Toulon  Var agglomération Qualité France Média Economie Culture Justice et injustices Cuverville sans frontière Cuverweb pratique
Maison fondée à Toulon en 1995

LETTRE D'INFORMATION |

Toulon et le rugby � XIII : des cadavres dans le placage

mardi 2 septembre 2008
par Saint-Just

Le transfert du joueur de rugby � treize Sonny Bill Williams aura passionn� le monde de l’ovalie et fournit un des plus beaux feuilletons de l’�t� depuis les Coeurs br�l�s. M�me suspense qui tombe comme un �tron, m�me ridicule de situation, m�me histoire de gros sous. Un �l�ment sp�cifique : la dimension politique de cette farce sportive.

RAPPEL des faits : Le Rugby Club Toulonnais a r�int�gr� l’�lite du rugby fran�ais au terme d’une saison 2007/2008 domin�e de bout en bout par les rouge et noir. Pr�sident Mourad Boudjellal s’est pench� d�s le mois de mai sur le march� des transferts. Parmi les joueurs approch�s, un certain Sonny Bill Williams, treiziste n�o-z�landais au passeport samoan exer�ant ses talents en Australie. De rumeurs en pr�cisions, cette star de l’h�misph�re sud a finalement pris l’avion pour l’Hexagone au d�but du mois d’ao�t. Comme il lui restait plusieurs ann�es de contrat � honorer avec les Canterbury Bulldogs, la justice australienne a menac� de saisir sa maison et son compte en banque. Un accord a pu �tre trouv� entre le joueur et les deux clubs. Williams et le RCT devront s’acquitter d’une compensation aupr�s des Bulldogs.

Boudjellal semble satisfait de l’issue de cette affaire. « Nous avons sign� un mauvais accord mais c’est toujours mieux qu’un bon proc�s ». Pour temp�rer son r�alisme commercial, il tente de nous expliquer que le pauvre Sonny Bill Williams n’�tait plus capable d’honorer moralement son contrat. Sauf que l’int�ress� affirme venir � Toulon pour l’argent. « Si un conducteur de bus gagne 40.000 dollars et qu’on lui offre beaucoup plus ailleurs, que croyez-vous qu’il va faire ? [...] C’est juste du bon sens ». La belle parabole ! Mourad et Sonny �taient faits pour s’entendre, malgr� un dernier compl�ment d’explication fourni par le joueur pour justifier sa fuite vers la France : en Australie, « les clubs nous traitent comme de la viande ».

Les professionnels de la chair � tampons

Le rugby � treize est un des sports rois sur l’�le continent avec un demi-million de licenci�s tandis que le jeu � quinze atteint � peine la barre des 100.000. � ce compte, la manne �conomique est des plus int�ressantes.

� tel point que le magnat de la presse Rupert Murdoch est entr� dans la m�l�e (avec dollars) en cr�ant la Super League pour mettre � bas la concurrence d’un autre patron des m�dias, d�tenteur des droits t�l� de la ligue australienne. Au final, tout ce beau monde s’est entendu autour de la National Rugby League en se partageant le g�teau. Le jeu � treize est devenu une industrie du spectacle prosp�re et l’on conna�t depuis longtemps les cons�quences de ce processus.

« Aujourd’hui plus que jamais, la pratique du sport de haut niveau devient en elle-m�me une atteinte aux droits de l’homme : le corps du sportif est chosifi�, transform� d�s le plus jeune �ge en chair � records, en "morceaux de viande" [...], en missile balistique. Il existe bel et bien un esclavagisme sportif, une exploitation n�gri�re des athl�tes. Gav�s d’exercices physiques d�s l’enfance [...], reclus, encasern�s dans des centres o� la pr�paration confine au conditionnement, bien souvent nourris (parfois m�me � leur insu) de produits dopants hautement nocifs, les sportifs de haut niveau ne sont plus que des instruments aux mains des multinationales, des holdings financiers et des politiques de prestige national. Quant aux pays pauvres [...], ils servent aujourd’hui de r�servoir aux clubs [...] europ�ens qui vont y puiser de la main d’œuvre � bon march�, exploitable et corv�able � merci, revendable, �changeable et � tout moment expulsable vers leur pays d’origine si elle ne donne pas enti�re satisfaction : "La chasse au petit n�gre", � la perle noire est � nouveau ouverte ! » [1].

Mourad Boudejellal reprend le credo des partisans de Jos� Bov� et d�clare qu’ « un joueur de rugby n’est pas de la marchandise ». Pourtant, le joueur Mathieu Horb, t�moigne du contraire. Cet ancien Toulonnais parti � Nice pour la nouvelle saison esp�re que les relations avec le staff seront « un peu moins business » que sur la rade.

Plus largement, c’est la mutation du rugby � XV qui nous fait r�fl�chir. Parce que si Sonny Bill William ne souhaitait plus �tre consid�r� comme de la viande, il ne lui fallait certainement pas signer dans le Top14.

Remontons le temps et penchons-nous sur le foot : Roland Wagner, attaquant au club de Strasbourg, est durement touch� � la cheville lors d’un match de l’�quipe de France contre les Etats-Unis en octobre 1979. Il tient toutefois sa place deux semaines plus tard dans son club gr�ce � une infiltration. � chaque rencontre de championnat ses soigneurs lui r�p�tent l’injection, jusqu’� piquer « directement dans la gaine du tendon ». En mars 1980, le tendon claque tout seul, « comme un �lastique ». R. Wagner est op�r� et reprend l’entra�nement apr�s six mois. L’�lastique p�te une nouvelle fois, d�s la premi�re remise en jambe.

Les cadences infernales concernent aussi le ballon qui tourne pas rond. En 2000, Thomas Castaign�de se rompt le tendon d’achille lors d’un simple �chauffement. Il a jou� sous infiltration pendant un an. En 2008, c’est au tour d’Olivier Milloud, premi�re ligne de Bourgoin-Jallieu, de conna�tre une rupture du tendon d’achille lors d’un entra�nement. Il revenait de convalescence apr�s des probl�mes aux cervicales. R�sultat : six mois d’arr�t. Le rugby � quinze est une industrie qui ne m�nage pas ses travailleurs, comme les autres.

Comment pourrait-il en �tre autrement ? Canal+ a obtenu les droits de retransmission des matchs du Top14 aupr�s de la Ligue Nationale de Rugby, en versant entre 24 et 29 millions d’euros par an avec une mont�e en charge progressive sur quatre ans, pour atteindre un total cumul� de 100 millions en fin de bail. La cha�ne crypt�e a red�coup� les horaires des matchs pour optimiser les droits t�l� et proposer « encore plus » de spectacle.

Si l’on se cantonne � Toulon, le pr�sident Boudjellal investit plusieurs millions d’euros dans le club. La pr�sence de Sonny Bill Williams sur la pelouse du stade Mayol est �valu�e � plus de 300.000 euros par saison. Son patron doit certainement attendre quelques retours sur investissement, m�me si « un joueur n’est pas une marchandise ». Dit de fa�on d�licate et nuanc�e par Boudjellal lui-m�me, cela donne : « quand je vais voir un gros entrepreneur pour le d�marcher et que le mec me dit qu’il ne donnera rien pour le RCT car il est juste venu "tirer un coup" � Toulon, je me sens dans la situation d’une pute. C’est contraire � mes principes de vie » [2].

R�action sportive contre rugby � treize

Le vol de la vedette australienne par le RCT n’est pas la premi�re histoire de rapine du monde capitaliste sportif. Mais il prend ici, dans le rapport entre XIII et XIV, une dimension politique particuli�re.

Le rugby � treize fut interdit par le r�gime de Vichy. � l’origine de cette d�cision le colonel Pascot, Commissaire G�n�ral aux Sports dans le Gouvernement de Pierre Laval et ancien joueur du RCT.

Explication. Le rugby a vu le jour en Angleterre, � quinze. En des temps o� la S�curit� sociale et les avantages du m�me nom n’existaient pas, se blesser en pratiquant son sport favori entra�nait une perte de salaire, voire la perte de l’emploi. C’est ainsi que des petits malins form�rent une ligue pour d�dommager les ouvriers qui jouaient pour leurs clubs. Il y eut donc un rugby � XV amateur et un autre, professionnel. Puis les pro enlev�rent deux joueurs de champ pour assurer — d�j� — plus de spectacle. Ainsi naquit le rugby � treize.
La Ligue fran�aise de jeu � treize s’installa en 1934. La guerre �clata alors que les Fran�ais venaient de remporter le Championnat d’Europe en battant l’Angleterre et le Pays de Galles. On comptait environ 172 �quipes semi-pro pratiquant dans 14 divisions ; 158 autres �quipes amateurs disputaient leurs propres comp�titions. � cette �poque, le rugby � XV perdait ses clubs pour cause d’amateurisme marron, de violence, de dopage, de scissions dans la F�d�ration et de relations internationales rompues avec les Anglo-Saxons depuis l’exclusion de la France du Tournoi des Cinq Nations. Il fallait, pour les partisans de la collaboration avec les nazis, couper court aux sympathies de la Ligue Treiziste avec les Britanniques et stopper le succ�s de ce sport trop connot� Front Populaire. Un rapport sur « L’�tat du rugby en France », paru � la demande de Pascot, affirmait que le rugby � XIII avait contribu� par son professionalisme �hont� au d�faut « d’�ducation morale » qui allait condamner la France � la d�faite. Ce rapport avait �t� r�dig� par le Dr Paul Voivenel, pr�sident honoraire de la FFR, instance supr�me du XV fran�ais [3]. La Ligue fran�aise de Rugby � treize fut dissoute par le d�cret n° 5285 du 19/12/1941. Le XIII �tait ray� de la carte. Son si�ge parisien fut d�truit par les Nazis, les archives br�l�es et ses officiels emprisonn�s. Le XV, lui, r�cup�ra ses fonds, ses joueurs, ses stades et m�me ses �quipements.

Apr�s la Lib�ration, le jeu � treize fran�ais recouvra progressivement ses droits, mais il dut toujours faire face aux coups tordus de son faux-fr�re. Jusqu’en 1995 par exemple, quand Bernard Lapasset, pr�sident de la FFR XV, consid�ra que la finale de France Rugby League (jeu � XIII) pr�vue fin ao�t � B�ziers �tait inacceptable parce qu’elle compromettait la venue des All Blacks. Le maire de la cit� bitterroise pr�f�ra renoncer � louer le terrain au rugby � XIII. Une nouvelle fois, les turbulences internes � la f�d�ration n’�taient pas �trang�res � cette volont� d’�craser le jeu concurrent. Le XV fran�ais franchissait inexorablement la rivi�re du professionnalisme. Son pr�sident se retrouve douze ans plus tard � la t�te de l’organisation du XV mondial avec les caisses bien remplies [4]. Ce m�me Lapasset qui, au nom de l’IRB, souhaite « construire un rugby professionnel partout dans le monde » [5] et qui regarde sereinement l’exode devenue syst�matique des joueurs de l’h�misph�re sud vers la France et l’Angleterre (ils y percevront des salaires autres que ceux vers�s en Afrique du Sud, en Nouvelle-Z�lande ou en Australie).

Cet �t�, Toulon engage deux joueurs de rugby � treize. C’est le symbole � la fois de la pr�dominance du XV sur le XIII et aussi du Nord sur le Sud. D�s�quilibres politiques et �conomiques. Hubert Falco, le 14 juillet dernier, conseillait � Albert de Monaco de monter un club de rugby � la place de sa troupe de football, jug�e trop peu rentable. Et c’est un fait : pour le prix d’un seul joueur de Ligue 1 de football, il est possible de faire vivre un club entier de rugby du Top 14. En toute logique, il faudrait proposer au prince de se payer une �quipe de rugby � treize, de re-d�baucher les stars du Sud venus en France (Gasnier, Williams et autres) et de s’inscrire directement dans la Super League de rugby britannique.

« Le sport est par d�finition comp�tition, exacerbation des tensions et des rivalit�s. Il m�ne � toutes les violences [...]. De cet acharnement dans la recherche de la victoire, par des moyens autoris�s, prohib�s ou tol�r�s, naissent toutes les violences sportives : dopage, robotisation, manipulations biologiques et psychologiques d�s le plus jeune �ge, usure corporelle pr�coce, traumatismes graves, douloureux, bien souvent irr�versibles et parfois mortels. Les beaux discours, les d�clarations de principe [...] restent impuissants devant l’implacable logique sportive du toujours plus. Une logique aujourd’hui contr�l�e par des empires financiers avides de r�sultats, et des Etats ou puissances politiques qui ont appris � tirer tous les b�n�fices du spectacle sportif » [6].

Imprimer Imprimer

[1] Fr�d�ric Baillette, "Les arri�re-pens�es r�actionnaires du Sport", Quasimodo - n° 1, Sport et nationalisme, octobre 1996, Montpellier, p. 19-25.

[2] Var Matin, 27 juin 2008.

[3] D’apr�s Ouest-France, 8 janvier 2008.

[4] les organisateurs de la derni�re coupe du monde de rugby � quinze ont d�gag� trente millions de b�n�fices et la FFR a compt� 95.000 licenci�s de plus soit +36%.

[5] Le Figaro, 4 avril 2008.

[6] "Le sport de comp�tition devrait �tre banni des pays civilis�s", Fr�d�ric Baillette, publi� dans Jean-Pierre De Modenard, Drogues et dopages, Paris, �ditions Chiron, 1987, p. 277-312.

R�pondre � ce message

  • Pas d’accord avec vous 2 septembre 2008, par (3 r�ponses)


Copyright | 2020 | cuverville.org
<span style='text-transform: uppercase;'>Economie</span>
Dans la m�me rubrique
De la justice fiscale, et de la cha�ne du Livre dans cette gal�re
(06/12/2011)
Dexia : le cas de l’agglom�ration toulonnaise
(23/09/2011) (4 messages)
Un �conomiste grand comme la porte d’Aix
(07/03/2010) (1 message)
Tramway : Toulon suffoque, Toulon recule
(12/05/2009) (7 messages)
Les pollutions nocturnes d’Hubert Soleil Falco (2/2)
(31/12/2007) (3 messages)
Les pollutions nocturnes d’Hubert Soleil Falco (1/2)
(31/12/2007) (4 messages)
Carrefour et la pub : puis-je vous prendre pour des cons ?
(11/07/2007) (12 messages)
Elitisme et rugby : des solutions � l’aile
(08/11/2005) (2 messages)
Rugby : les pros et les anti
(20/10/2005) (7 messages)
Ces astrologues qui nous gouvernent
(20/01/2005)
Les br�ves
Hubert Falco : la taupe des temps modernes
(26/11/2011)
Crazy Squirrel : bouffer des glands rend d�cid�ment tr�s con
(27/10/2008) (1 message)
La Crau recourt aux fermiers g�n�raux
(02/03/2008)
Comment j’ai aggrav� le trou de la S�cu
(22/07/2007) (2 messages)
Un aller simple pour la capitale - en avion - � moins de 10 euros !
(05/01/2005) (2 messages)
Sarkozy, la TVA sociale et la pierre philosophale
(10/11/2004) (11 messages)
Auchan de bataille, par Jocrisse
(07/11/2004) (2 messages)
Bosch : du travail de prolos, par Jocrisse
(27/08/2004) (1 message)
Une r�forme aigre-Douste, par Jocrisse
(25/06/2004)
La canicule ou les plans sociaux !
(17/04/2004) (2 messages)