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LA TÉLÉ AU CINÉMA DANS UN INSOLENT DOCUMENTAIRE
Sortie d’Enfin Pris ? Pierre Carles � Toulon
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FILM ET INTERVIEW POUR CUVERVILLE
jeudi 26 décembre 2002

par Lamitrange

Apr�s Pas Vu Pas pris (PVPP), qui fustigeait d�j� la collusion entre pouvoirs et m�dias, La Sociologie est un sport de combat, portrait du sociologue P.Bourdieu, Enfin Pris ?, un nouveau documentaire qui poursuit, au travers d’un duel, la d�nonciation de la censure pratiqu�e � la t�l�vision. Duel entre deux journalistes et deux visions de la t�l�, entre l’ambition de l’ind�pendance et l’ambition de r�ussite au sein du syst�me, entre la parole cisel�e d’un intellectuel, le sociologue Bourdieu, et la parole fugace vendue par la t�l�vision, dont les effets pervers am�nent la reproduction du discours dominant.

C’est donc un violent r�quisitoire que nous livre Pierre Carles, dans lequel on retrouve avec plaisir sa verve insolente et pleine d’humour.

Cuverville a pu poursuivre la projection et le d�bat par un entretien avec le r�alisateur. Celui-ci nous fait partager sa vision non orthodoxe des m�dias.

Entre tes premiers documentaires d�s 1992, qui tournaient d�j� autour de l’ali�nation au travail et l’observation des �lites, et les trois derniers, il y a eu la rencontre avec Bourdieu. Comment la situerais-tu dans ton parcours ? Est-elle venue conceptualiser des �vidences pressenties ?
La rencontre intellectuelle datait, elle, d’avant la rencontre avec la personne. Par chance, ma fac de socio, � Bordeaux dans les ann�es 80, avait mis Bourdieu au programme et cela m’a ouvert les yeux sur bien des choses. Je me suis servi de mani�re tr�s sauvage de ses outils conceptuels dans le cadre des reportages que tu cites, notamment dans les documentaires de l’�mission Strip-tease, o� je filmais des gens au travail, � la fois domin�s et en dominant d’autres, et la mani�re dont tout �a se reproduisait. Puis, il y a eu la rencontre humaine avec Bourdieu, en 96, le jour m�me de l’�mission avec Schneiderman, � la sortie. J’avais �galement travaill� avec Patrick Champagne, un sociologue proche de Bourdieu qui s’est int�ress� aux sondages d’opinion et aux m�dias. J’avais donc pas mal approch� l’univers intellectuel de Bourdieu. De fait, pour faire un portrait de lui, il fallait justement quelqu’un qui ne soit pas sp�cialiste mais qui le connaisse suffisamment pour se mettre dans la peau d’un spectateur lambda profane. Je me suis retrouv�, un peu par hasard, � la bonne place, ayant un contact avec lui, ce que peu de r�alisateurs avaient, personne n’ayant r�ussi jusqu’alors � le convaincre de l’int�r�t d’un film sur son travail.

L’autod�rision de la s�quence finale avec le psychanalyste, toi sur le divan, et le chat entre vous, met en sc�ne avec brio le ressort psychologique de ce pamphlet contre Schneiderman en particulier et la censure � la t�l� en g�n�ral. Quel autre exemple de l’actualit� citerais-tu pour convaincre que derri�re cet �piph�nom�ne c’est tout le champ journalistique qui est vis� ? On pense peut-�tre � la campagne s�curitaire relay�e par la TV pour la campagne pr�sidentielle ou � la gr�ve r�cente des journalistes du secteur public...
Des choses un peu diff�rentes, tout �a. Pour ce qui est de la gr�ve du service public, il est difficile de les soutenir dans la mesure o� le journal qu’ils font est vraiment proche de celui qu’on voit dans le priv�. On a du mal � se mobiliser pour une cha�ne comme la 3 qui relaie les m�mes discours s�curitaires, n�olib�raux que TF1 ou FR2. Le combat pour un autre journal, un journal alternatif, dans les r�gions ou m�me au national, qui ne ressemblerait pas comme deux gouttes d’eau aux autres, serait un combat bien plus mobilisateur. Or aujourd’hui, on y entend les m�mes conneries, la m�me obsession du fait divers, la m�me absence de causalit� entre l’�conomique et le social. Souhaiter que des gens du priv� ne se fassent pas de l’argent sur le dos du public comme ils le demandent, oui, mais si c’est un moyen pour aller vers autre chose et pas une fin en soi.

Pourquoi donc le choix des objets de t�l� que tu critiques ?
Dans les 2 films que j’ai faits sur les m�dias, on est � chaque fois dans une illustration de type « a fortiori ». Quand Canal +, la t�l� insolente « pas comme les autres » est pr�sent�e dans PVPP comme une cha�ne qui pratique la censure, a fortiori c’est pire ailleurs ! Moi j’essaie de ne pas tirer sur les ambulances, je pense qu’il est plus int�ressant d’analyser le fonctionnement de gens qui r�ussissent dans le syst�me tout en se pr�tendant diff�rents. M�me chose pour Schneiderman qui incarne l’�tat le plus avanc� de la critique et qui censure de mani�re tr�s maligne et fine certaines analyses subversives comme celle de Bourdieu. Il me semble que tout le syst�me est p�nalis� � travers l’�mission ou la cha�ne qui se dit diff�rente et qui pr�tend fonctionner autrement.

[Intervention des animateurs de l’�mission Cin�maniak (RadioActive)] Tu te pr�sentes aussi toi-m�me objet de critique dans cette s�quence finale ?
Bourdieu a tr�s bien montr� dans un article sur Karl Krauss, journaliste autrichien qui avait fait un journal tr�s radical dans la Vienne des ann�es 30, que c’est sans doute parce que ce dernier �tait aigri, exclu du syst�me qu’il faisait une critique si violente de cette soci�t� mais, pour autant, cela n’enlevait rien � la pertinence de sa d�marche. Ce n’est pas forc�ment pour de tr�s bonnes raisons, donc, qu’au d�part il s’�tait mis � d�noncer la corruption de l’�poque. Ces questions, Bourdieu les abordait assez fr�quemment : d’o� l’on parle ? pourquoi on fait les choses ? et il se m�fiait du discours dominant l�-dessus, qui est souvent un discours de cur� selon lequel les gens qui font des choses un peu subversives, militantes devraient ne vouloir que le bien des autres. Quelque chose de tr�s pur, � la Don Quichotte. La s�ance d’analyse dans Enfin Pris sert justement � casser un peu l’image du PC de mes films pr�c�dents, sorte de chevalier blanc, justicier pur et dur du journalisme ou du PAF fran�ais.

[Cin�maniak] Peut-il y avoir une critique du syst�me dans le syst�me ?
Je ne sais pas dans quelle mesure l’on peut avoir une marge de manoeuvre qui permet tout en restant dans le syst�me de dire des choses violentes ou subversives sans se faire �jecter, �a me para�t difficile.

[Cin�maniak] N’a-t-on pas au fond la t�l� qu’on m�rite, le but des cha�nes �tant seulement de faire du chiffre et donc de r�pondre � la demande du public, au coeur du syst�me ?
Le public ne na�t pas de rien, il s’�duque. Ce que tu demandes � voir quand tu es spectateur c’est ce qu’on t’a habitu� � demander � voir. Il suffit d’avoir un �ventail de choix tr�s restreint et de le matraquer pendant des ann�es pour que le public ait ces go�ts-l�. Les go�ts se fabriquent et la publicit� est tr�s forte pour cr�er ou relayer des besoins. Ce n’est pas une forme de racisme que de dire que nous n’avons pas le m�me capital culturel, social, �conomique, scolaire et que notre soci�t� entretient ces in�galit�s. On n’a effectivement pas le m�me �ventail de choix, on n’est pas arm�s de la m�me mani�re pour r�sister au pouvoir attractif de la t�l� selon notre niveau de culture.

[Cin�maniak] Avant il y avait pourtant trois cha�nes seulement et moins de choix qu’aujourd’hui ?
Je ne crois pas, non. J’ai le souvenir d’une �mission dans les ann�es 70 qui s’appelait A Armes �gales et qui avait un discours antiproductiviste tr�s violent. Or, elle passait � 20h45 ! Je ne suis pas sur que ce serait possible aujourd’hui. La multiplicit� des cha�nes ne veut pas dire pluralit� d’opinion, surtout pas. La preuve : sept cha�nes hertziennes et pas une enqu�te sur Chirac, aucun travail d’investigation sur Lagard�re, sur Messier lorsqu’il �tait tout puissant, sur Pinault, Bouygues et compagnie, sur le pouvoir �conomique en g�n�ral. On a toujours tenu le raisonnement : si l’une des cha�nes ne le fait pas, l’autre le fera. Un leurre total !

Que penses-tu des r�actions de la presse �crite, pourtant souvent dure avec la t�l�vision, � propos d’Enfin Pris ? Elle confine ton documentaire � une vengeance personnelle anecdotique ou � une somme de lieux communs sur le caract�re �ph�m�re de la parole � la TV ou pire encore, � une analyse r�actionnaire marxisante visant le fameux complot presse/pouvoir. La presse alternative, elle, �tant plut�t enthousiaste.
Pour PVPP, la presse �crite, m�me nationale, avait �t� enthousiaste, prenant � travers ma d�nonciation une revanche contre la TV. Le probl�me avec Enfin Pris, c’est que Schneiderman, qui est chroniqueur au journal Le Monde, est un des leurs. Quant � Lib�ration, Serge July et Cie se sont sans doute sentis tr�s concern�s par le film. Pour L’Humanit�, le journaliste qui attaque le film, r�gle ses comptes avec moi � propos d’une critique que j’avais fa�te sur Les Inrocks o� il �crit aussi. Mais, globalement, je trouve plut�t rassurant que le film fasse r�agir et ne soit pas consensuel. Lorsque la presse fran�aise encense le dernier film de Mickael Moore, par exemple, c’est aussi parce que la critique sur la soci�t� am�ricaine est suffisamment distanci�e pour lui permettre d’avoir bonne conscience. Le probl�me avec M.Moore, comme avec Bov�, d’ailleurs, est qu’ils se font inviter constamment par des m�dias qui ont une part active dans le syst�me qu’ils d�noncent. Ils finissent par servir d’alibi au pluralisme de tous ces gens-l� puisqu’ils ne remettent jamais en cause cette puissance invitante, consid�rant les m�dias comme alli�s et non ennemis. Il existe actuellement un d�bat � Attac autour de la surm�diatisation de Bov� qui soumet son combat aux effets de mode et �tablit un lien de d�pendance � l’�gard des m�dias. Cela est d’ailleurs actuellement en train de se retourner contre lui et dessert plut�t sa cause.

Messier mais aussi Bov� ont pu avoir une �mission Arr�ts sur Images sans contradicteurs contrairement � ce que Schneiderman a impos� pour les intellectuels Bourdieu ou Kriegel derni�rement. La TV ne s’inscrirait-elle pas aussi selon toi dans un courant anti-intellectuel au fond ?
Oui, certainement. Bourdieu, en analyste de la soci�t�, est celui qui g�ne v�ritablement, bien plus qu’un Bov� qui ne d�veloppe pas une pens�e en profondeur. C’est une des forces des m�dias que de donner l’illusion du d�bat et du pluralisme. M�fions-nous des distorsions. L’exemple de Le Pen est particuli�rement convaincant. Entre les deux tours des pr�sidentielles, par exemple, il est manifeste que Le Pen a �t� ostracis� par les cha�nes de t�l�. Or, parall�lement, son analyse politique, avec pour grille de lecture la dichotomie nationaux/immigr�s a �t� omnipr�sente y compris aupr�s de la gauche bien pensante. Une nouvelle division du monde, qui remplace celle qui oppose riches/pauvres. Alors que le bonhomme n’est pas si souvent pr�sent, ses id�es, elles, ne l’ont jamais �t� autant et ce depuis dix ans environ.

Aujourd’hui, les tenants du pouvoir politique ou �conomique ne se cachent plus de leurs affinit�s avec les journalistes mais viennent au contraire se commettre sans pudeur dans des �missions people ou divertissement qui pratiquent merveilleusement le m�lange des genres ! Ils y assurent, sur un mode l�ger, le versant com. de leur politique, plac�s fraternellement � c�t� de leurs plus violents contradicteurs. Serais-tu d’accord pour dire que les m�canismes de censure que tu d�nonces depuis PVPP sont d�j� presque archa�ques ?
Effectivement. La censure que l’on voit pratiqu�e d�s PVPP est d�j� � l’ancienne. On cache encore certains trucs qui emmerdent � la TV, comme l’affaire L’Or�al il y a peu. Preuve en est qu’on interdit encore aujourd’hui PVPP, le seul film de plus de 160 000 entr�es qui demeure censur� � la TV fran�aise depuis plus de 30 ans. Pourtant, comme on le dit parfois, si la tyrannie c’est « ferme ta gueule », la d�mocratie, c’est aussi « cause toujours », ce que propose effectivement la t�l� avec ses fausses �galit�s o� chacun peut venir y parler cinq minutes de son sujet et au revoir ! Pour d�jouer cette nouvelle forme de censure, il faudrait �tre in�galitaire, redonner plus de temps de parole aux points de vue minoritaires, marginaux et parall�lement handicaper certains discours dominants comme le propose Serge Halimi dans Enfin Pris. Cette discrimination positive demanderait une v�ritable r�volution mentale tant nous sommes conditionn�s par une vision de la libre expression en d�mocratie li�e � une �quit� de temps de parole, sans tenir compte du fait que certains discours dissidents sont en ce cas balay�s car ultra minoritaires face aux voix consensuelles qui relaient le discours dominant.

Terminons par tes projets. Tu �voquais lors du d�bat � l’instant Volem rien foutre al pa�s pour d�but 2004 et Uppercut, fin 2003, sur Lo�c Vacquant. Nous dirais-tu quelques mots de ce prochain film ?
J’avais d�j� suivi et film� Lo�c Vacquant, ancien boxeur � Chicago devenu l’un des sociologues actuels les plus brillants selon moi, en m�me temps que Bourdieu lors du tournage de La Sociologie est un sport de combat. Uppercut, qui lui sera consacr�, veut contrer le discours s�curitaire ambiant et montrer qu’aux USA aujourd’hui et peut-�tre en France demain, la prison sert � obliger les pauvres � accepter le salariat pr�caire car puisqu’il n’y a pas de S�cu aux US, il est alors in�vitable pour les pauvres de verser dans les deals et l’�conomie informelle et donc de remplir les prisons. Dans une Am�rique surp�nitentiaris�e, avant d’�tre latino ou black, on est pauvre en prison ! De m�me qu’en France, dans les banlieues ouvri�res en d�clin, l’on est pauvre avant que d’�tre fran�ais, immigr�s ou musulmans. Avec Uppercut et Lo�c Vacquant, il s’agira de mettre KO certaines id�es re�ues du discours s�curitaire.

Fin de l’entretien, d�cembre 2002.
Nos remerciements � Pierre Carles pour sa disponibilit�.

Cf Sur la t�l�vision suivi de L’emprise du journalisme, Pierre Bourdieu. Cf Les Prisons de la mis�re, Lo�c Vacquant.



> Sortie d’Enfin Pris ? Pierre Carles � Toulon
28 octobre 2004   [retour au début des forums]
Merci quand m�me d’avoir secou� le cocotier mr carles !

Oui la t�l� ! Plus on en parle, plus on lui donne d’importance et plus heureux sont ceux que l’on critique. Une seule chose � faire avec ce genre d’�cran de fum�e color�e : boycottez ! De nombreux fran�ais vivent autrement sans se r�f�rer constamment � ce r�servoir � imb�cilit�s qu’est devenu le petit �cran et je sais qu’ils s’en portent tr�s bien. Continuez de leur faire l’honneur de s’int�r�sser � eux c’est bien leur accorder une importance qu’ils n’ont pas !

> Sortie d’Enfin Pris ? Pierre Carles � Toulon
1er juin 2003   [retour au début des forums]

Merci beaucoup pour ce type d’article. Ca fait du bien !