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LETTRE D'INFORMATION |

Ins�curit� � l’�cole : petit d�tour historique

mardi 18 mai 2010
par Saint-Just

La violence scolaire est diff�remment appr�ci�e selon l’angle de vue. Les protagonistes n’arrivent pas � s’entendre, chacun pointant le respect qui lui est d� et qu’on ne lui rend pas. Surtout, « c’est de pire en pire ». Heure grave, dossier d’urgence. Alors pour �clairer la violence � l’�cole d’aujourd’hui, revenons par l’exemple sur la s�r�nit� de l’�cole de jadis.

PREMI�RE partie : Ins�curit� � l’�cole, du fait divers au fait social (et inversement).

Apr�s quelques violences constat�es lors des premiers mois de l’ann�e 2010 et largement m�diatis�es par une presse gloutonne, le ministre Lor�al Luc Chatel a d�cid� de lancer les �tats g�n�raux de l’�ducation. Pour « d�passer l’�motion », « comprendre et traiter au fond la question si sensible et si complexe de la violence en milieu scolaire », mais attention : ne pas oublier de « d�passer les pr�jug�s » [1].

Sensible et complexe, la belle affaire ! Le VRP ministre a pr�sum� de sa mission, et Nicolas sarkozy s’est empress� de recentrer le d�bat : « Il n’y a qu’une seule politique possible s’agissant des crimes et d�lits commis dans les �tablissements scolaires : �tre intraitable ».

El�ves turbulents, lents, lents

Sarkozy qui promet de « r�tablir l’ordre et r�habiliter l’autorit� », c’est un peu la ritournelle des chefs d’�tablissements depuis la cr�ation de l’�cole. Comme le refrain qui veut que les jeunes d’aujourd’hui soient plus violents que ceux d’hier.

Partons du cas toulonnais. A la fin du XVIIIe si�cle, Toulon poss�dait peu d’�coles pour les gens du peuple. C’�tait — pour faire bref — les religieux qui se chargeaient d’�duquer les classes populaires. Ces gens d’�glise �taient surnomm�s Ignorantins � cause de l’ordre qu’ils repr�sentaient mais aussi, parfois, de la pauvret� de leurs connaissances. Ils n’en �taient pas moins confront�s � des �l�ves dont la distance au savoir acad�mique �tait bien plus grande qu’aujourd’hui. Les comportements qu’on labelliserait aujourd’hui « violence scolaire » �taient monnaie courante. Ainsi, au d�but des ann�es 1790, les professeurs du coll�ge de Toulon �crivaient � leur r�v�rend p�re [2] :

« sur la connaissance que nous avons eue de l’esprit de dissipation et d’insubordination m�me qui s’�tait r�pandu parmi messieurs les �coliers confi�s � vos soins nous avons mand� trois qui �taient d�sign�s comme les plus insubordonn�s. Ces messieurs ont paru sensibles � nos repr�sentations [et] nous ont sembl� dispos�s � mieux faire � l’avenir. Ils nous l’ont m�me promis ; nous nous faisons un plaisir de vous en faire part et nous vous prions en m�me temps que si cette promesse devenait illusoire, ou que quelqu’autre d�rangement vint a se glisser dans le coll�ge de vouloir bien nous en instruire et de concert avec vous nous prendrions tous les moyens les plus efficaces pour y apporter un prompt rem�de. »

En mars 2010, six adolescents du cru dont cinq fr�quentant le coll�ge de La Marquisanne, ont �t� arr�t�s et jug�s pour avoir fabriqu� des engins explosifs aux abords de l’�tablissement. Quelques jours avant leur arrestation, on avait entendu une explosion � proximit�. Les pr�venus ont tout d’abord expliqu� qu’ils avaient appris � fabriquer des bombes en cours de physique-chimie, avant d’avouer qu’ils avaient d�gott� le manuel sur internet [3].

Ces jeunes apprentis sorciers sont-ils r�ellement plus violents et moins toulonnais que leurs parents, grands-parents et arri�re-grands-parents ? La manipulation hasardeuse de mat�riels pyrotechniques est une composante importante de la culture locale. Regardez ce que les professionnels de la poudre ont fait � Toulon en 1899, et peut-�tre m�me aussi en 1989.

Plus s�rieusement, les d�gradations constat�es aujourd’hui sont-elles pires que celles d’hier ? Retournons l� encore en cette fin de XVIIIe si�cle — un si�cle d�cid�ment d�cadent — et retrouvons nos ch�res t�tes blondes. En janvier 1791, elles saccag�rent le couvent des Minimes, � c�t� du cours Lafayette : 15 barres de fer arrach�es au grillage du clo�tre, les pierres blanches dans lesquelles les barres de fer �taient « enchapp�es ont �t� bris�es », le griffon du bassin : enlev�, les orangers : endommag�s, les vitres de trois fen�tres d’une des chapelles du couvent : cass�es, la porte du 1er �tage du c�t� de la sacristie : enfonc�e [4]. Vandales et m�cr�ants !

La chienlit et le laxisme

Si les bambins des ann�es 2000 ne sont pas g�n�tiquement programm�s pour faire du mal, leur violence s’�panouirait au gr� d’une soci�t� plus laxiste... Enfin, c’est une th�orie qui fait long feu... Le sac du couvent des Minimes interpela les officiers municipaux qui firent « une proclamation tendant � rendre responsables les p�res de famille, s’ils ne contenaient pas leurs enfants »... Quelques ann�es plus tard, on en est toujours � menacer de supprimer les allocations familiales aux parents dits d�missionnaires.

Nos champions de l’autorit� parlent de r�former le syst�me scolaire, Sarkozy �voquant m�me l’ouverture d’une dizaine d’internats o� seraient accueillis les adolescents les plus r�calcitrants. Ces maisons de correction new age auraient pour but de mieux cadrer des djeuns difficiles en soulageant des parents incapables d’affronter la pouss�e d’hormones de leurs dangereux minots. C’est encore l’occasion de se souvenir qu’il y a 150 ans, � Hy�res sur l’�le du Levant, le comte Henri de Pourtal�s avait achet� un domaine pour y �tablir une colonie agricole et p�nitentiaire. Il embo�tait le pas � la loi d’ao�t 1850 visant � instaurer des Centres d’�ducation et de Patronage pour jeunes d�tenus. De 1861 � 1878, le p�nitencier agricole a accueilli entre 2 et 300 jeunes d�tenus [5].

Ne pas s’interroger sur les types de violences exerc�es entre/contre les individus n’est pas innocent de la part des tenants de l’ordre moral. Les chiens de garde de la logique n�olib�rale rab�chent leur doctrine autoritaire � grands coups de propagande, en tentant de faire oublier les raisons de la rupture. Cette doctrine monte des outils statistiques et affole les compteurs. Pourtant, l’examen critique permet de « relativiser s�rieusement la place des mineurs (voire de la jeunesse en g�n�ral) dans ces pratiques ». Par exemple, « les enqu�tes sur la violence � l’�cole ont montr� que, � public et � environnement urbain �quivalents, les �tablissements n’ont pas le m�me niveau de tension dans leurs relations avec les adolescents » (cf. article ci-dessous).

L’�volution de la d�linquance juv�nile en France entre 1980 et 2000, par Laurent Mucchielli

En parlant de relation : les cur�s toulonnais � la fin du XVIIIe si�cle alertant leur hi�rarchie sur le p�ril jeune auraient-ils d�nonc� les agissements p�dophiles de leurs coll�gues ? En 1823, un capucin toulonnais fut condamn� au bagne � perp�tuit� par le tribunal de Draguignan pour attentat � la pudeur sur mineurs de moins de 15 ans « et pendant qu’il �tait leur instituteur » [6]. Alors, des capucins tous p�dophiles ? Rapidement, on pourrait dire que cela confirme, si besoin �tait, que « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la diff�rence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le cur� ou le pasteur, m�me s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalit� du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement port� par l’esp�rance » (propos de Nicolas Sarkozy, Latran, 2007). En fait cela confirme surtout que les raccourcis politiques comme historiques alimentent la fabrique � boucs �missaires.

Les hussards rouges de la R�publique

Un mois apr�s le rapport des Oratoriens � leur sup�rieur, en mars 1791, les fr�res des �coles chr�tiennes de la ville de Toulon �crivaient une lettre aux �diles dont la teneur m�rite d’�tre cit�e [7]. Les clercs d�siraient rappeler au maire et � ses officiers municipaux qu’ils n’�taient que quatre pour plus de 450 enfants. Les pr�tres refusaient d’accueillir plus d’�l�ves si leurs conditions de travail ne s’am�lioraient pas !

« Qu’il nous soit permis, Messieurs, de vous observer sur la premi�re raison qu’un local qui suffit � peine pour 60 enfants n’en peut contenir 120 ou 130 comme on veut l’exiger dans ce pays, en all�guant ce proverbe "un de plus ou un de moins...". Mais ici ce n’est pas un, mais les 50 ou 60 qui sont de plus dans chaque �cole, et � quels inconv�nients ne donne-t-on pas lieu surtout par rapport au bon ordre et aux progr�s qu’on a droit de trouver dans nos �coles ? »

Face au nombre d’�l�ves, les Ignorantins exigeaient des effectifs suppl�mentaires :

« Sur la seconde raison, qui ne conviendra de bonne foi que quatre hommes ne peuvent faire l’ouvrage de huit ? Ou du moins qu’on n’a pas droit de l’exiger raisonnablement ? L’enseignement des pauvres est une fonction aussi ingrate que p�nible mais elle deviendrait insupportable si on ne pouvait l’exercer qu’en sacrifiant la sant� et la vie ».

4 adultes pour 450 enfants ? Et y a des profs, en ce troisi�me mill�naire, qui trouvent � se plaindre ? On a encore de la marge, et beaucoup d’un-fonctionnaire-sur-deux-qui-part-�-la-retraite � ne pas remplacer.

La multitude des enfants, le faible nombre des enseignants, le manque d’habitude des classes populaires � fr�quenter la culture savante pr�sentaient quelques inconv�nients graves aux yeux des clercs :

« vous conviendrez, Messieurs, que quelqu’habile que soit un ma�tre, il ne conduit pas si ais�ment 50 enfants que s’il n’en a que 12 ; nous sommes chair et os comme lui ; et que peut donc faire un pauvre fr�re qui en r�gente 160 ? Pourra-t-il avoir de l’ordre dans sa classe avec cette fourmili�re de mutins et d’indisciplin�s du premier �ge ? Quels progr�s peut-il faire faire ? Partout ailleurs on serait frapp� de cette objection, mais � Toulon o� l’�ducation du pauvre peuple n’est regard�e que comme un accessoire dont on peut bien se passer, on la fait tomber sur le champ par ce beau principe "eh qu’a-t-on besoin qu’ils apprennent ? Il suffit qu’on les retire du jeu". Mais que ce raisonnement est pitoyable ».

Et de poursuivre leurs accusations envers les pouvoirs publics :

« Serait-il possible de retirer les enfants de la passion naturelle qu’ils ont pour le jeu, que de les amonceler pour ainsi dire les uns sur les autres dans une classe, si l’enseignement ne pouvait plus faire une heureuse diversion dans les esprits ? H� pourquoi tant de d�penses et de sacrifices de part et d’autre ? Que ne les confie-t-on plut�t � des p�tres comme un troupeau ! C’est � vous Messieurs qui �tes les p�res du peuple qu’il est donn� d’appr�cier ses vrais int�r�ts, notre devoir est de vous faire ces tr�s humbles remontrances, nous esp�rons que vous voudrez y avoir �gard, et que vous ne permettrez pas que nous soyons victimes de notre z�le et notre soumission � votre volont�. »

Le maire de l’�poque se posait-il la question de savoir si les instituteurs gr�vistes remplaceraient un jour les cur�s frondeurs ? Peut-�tre pensait-il seulement qu’une gr�ve, � quatre, personne ne s’en aper�oit.

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[1] Discours du 7 avril 2010.

[2] Archives Municipales de Toulon, document dat� du 21 f�vrier 1791.

[3] Ce qui, entre parenth�ses, pourra leur servir � valider leur B2i.

[4] Archives Municipales de Toulon, document dat� du 8 janvier 1791.

[5] Pour en savoir plus, de fa�on romanc�e, lire l’ouvrage Les enfants de l’�le du Levant de Claude Gritti.

[6] C’est ce que l’on peut apprendre, en guise d’anecdote � la lecture du dernier ouvrage de l’Acad�mie du Var : Le Bagne de Toulon, 1748-1873, Autres Temps Editions, 30 euros.

[7] Archives Municipales de Toulon, document dat� du 29 mars 1791.

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