Les enseignes qui se partagent le g�teau de la grande distribution d�veloppent la m�me strat�gie publicitaire autour du « mieux consommer », selon laquelle on s’engage � baisser les prix et on vous rembourse la diff�rence si vous trouvez moins cher ailleurs. Carrefour sait tr�s bien communiquer sur le sujet, � grand renfort de num�ro vert et d’affiches placard�es tous les trois m�tres dans ses magasins. Alors Cuverville a profit� du fait que son frigo �tait vide pour comparer les prix des trois hypermarch�s concurrents de l’aire toulonnaise. Le r�sultat d�passe nos plus folles esp�rances.
AVANT d’aborder le vif du sujet qui int�ressera celles et ceux qui se sont un jour coltin�s les courses, un peu d’histoire locale.
Les premi�res tr�s grandes surfaces commerciales de l’aire toulonnaise se d�velopp�rent � l’Est. L’enseigne Euromarch� s’installa en t�te de gondole du centre "Grand Var" de la Valette d�s la fin des ann�es soixante-dix. Les abords Ouest furent plus longs � se laisser envahir, ils rest�rent agricoles jusqu’� ce que le groupe Promodes r�ussisse enfin � convaincre les exploitants de c�der leurs terres : un hypermarch� Continent n’ouvrit ses portes � Ollioules qu’en 1989. Puis la municipalit� Trucy trouva judicieux d’importer le concept au coeur m�me de Toulon. Le centre commercial "Mayol" fut inaugur� avec le premier Carrefour de l’agglom�ration en 1990.
En 1991, le groupe Carrefour avale Euromarch�. En 1999, il fusionne avec Promodes. Bilan : les trois hypermarch�s de Toulon, � l’Est, au centre et � l’Ouest, sont depuis le d�but du si�cle des hypermarch�s Carrefour. Voil� pour la saine concurrence.
Vu des strat�ges de l’enseigne, le plan de la ville pourrait se r�sumer � ceci :
Revenons � nos moutons. Sur la m�thodologie : nous avons dress� une liste de 37 produits, de l’alimentaire, de l’hygi�ne et du vrac, en nous servant d’une ossature d�finie � d’autres occasions par des personnes plus imaginatives que nous. Quelques r�f�rences sont venues compl�ter la liste (des couches et des capotes, par exemple). Puis nous avons compar� les prix dans les trois hypermarch�s.
On ne pourra certainement pas se servir de nos r�sultats � des fins statistiques. Il s’agit juste de mettre en �vidence les �carts, loin — tr�s loin — des effets d’annonce dont abuse Carrefour.
La liste des produits se trouve dans le fichier pdf ci-dessus. Les prix ont �t� relev�s � moins de 24 heures d’intervalle, lundi 2 juillet 2007 en d�but de soir�e � Ollioules, mardi 3 juillet matin au centre Mayol de Toulon, le m�me jour en d�but d’apr�s midi � la Valette ("Grand Var").
Sur les 37 produits, il appara�t que seuls 3 ont des prix communs aux 3 magasins. 10 autres ont le m�me prix dans 2 magasins (aucune r�gle apparente en la mati�re). Pour les 24 restants, c’est le grand n’importe quoi.
Le paquet de lessive, par exemple, vaut presque 3 euros de plus � Ollioules qu’� Toulon (20 balles pour les vieux cons qui r�fl�chissent toujours en francs). Le moins cher co�tant 8 euros, voyez ce que �a repr�sente. 8 articles sur 37 affichent un �cart de prix de plus de 20% entre deux magasins. Quand vous prenez le pot de confiture � 1,82 euro � Grand Var, vous ne le payez que 52 centimes de plus qu’� Ollioules. Rien, une broutille, qui signifie toutefois que vous le payez 40% plus cher.
Un des trois magasins annonce la bouteille d’eau en « promo ». Elle co�te un centime de plus que dans les deux autres.
� Mayol, le paquet de caf� arbore un autocollant destin� � �tre enlev� au passage en caisse, il indique « 30 centimes de r�duction imm�diate ». Mais apr�s la r�duction imm�diate, le prix du caf� reste quelques centimes plus �lev� que dans les deux autres hypermarch�s.
La rumeur pr�tend que le caddie est plus �conomique � Mayol qu’� Grand Var. Nos r�sultats vont dans ce sens, en tout cas pour les produits alimentaires. Mais encore une fois, aucune g�n�ralisation n’est possible avec ces m�me pas quarante r�f�rences choisies au hasard Balthazar. Les diff�rences — parfois anecdotiques, parfois outranci�res — �tant la norme, nous pouvons toutefois conclure que lorsque le monsieur de Carrefour pr�tend ajuster les prix dans ses magasins de l’Hexagone, il plaisante.
� ce stade de l’enqu�te nous appelons « gratuitement d’un poste fixe » le num�ro 3235, celui par lequel n’importe quel citoyen peut redresser les torts de son hypermarch�.
Petite musique, puis une voix enregistr�e : « Bienvenue chez Carrefour. Si vous connaissez le nom du service auquel vous voulez acc�der, prononcez le maintenant ». L�, il faut crier « Alerte prix ! » dans le combin� pour que la machine entende. C’est ridicule ? Oui, c’est fait expr�s.
« Pour toujours am�liorer le service, cette conversation peut �tre enregistr�e », dit encore la machine. Nous la soup�onnons d’avoir suivi ses �tudes chez les J�suites parce qu’en r�alit�, voil� le message : « pour surveiller nos employ�s et te mettre la pression, mon pote, cette conversation peut �tre enregistr�e ».
Au bout du fil, enfin, une vraie personne. La dame explique que pour valider l’alerte il faut noter le code-barres du produit (« — pardon ? �a veut dire que je suis oblig� de l’acheter ? — Pas du tout monsieur, il suffit que vous releviez les chiffres »). Ensuite il faudra rappeler et crier « Alerte prix ! » dans le combin�, puis on �tablira une fiche qui sera communiqu�e au magasin afin de proc�der � l’ajustement et �ventuellement au remboursement.
Ce n’est pas plus compliqu� que �a.
Juste un peu chiant.
Par exemple, le code-barres de la lessive �voqu�e plus haut s’appelle 5413149210042 dans le civil. Payer moins cher exige une certaine motivation. Du temps, un calepin, un stylo.
Les campagnes publicitaires ne se limitent pas � des invitations � se rendre � tel endroit pour acheter tel produit. Elles peuvent avoir pour objet l’endormissement du chaland sur le mode de la propagande politique. Le client, abruti par ces slogans r�p�titifs qui vantent la d�marche qualit� de Carrefour, �cras� par tant de « preuves » (voir les publicit�s qui �maillent cet article), finira par se persuader plus ou moins consciemment de la bonne foi de l’enseigne et ach�tera en confiance. � peu pr�s tout le monde essaie de comparer les prix avant de remplir son chariot, mais cela se passe au sein du m�me magasin. Combien mettront les assertions des publicitaires � l’�preuve ? Combien s’amuseront � bondir de magasin en magasin, sachant que les prix sont amen�s � changer chaque jour ? Il y a tant de choses plus passionnantes dans la vie !
Carrefour joue bien s�r l�-dessus, parfaitement conscient du caract�re minoritaire de la r�clamation. Un client qui exige r�paration ne repr�sente qu’un d�g�t collat�ral parfaitement acceptable au regard des b�n�fices envisag�s avec cette campagne (aussi en terme d’image).
Le num�ro vert ajoute une touche de relationnel et pr�vient les accusations de publicit� mensong�re : s’il est mis � disposition, c’est que Carrefour reconna�t que ses contr�les peuvent faillir. Le client, concern�, impliqu�, attentif, participe lui-m�me � l’am�lioration du service. Et s’il ne le fait pas, finalement, tant pis pour lui.
Si nous relevions les codes-barres de nos 34 articles � prix divergents et que nous les communiquions au 3635, le prix du chariot de Grand Var serait cens� baisser d’environ 7,3%. Projetons �a � l’�chelle de l’hypermarch� et nous aurons une id�e du manque � gagner pour l’enseigne. Bien s�r, cela ne se produira pas.
Carrefour veut donner l’impression qu’il travaille beaucoup pour que ses prix convergent. Mais on peut l�gitimement se demander pourquoi les prix divergent, dans la mesure o� le groupe dispose d’une centrale d’achat qui lui permet d’acheter en tr�s grande quantit� des dizaines de milliers de produits au meilleur co�t. Pourquoi faut-il ensuite, apr�s installation dans les rayons, que les �tiquetages partent dans tous les sens ?
Sans doute parce que chaque magasin s’adapte � son environnement, au tissu �conomique et social dans lequel il s’inscrit. Sans doute parce que la strat�gie et les produits d’appel varient selon le public, et que les vases communiquants permettent ensuite de garantir un chiffre d’affaires "convenable" : ici l’hygi�ne compense l’alimentaire, l�-bas c’est le contraire. Et partout, le chaland a l’impression de faire des �conomies.
« Nous vous garantissons les prix les plus bas. La preuve : croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer ». L’enfer est pav� de fausses intentions commerciales.