le maire de ma commune comme je viens aujourd’hui vous trouver : en sorte que mon retour aura co�t� 18 francs � l’�tat, sans utilit� pour personne.
— Monsieur, cela ne rentre pas dans mes attributions...

Il ne sortait pas de l�. Repouss� avec perte sur le terrain de la l�galit�, je voulus essayer d’une autre corde. Peut-�tre, me dis-je, l’homme vaut-il mieux que le fonctionnaire : air placide, figure chr�tienne, moins la mortification ; mais les mieux nourris sont encore les meilleurs.

— Monsieur, repris-je, puisque vos attributions ne vous permettent pas de faire droit � ma requ�te, donnez-moi un conseil. Je puis au besoin me rendre utile ailleurs que dans une imprimerie, et je ne r�pugne � rien. Vous connaissez la localit� : qu’y a-t-il � faire ? Que me conseillez-vous ?
— Monsieur, de vous retirer.

Je toisai le personnage [...]

— C’est bien, monsieur le maire, lui dis-je les dents serr�es : je vous promets de me souvenir de cette audience.

En quittant l’h�tel de ville, je sortis de Toulon par la porte d’Italie » [3].

Manifestation, ou tournez man�ge ?

Proudhon s’en alla de Toulon par l’Est.

Bizarrement, la manifestation de ce matin croisera son chemin. Le groupe de manifestants descend le boulevard de Strasbourg, puis le boulevard Clemenceau, tourne autour du b�timent EDF pour refaire le chemin en sens inverse. � quoi sert ce trac� ? � se d�gourdir les jambes ?

La foule ne passera donc pas devant la mairie, sur l’avenue de la R�publique. Oh, ce n’aurait �t� qu’un symbole, mais cela aurait peut-�tre permis de rappeler que M. Falco n’est qu’un Guieu d’aujourd’hui, qu’il est au gouvernement, qu’il vote les lois sur les suppressions de postes, l’allongement du temps de travail et de la dur�e de cotisation, ou sur les franchises m�dicales.

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[1] Les obs�ques du g�n�ral Lamarque en 1832 furent l’occasion d’une importante manifestation populaire qui tourna � l’�meute.

[2] Le livret ouvrier fut instaur� en 1803 par Napol�on, alors premier consul. Tout ouvrier voyageant sans livret est r�put� vagabond et condamn� comme tel. Il ne peut quitter un employeur qu’apr�s lui avoir fait signer le livret, signature devant �tre certifi�e par une autorit�. L’ouvrier ne peut quitter une commune sans le visa du Maire ou de la Gendarmerie, avec indication du lieu de destination. La perte du livret interdit de travailler et de quitter la commune du dernier domicile, jusqu’� obtention d’un nouveau livret.
Tout voyageur, � l’int�rieur m�me du territoire fran�ais, devait aussi poss�der un passeport. Apparu d�s le d�but du XVIIIe si�cle, il �tait au d�part r�serv� aux vagabonds. Il fut ensuite �tendu aux artisans et enfin � tous les citoyens.
Les deux, passeport et livret, tomb�rent en d�su�tude � la fin du XIXe si�cle.

[3] Proudhon, De la Justice dans la R�volution et dans l’�glise, 1858.

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