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LETTRE D'INFORMATION |

Philippe Vitel en excès de vitesse sur l’autoroute de l’information

mardi 10 février 2004
par Emanuel Haumant
Le projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique (LEN) fait actuellement un certain raffut sur le réseau des réseaux. Pour en savoir plus, les enquêteurs électroniques de Cuverville ont interpellé, par courriel, les députés de la majorité.

LES nouvelles technologies de l’information

Tout le monde se rappelle de la nouvelle économie. Née aux Etats Unis en 1997, elle s’échoua après 3 années spéculatives infernales sur les rives du Nasdaq [1], victime de l’e-crack du printemps 2000.
Des start-up virtuelles s’étaient vendues pour des millions de dollars, rachetées par des sociétés de la vieille économie qui voulaient rester dans le coup, de peur que leurs actionnaires ne les délaissent pour aller spéculer sur des danseuses plus jeunes. (C’est à cette époque, après un stage Be better Style© organisé pour les salariés du groupe Hachette, que le portail Cuverville.org en gestation reçut une proposition d’achat de la part de Lagardère. Au bout du compte, il préféra s’offrir Var Matin.)
Peu d’entreprises créées alors sont finalement devenues rentables [2], nombre de portails internet rachetés une fortune ont totalement disparu. La spéculation sur les start-up misait en effet sur la forte progression des connexions internet chez les particuliers, qui devait s’accompagner inévitablement d’un développement de la publicité et du commerce en ligne. Ce fut le cas, mais pas dans les proportions espérées.

Connectez-vous !

Développé entre 1990 et 1993 au Centre Européen de Recherche Nucléaire (CERN, Genève), le world wide web, réseau des réseaux, est destiné à répondre aux problèmes de partage d’informations entre équipes de recherche. Ce sont donc tout naturellement les universités qui profiteront les premières de cette technologie.

Rapidement, l’évolution de l’utilisation du réseau est dans les mains des hackers, ces passionnés d’informatique capables d’extraire la substantifique moelle de la moindre ligne de code.
La free software fondation développe à grande échelle des projets tels que GNU [3] : le réseau permet à des développeurs du monde entier de partager leur travail de manière extrêmement efficace, en vue de distribuer des logiciels gratuitement.

Les offres de connexion à haut débit étant désormais accessibles aux particuliers, certains ont l’idée de développer des protocoles permettant l’échange de fichiers sans passer par un serveur qui héberge les sources, selon la technique dite du peer to peer, traduit par « poste à poste » en français [4]. Les majors de l’audiovisuel accusent cette technique « de nuire aux artistes et à la création » et lancent alors une véritable traque au téléchargement pirate. Plutôt que d’adapter leurs offres de distribution aux nouvelles technologies, elles s’obstinent à vouloir faire disparaître ce mode d’échange de fichiers, qui nuit surtout à leurs bénéfices. Mais c’est sans compter sur les fournisseurs d’accès internet, qui ont tout intérêt à ce que du contenu, fut-il illégal, puisse être téléchargé afin de doper la commercialisation d’offres haut débit.

Le côté obscur de la force connaît aussi son lot d’innovations. Popups, cookies, spams, spywares, virus ou trojans [5], un package destiné à aller au contact du client, connaître ses habitudes, ses envies, afin de lui refourguer la came qu’il recherche, du sur-mesure.

Start-up et nouvelle économie : vouloir développer l’économie numérique en s’appuyant sur un réseau destiné initialement à partager gratuitement l’information peut paraître contre nature, c’est pourtant ce qui arrive.
Comme tous ses prédécesseurs, Jean-Pierre Raffarin s’est fixé pour objectif la présence d’un ordinateur dans chaque famille ayant des enfants scolarisés à l’horizon 2007. Il est aidé en cela par le parti socialiste, qui propose dans son programme pour les élections régionales 2004 « la gratuité d’un ordinateur personnel pour chaque élève de troisième » [6]. C’est la pierre angulaire de l’économie numérique : que chacun possède un ordinateur. Comme l’a affirmé l’actuel premier ministre : « gardons nous de prendre une convulsion passagère après la fièvre pour une agonie (...) Regardez bien au fond du flacon d’où est sortie la bulle Internet : vous verrez bien qu’il y reste encore beaucoup de savon ! ».

C’est quoi cette fameuse LEN ?

Dans ce contexte, Nicole Fontaine, qui n’a pas appris à naviguer sur le web au lycée mais a fait une belle carrière politique sous l’étiquette UDF, a été chargée de rédiger un projet de loi pour la confiance dans l’économie numérique. De quoi rappeler le discours de Kaa, le serpent du Livre de la jungle qui hypnotise sa victime en lui répétant « aie confiance ».

Plusieurs dispositions de ce projet adopté en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale et transmis au sénat sont ouvertement liberticides, comme les extraits suivants de l’article 2 bis le montrent :
« Les hébergeurs ne peuvent pas voir leur responsabilité civile et (ou) pénale engagée si, dès le moment où ils ont connaissance du caractère illicite de certaines données hébergées, ils ont agi promptement pour les retirer ou en rendre l’accès impossible. »
Admettons ainsi qu’un lecteur de Cuverville décide d’interpeller notre hébergeur sur un des contenus du site qu’il juge illicite. Ce dernier à le choix :
Soit il ne fait rien et prend le risque d’être condamné, s’il s’avère que le contenu était illégal. Soit il supprime l’accès à cette information, et prend le risque d’être condamné pour rupture de contrat envers son client. Voilà donc un texte qui clarifie de main de maître la situation juridique des hébergeurs.

Les webmestres pourraient toujours se rabattre sur un hébergeur étranger, dans un pays où la censure n’existe pas ? N’y songez pas, Mme Fontaine est une juriste aguerrie [7] :
« L’autorité judiciaire peut prescrire toutes mesures propres à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication publique en ligne, telles que celles visant à cesser de stocker ce contenu ou, à défaut, à cesser d’en permettre l’accès. »
De la censure pure et simple. Il y a bien un pays qui procède de la sorte, c’est la Chine, pays réputé pour son respect des droits de l’homme. De là à dire que la France a des accointances avec un pays post-communiste, il n’y a qu’un pas que le président Chirac franchit allègrement dans l’espoir de vendre un TGV et quelques centrales nucléaires. Les VRP du gouvernement sont prêts à tout.

Pire encore, la possibilité d’instaurer une surveillance digne de la défunte Stasi (article 2 bis.7) :
« Les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveillance mais doivent tout mettre en oeuvre pour empêcher la diffusion de données illicites. »
Comment surveiller uniquement les contenus illicites ? Le projet de loi n’en dit rien. Les courriels ont cet avantage, même quand ils arrivent décachetés dans la boîte on ne peut s’en rendre compte.

Et Le député Vitel dans tout ça ?

L’ensemble des députés de la majorité a été interpellé par courriel, celui qui est mis à leur disposition via le site de l’Assemblée nationale, financé par l’argent du contribuable. Force est de constater qu’environ un quart des députés a sa boîte de courrier électronique pleine, ce qui empêche tout nouvel envoi et constitue une bien piètre utilisation des deniers publics.

A chaque projet de loi un peu sensible, un argumentaire en kit est distribué aux députés (ou plutôt à leurs assistants parlementaires). Trop occupés à se faire réélire pour réfléchir aux lois qu’ils votent, ils n’auront qu’à parapher la pile de courriers tout frais sortis de l’imprimante et obtenus par copier-coller à partir des directives officielles.

C’est un courrier de ce type que nous avons reçu entre autres de Philippe Vitel, député de la seconde circonscription toulonnaise.
Après trois paragraphes destinés aux juristes et rappelant les articles de loi concernés, on lit que le dispositif résulte d’une négociation interétatique (c’est pas moi msieur, c’est pas moi). Les passages concernant la responsabilité des hébergeurs sont repris et semblent tout à fait naturels. Un peu d’autosatisfaction en ce qui concerne la disposition votée à l’initiative du député Martin-Lalande : « sous le contrôle d’un juge l’hébergeur pourra être protégé s’il est confronté à une demande abusive de retrait de la part d’un internaute ». A droite, on ne tolère que la délation citoyenne. Le vif du sujet n’est abordé que tardivement : « Il me semble enfin essentiel de souligner que ce dispositif poursuit un objectif qu’aucun d’entre nous ne saurait contester : celui de faire cesser des contenus dont la diffusion est constitutive d’infractions particulièrement odieuses, qu’il s’agisse de l’apologie de crime de guerre, d’incitation à la haine raciale ou de pédophilie ». Voilà, c’est dit. Et la conclusion, qui vaut son pesant de cacahuètes : « à cet égard, le régime de responsabilité limitée des prestataires techniques que le projet de loi met en place (...) permet de régler des situations dans l’instant, sous le contrôle a posteriori du juge ». Je vous mets en prison, le juge dira si j’avais raison.

Heureusement, il semblerait que certains députés de la majorité lisent les documents qu’on leur demande de diffuser, voire même les projets de loi. C’est le cas de Jacques Myard (UMP, Yvelines) qui joint une copie d’une lettre qu’il a adressée à Madame Fontaine : « personne ne conteste la nécessité de lutter contre les images pédophiles, les incitations à la haine raciale ou le négationnisme, qui sont des infractions particulièrement odieuses appelant à la plus grande fermeté. Mais cette disposition, si elle devait être adoptée en l’état, constitue une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression sur internet sans combattre efficacement ce pour quoi elle est instituée. Le projet de loi (...) impose dans les faits une surveillance systématique des contenus et engage la responsabilité civile (et) ou pénale du webmaster ou du fournisseur d’internet si ce dernier n’exerce pas de contrôle. Ainsi, la France serait le seul pays occidental à retenir de telles mesures ».

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Plus d’informations et pétition en ligne sur le site : www.odebi.org

[1] National Association of Securities Dealers-Automated Quotation : "réseau télématique d’information et de cotation sur le marché américain des valeurs mobilières des entreprises nouvellement créées et à fort potentiel de croissance" (les start-up).

[2] Ebay et sa division de paiement en ligne, Paypal, est une des rares réussite. Amazon a réalisé les premiers bénéfices annuels de son histoire en 2003. Le portail cuverville.org, après des débuts prometteurs, est toujours déficitaire.

[3] C’est quoi Gnu ? L’acronyme récursif de Gnu’s Not Unix. Oui mais Gnu c’est quoi ? L’acronyme récursif de Gnu’s Not Unix...

[4] En ce qui concerne l’échange de fichiers via le réseau (copie de DVD, d’album de musique, de jeux vidéos) cette technique a surpassé le téléchargement qui utilisait le protocole ftp, en grande partie grâce à la facilité d’utilisation qui en découle. Napster fut pionnier dans ce domaine.

[5] Popup : ouverture automatique d’une fenêtre publicitaire.
Cookies : la plupart des sites commerciaux laissent des fichiers sur le disque dur de leurs visiteurs. Beaucoup de ces fichiers sont en fait programmés pour collecter des informations destinées à envoyer des publicités ciblées.
Spam est l’acronyme d’une marque anglaise de corned-beef : Spice Pork And Meat (pâté épicé à base de porc et de viandes). Le mot SPAM a ensuite été repris dans un sketch des Monty Python, où dans un café, une serveuse et des vikings chantent à tue tête le mot SPAM, afin d’inciter un client à en consommer.
Le spyware, conçu par une société de marketing, est un logiciel espion qui s’installe sur votre ordinateur afin d’analyser vos habitudes.
Tous les utilisateurs du système d’exploitation microsoft savent ce qu’est un virus. Certains virus sont de type cheval de Troie, ou trojan, c’est-à-dire qu’ils se lancent au démarrage de l’ordinateur pour créer une porte d’entrée dissimulée (backdoor) permettant à certains de prendre le contrôle de la machine.

[6] Si les NTIC (Nouvelles technologies de l’Informatique et de l’information) sont systématiquement impliquées dans les évolutions pédagogiques et éducatives, les gesticulations médiatiques masquent difficilement la pauvreté du concept. La programmation informatique n’est jamais abordée. Il suffit de savoir mettre en marche un ordinateur, répondre à des QCM interactifs et de faire le copier coller d’un résultat obtenu après avoir lancé une requête sur un moteur de recherche.
Après avoir vécu la domination triomphale des machines par l’homme, on assiste lentement à son contraire. Tant que l’on continue à consommer, le reste importe peu.

[7] C’est elle qui a travaillé en particulier sur les évolutions législatives et réglementaires concernant les établissements privés sous contrat dans le service public de l’éducation.

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