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Attention danger travail - entretien avec St�phane Goxe

mardi 2 décembre 2003
par MHG & Montag
Attention danger travail, un film co-r�alis� par Pierre Carles, St�phane Goxe et Christophe Coello. « Une dizaine de ch�meurs et ch�meuses racontent pourquoi et comment ils ont d�cid� de ne plus aller travailler. [...] Loin de l’image du ch�meur accabl� ou d�prim�, ces "sans-emploi qui n’en demandent pas pour autant" expliquent ouvertement pourquoi ils cherchent � s’�panouir en dehors du monde du travail, avec peu de ressources mais en disposant de temps � profusion... » [1]. Apr�s une projection-d�bat organis�e par Attac-Var et le Royal, Cuverville a rencontr� St�phane Goxe.

QUELS sont les facteurs qui ont d�clench� la r�alisation de ce documentaire ?
C’est tout d’abord une rencontre entre Pierre CARLES, Christophe COELLO et moi-m�me autour d’un projet que les uns et les autres avions en t�te depuis un moment : s’int�resser � ces gens qui refusent d’aller bosser, s’int�resser � eux non pas comme on approcherait des b�tes curieuses qui ne voudraient pas de travail alors que tout le monde en recherche, mais simplement essayer de faire �merger un discours qui s’oppose au discours dominant.
Il s’agissait de faire un constat cin�matographique, de rendre visible un discours compl�tement ignor� par les m�dias : pour un certain nombre de personnes, le travail n’est pas une fin en soi, il est possible de trouver des conditions d’�mancipation et d’�panouissement en dehors du march� du travail.

Pourquoi une co-r�alisation ?
J’ai r�alis� diff�rents documentaires avec Christophe COELLO. On avait d�j� l’habitude du travail en commun, de la r�alisation � deux. S’est rajout� un troisi�me larron, Pierre, rencontr� � l’occasion d’une projection. On s’est rendu compte qu’on avait tous l’intention de s’int�resser � ce sujet.
Une co-r�alisation ne signifie pas une r�partition exacte et � l’identique des t�ches, mais au contraire une r�partition en fonction des capacit�s et des envies de chacun. Ce qui a pr�valu, c’est le sentiment de s’attaquer � un v�ritable tabou contemporain, cette sacro sainte valeur TRAVAIL. Un des objectifs du film est de remettre au go�t du jour cette critique du travail qui n’est pas neuve : elle est aussi ancienne que la r�volution industrielle et jalonne tout le 20�me si�cle. Elle �tait assez forte dans les ann�es 60 et 70. Le ch�mage de masse l’a mise sous l’�teignoir. Il �tait m�me ind�cent dans les ann�es 80 et 90 de s’opposer � cette valeur-l�.

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Sermon de l’abb� Raffarin � l’AG du Medef, janvier 2003
"Est-ce qu’il n’y a pas du bonheur � entreprendre ? Est-ce qu’il n’y a pas du bonheur � animer des �quipes ? Est-ce qu’il n’y a pas du bonheur � investir ? Est-ce qu’il n’y a pas du bonheur � �tre responsable ?"

Les diverses r�actions au film

La valeur travail fait un retour bruyant dans notre environnement : travailler plus pour les retraites, plus pour les personnes �g�es, transformation du RMI en RMA... Comment a �t� accueilli ce documentaire ?
Le film est accueilli de fa�on diverse. Il faut d�j� savoir qu’une salle de cin�ma n’est pas repr�sentative de la population fran�aise. Tout le monde ne va pas au cin�ma et le crit�re « Art et Essai » du Royal est une s�lection suppl�mentaire. De plus, un documentaire de cette nature n’est pas forc�ment attractif.
En r�gle g�n�rale, pendant le film, les salles r�agissent bien et partagent cette esp�ce de jubilation avec laquelle ces d�serteurs expriment leur position. Au moment des d�bats, c’est autre chose. M�me si les gens ont bien ri pendant la projection, ils peuvent avoir plus de mal � accepter un certain nombre de discours. On a rarement vu des ch�meurs s’indigner de ces entretiens-l�, de cette r�alit� qui �tait v�hicul�e. Ils remercient plut�t d’entendre enfin des gens s’exprimer et penser la m�me chose qu’eux. Cela les d�culpabilisent et leur fait du bien.
Il est bien �vident que pour certaines personnes ces propos sont inacceptables. Ils sortent des salles indign�s, ou alors font montre de leur d�saccord le plus total. On sent alors parfaitement le poids du discours dominant qui r�habilite de fa�on grossi�re et grotesque la valeur travail, et qui marque les esprits. D’autres sont �coeur�s. Ils sont ainsi rendus plus sensibles � des contre-discours. Mais en m�me temps on sent tr�s bien la fracture qui peut exister entre les « petits » salari�s qui affirment qu’ils ne veulent pas travailler pour entretenir ces parasites, et les ch�meurs. Ils ne veulent pas admettre qu’ils bossent pour enrichir un patron. Ils ne veulent pas comprendre que lorsque l’Etat leur pr�l�ve du fric, ce n’est pas pour engraisser le ch�meur - beaucoup de ch�meurs ne sont plus indemnis�s, et le social ne co�te pas si cher -, mais pour alimenter les Minist�res de la D�fense, de la Justice et de l’Int�rieur, tout ce qui sert � contr�ler, fliquer et mettre en taule le plus pauvre d’entre nous. C’est l�-dedans que passe le pognon de ceux qui bossent, dans le trou du Cr�dit Lyonnais, dans un Porte-avion, et ce genre de conneries...

Le salari� qui assiste � la projection de ce documentaire ne se sent pas particuli�rement l�s� ou flou�. Y avez-vous song� pendant la r�alisation ?
On a ici un public type classe moyenne, professeurs et fonctionnaires avec un niveau socio-culturel plut�t �lev�. Celui qui prend le film en pleine gueule, c’est le prol�taire qui a le sentiment qu’il va se casser le cul pour des cacahu�tes tous les jours. Et plut�t que d’admettre qu’il est victime d’une certaine logique �conomique et d’une certaine exploitation, il dit que c’est lui qui bosse pour entretenir les ch�meurs. C’est pour �a que ce film n’est absolument pas admis dans certains milieux. Or il est �vident que ce n’est pas un film contre les prol�taires.

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"Si toi tu trouves un travail, c’est celui d’apr�s qui n’en aura pas... Moi je suis assez altruiste, bon, ben, je le laisse � celui qui suit, hein !"

Un film pour questionner la notion de travail

Avez-vous assist� � des conversions ?
Je n’ai jamais vu personne d�chirer son contrat de travail � la sortie d’une salle. Il faut dire que rares sont les personnes qui se baladent avec. Des conversions, non, des gens qui sont bouscul�s, oui, et des gens qui refusent de l’�tre aussi.
Il est �vident que cette question du travail est une question qui a un �cho intime en chacun d’entre nous. On a tous un rapport personnel au travail. On est oblig� de se positionner par rapport � lui, que cela nous int�resse ou non, que l’on en ait ou pas. A partir de ce moment-l�, admettre les interrogations du type : pourquoi perdre sa vie � la gagner ? Est-il si naturel de travailler ? Est-il normal de travailler ? Accepter ce type d’interrogation lorsque l’on bosse depuis 20 ans, et qu’on ne s’est jamais pos� cette question l�, alors que l’on n’a jamais choisi de travailler, accepter de discuter sur ces bases l�, cela signifie �tre bouscul� de mani�re d�stabilisante. C’est pour cela que l’on assiste � un refus de discuter. Accepter de rigoler pendant le film et d�conner pendant le d�bat, oui, mais d’aller au fond des enjeux, plus difficilement, car cela remet beaucoup de choses en question. Ce n’est pas un film qui va bouleverser quoi que soit. Cela va aider certaines personnes � formuler des questions. A mon sens, le travail de r�alisateur se r�sume � �a. On n’est pas l� pour proposer des solutions miracles ou des alternatives � la soci�t� capitaliste mais � mettre en �vidence certaines r�alit�s et les discours qui les animent et � partir de l�, participer � une formulation critique.

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"Il faut d’abord que les gens arr�tent de consommer pour pouvoir arr�ter de travailler... Il y a plein de gens avec qui j’ai eu des discussions, ils me demandaient comment je faisais avec 3000 balles par mois... Eux ils avaient pass� leurs vacances au Maroc, moi j’avais �t� chez mon fr�re � Angers... Voil�."

Licenciements : du drame au soulagement

Les « d�serteurs du travail » que vous avez interview�s sont de v�ritables personnalit�s. Leurs discours portent. Comment les avez-vous trouv�s ?
En faisant un travail de terrain que la plupart des investigateurs qui op�rent dans le champ jounalistique ont abandonn�, souvent pas de leur plein gr�...Dans les canards, on ne donne pas trois jours pour aller enqu�ter et encore moins des semaines.
Beaucoup de gens, y compris des journalistes, sont assez �tonn�s par ces personnages. On nous demande comment on a pu les trouver... J’insiste de nouveau l�-dessus : en faisant un travail de terrain avec tout ce que cela implique - du temps pass� � rencontrer les gens, � discuter, � partager un projet, � cr�er une confiance r�ciproque, et enfin au bout d’un certain temps, plus ou moins long, � filmer.
Et croyez-moi, ils ne sont pas si rares que �a ! Ce ne sont pas des ph�nom�nes - et on ne les a d’ailleurs pas film�s comme si on allait � la foire, j’esp�re que cela se sent dans le film, et c’est pour cela qu’ils s’expriment avec cette esp�ce d’authenticit� et de spontan�it�. Certes ils sont minoritaires, ne nous leurrons pas : le refus du travail n’est pas partag� par une majorit� de gens. Mais le malaise provoqu� par la duret� et la p�nibilit�, mais aussi par la perte de sens et de ma�trise, oui.
Il y a beaucoup plus de ch�meurs qui ne sont plus dispos�s � bosser � n’importe quel prix, il y a beaucoup plus de gens qui accueillent les plans sociaux avec joie plut�t qu’avec les larmes et la messe habituelle servie par les m�dias. Si on a fait un film qui va � contre-courant du discours dominant sur le travail et sur le v�cu du ch�mage, il y en aurait un autre � faire sur comment sont v�cus les plans de licenciement. Vous regardez la t�l� : les Michelin, les Danone et les Moulinex, c’est toujours des drames. Effectivement, pour des gens qui n’ont que le boulot, ils le prennent en pleine gueule. Mais il faut �tre conscient que dans les usines on en a plein le cul du boulot.
Jean-Pierre LEVARAY , qui a �crit « Putain d’usine », me disait qu’il �tait incroyable de constater qu’� l’atelier les vieux attendent le plan social avec anxi�t� et les jeunes font la gueule parce qu’ils en ont encore pour 30 ans. C’est une r�alit� que vous ne verrez jamais � la t�l� parce qu’elle n’est pas politiquement correcte alors que le prolo qui pleure parce qu’il a paum� son travail, �a c’est id�ologiquement correct.

Le documentaire « R�ve d’usine » illustre parfaitement vos derniers propos. L’avez-vous vu ?
Je ne l’ai pas vu. J’en ai eu pas mal d’�chos et on en a beaucoup parl�. Je sais de quoi cela traite. Effectivement, « R�ve d’usine » ne pose pas la question du travail. Il y a une esp�ce de plainte mis�rabiliste sur la situation du prol�taire maltrait�. Plainte l�gitime, car le prolo est vraiment maltrait�. A mon avis ce n’est pas le genre de choses qui peut faire avancer le d�bat. Eventuellement, cela peut rapporter un certain discours c�g�tiste, mais pas plus. M�me si c’est un film sinc�re qui d�crit une r�alit� r�elle des victimes, il ne permet pas de sortir du discours dominant. C’est le m�me versant que le discours de l’apologie du travail. C’est sa version prol�taire et syndicale. Il continue de placer le travail au cœur de la soci�t�.

Apr�s « attention danger travail », de quoi traitera le prochain film ?
Ce projet est en deux temps. Celui-ci, « Attention danger travail », est le premier temps, m�me si il a �t� pr�c�d� de diverses tentatives de circulation d’un premier montage. Le deuxi�me temps qui s’appellera « Volem rien foutre al pa�s », sortira l’ann�e prochaine. Il d�passera le constat individuel d’un refus du travail, pour s’int�resser � des solutions d’une dimension plus collective, � des pratiques qui permettent de voir comment fonctionner en refusant le travail et en produisant sans avoir � y passer sa vie, sans avoir en creux de notion de rentabilit�, de profit et de productivit�. Il s’agira aussi - ce ne sera pas un catalogue d’exp�riences alternatives - d’�largir la probl�matique � des questions telles que la gratuit�, les rapports marchands, la question de l’argent. On abordera le cas du revenu minimum garanti : est-ce ou non une solution int�ressante ? Plus globalement, on s’interrogera sur tout ce qui peut �tre entrepris comme actions ludiques, spontan�es, directes et qui sont des mani�res collectives de s’attaquer � cette soci�t� de travail, mais en dehors du lieu de travail.

Propos recueillis le 20 novembre 2003.

O� voir Attention danger travail ? Des renseignements ici et l�.

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[1] Suite et compl�ments sur le site rienfoutre.org.

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