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LETTRE D'INFORMATION |

Philippe Squarzoni, entretien

vendredi 8 mai 2009
par Iconophage

Il faut lire les livres politiques de Philippe Squarzoni pour d�finitivement se convaincre que la bande dessin�e ne se limite pas au divertissement. La force narrative de ces r�cits, dont la plupart utilisent la forme documentaire, ne r�side pas dans le trait photographique du dessinateur mais dans sa science du rythme et du d�coupage. Des luttes sociales mexicaines au n�o-lib�ralisme � la fran�aise, en attendant un gros livre sur les enjeux �cologiques, d�couvrez l’œuvre atypique d’un auteur engag�.

ENTRETIEN réalisé par Eric Litot pour Iconophage [1] dans le cadre des seizi�me rencontres de la bande dessinée de Bastia, du 2 au 5 avril 2009.

Vous �tes invit� cette ann�e au 16�me rencontre dans le cadre de l’exposition M�moires du si�cle... Est-ce la premi�re fois que vous venez � Bastia ?
C’est la premi�re fois que je viens � Bastia. C’est un festival dont j’ai beaucoup entendu parler et qui a une tr�s bonne r�putation. Les auteurs sont tr�s bien accueillis par une �quipe tr�s sympa et dans un lieu convivial. Et ils ne font pas des d�dicaces � longueur de journ�e.

Ils m’ont propos� de participer � une exposition. En g�n�ral je d�cline les expositions de bandes dessin�es car elles ont tendance � toujours mettre en avant le c�t� graphique, ce qui n’est pas la dimension qui m’int�resse le plus. Mon travail ne repose en effet pas sur des performance graphiques ou du beau dessin, quels que soient les crit�res du beau d’ailleurs.

L’exposition est th�matique, le contenu est d’ordre historique et politique, et l’accent est mis sur le discours et les moyens de porter ce discours. Cela m’a donc convaincu de faire partie de l’aventure. De plus, un d�bat est organis� autour de cette th�matique. Toutes les conditions sont donc pour moi r�unies pour accepter bien volontiers cette invitation.

Le dessin n’est pas votre approche prioritaire. Vos livres sont fonci�rement politiques et c’est cet aspect-l� qui vous int�resse. Pourquoi alors avoir choisi le m�dium bande dessin�e ?
Je n’ai pas choisi la bande dessin�e pour parler de politique. Je ne vois pas les choses dans cet ordre-l�. Je me consid�re comme un auteur de bandes dessin�es. Par ailleurs, il se trouve que les choses dont j’ai envie de parler, certains de mes centres d’int�r�t, rel�vent de questions politiques : les choix de soci�t�, les grandes orientations �conomiques, la fa�on de vivre ensemble, la fa�on dont on va parler de la chose publique. Donc j’en parle dans mes livres, de la m�me fa�on qu’un auteur de bandes dessin�es d�sirant raconter sa vie. Il a d’autres pr�occupations qui ne sont pas forc�ment politiques. Ma d�marche n’est pas celle d’un militant qui se demanderait comment faire passer ses id�es et qui choisirait la BD, mais plut�t un auteur de BD qui a envie de parler de choses qui le touchent.

Ce sont des albums qui ont une vertu p�dagogique et didactique importante. On peut les consid�rer comme des reportages graphiques d’investigation.
L’id�e qui impr�gne ce travail est que les choses sont d’une certaine fa�on compliqu�es. C’est une phrase que l’on entend constamment et qui nous dit qu’on ne va rien comprendre et qu’on ne va rien nous expliquer. Je consid�re que les tenants des politiques �conomiques qui sont men�es sont compliqu�s mais que ce n’est pas une raison de ne pas s’y int�resser.

Donc je m’y int�resse, je lis la presse, des ouvrages d’analyse, et il y a des sujets que l’on ne peut aborder en quelques pages. Il faut d�velopper. J’ai � la fois envie de d�monter les discours officiels qui entourent les politiques qui sont men�es, de d�montrer les cons�quences de ces politiques qui ne nous sont en g�n�ral pas ou peu r�v�l�es, et de faire partager ces choses-l�. Il me faut du temps et beaucoup de pages. Il ne s’agit pas de faire un tract en bande dessin�e. Mon dernier livre [2] faisait 300 pages mais je pouvais difficilement expliquer en moins de pages les ressorts des politiques lib�rales et le projet de soci�t� qui se dessine derri�re.

Il vous faut certes 300 pages pour expliquer, mais le r�sultat est un expos� limpide. Vous parlez de sujets complexes, vous en extrayez un discours non pas simpliste mais simplifi�. Comment proc�dez-vous pour synth�tiser avec autant de clart� la masse consid�rable de documents que vous vous imposez de lire ?
En fait je me documente beaucoup. Je lis sur un sujet qui commence � m’interpeler. On vit dans une soci�t� o� les choses sont dites. On sait les choses. Elles ne sont pas majoritairement exprim�es mais on peut les savoir.

Une partie des livres que je lis concerne directement les th�mes que je d�sire aborder dans mon livre. Ce qui vient enrichir mon travail provient de mes lectures plus habituelles comme la lecture de la presse. Ce que j’ai commenc� � mettre en place avec DOL, c’est qu’une fois que j’ai saisi les grands th�mes dont je veux parler, je vais interviewer des �conomistes, des sp�cialistes. Pour le dernier livre, j’ai interview� des journalistes qui avaient suivi Nicolas Sarkozy dans les services police/justice, puis dans les services �conomiques, quand il �tait Ministre de l’Int�rieur, puis Ministre de l’Economie sous le gouvernement Raffarin, pour voir la fa�on dont ces gens-l� avaient travaill�. En effet, tout le monde parlait de Nicolas Sarkozy et je voulais savoir s’ils avaient un certain recul et s’ils n’avaient pas l’impression d’en avoir un peu trop fait...

Je vais donc interviewer des gens, recueillir leurs exp�rience et analyses et puis je rends �a dans mon livre un peu comme un documentaire de cin�ma : une interview face cam�ra o� un sp�cialiste s’exprime et donne son opinion sur une question. Cela enrichit le travail formel car ce n’est pas quelque chose que j’ai beaucoup vu — l’interview face cam�ra — dans la bande dessin�e. Je trouve �a compliqu� mais pas inint�ressant � faire. Je travaille comme �a et j’essaie ensuite d’�crire mon livre.

Je suis content que vous parliez de clart� car j’essaie vraiment de donner du relief aux choses, pour qu’on les comprenne et qu’on saisisse la gravit� des choix de soci�t� qui sont faits aujourd’hui.

Vous travaillez beaucoup avec des documents photographiques. Si la photo apparait souvent de fa�on explicite, c’est � dire que le document est utilis� tel quel ou alors � peine retouch�, vos personnages sont quant � eux compl�tement retravaill�s. Comment proc�dez-vous ?
Je dessine uniquement d’apr�s photo. Parce que je ne suis pas un tr�s bon dessinateur et que la photo est une b�quille qui me permet de ne pas perdre de temps � corriger mes d�fauts, et aussi parce que cela participe de la logique interne du livre politique.

Comme l’id�e est de parler de la r�alit�, je suis dans une logique de dessin r�aliste, voire de r�alisme photographique jusqu’� int�grer des photos non redessin�es. C’est coh�rent avec l’id�e d’un livre qui parle d’un monde dans lequel on vit.

En revanche, j’ai fait l’ann�e derni�re chez Delcourt un livre [3] qui n’avait pas de contenu particuli�rement politique, qui �tait une fiction, mais j’ai continu� � m’appuyer sur des photos. Pour les diff�rents personnages je me prends moi-m�me en photo. M�me pour les personnages f�minins, car il n’est pas tr�s compliqu� de changer la morphologie d’un personnage habill� pour en faire une fille. Pour d’autres personnages f�minins o� c’est un peu plus compliqu�, je demande � ma compagne de poser et je change juste le visage. Je demande exceptionnellement � des amis de me donner un coup de main pour certaines choses.

Le projet sur lequel vous travaillez aujourd’hui concerne le r�chauffement climatique. Allez-vous interroger Claude All�gre [4] ?
Non. Je ne vais pas interroger Claude All�gre qui n’a pas grand chose � dire l�-dessus.

La question des interviews est un peu compliqu�e car j’ai d�cid� de partir sur certains principes comme de ne pas interviewer des gens qui ont des opinions oppos�es aux miennes. Non pas que je craigne la contradiction, mais parce que d�j� ces gens-l� disposent d’un espace de parole m�diatique ou �ditoriale qui est suffisamment important.

Ensuite, je ne fais pas de journalisme tel qu’un bon journaliste le con�oit et qui essaie d’�tre objectif et de traiter les diff�rents points de vue de tel ou tel sujet. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur la qualit� du r�sultat et sur la notion m�me d’objectivit�. Je ne fais pas cela. Je fais des livres engag�s pour d�fendre des causes et certaines valeurs. Je cherche � expliquer l’int�r�t de d�fendre ces id�es-l� et pas les id�es du camp adverse.

Enfin, je pense qu’il est tr�s compliqu�, si l’on part du principe d’interroger les diff�rents points de vue, de les traiter de fa�on honn�te : on va leur donner moins de temps de parole, les faire parler en premier puis les faire se contredire par des gens qui sont plut�t du m�me bord que vous. Ce n’est donc pas honn�te et n’est pas non plus coh�rent avec ma d�marche.

Dans le cas de Claude All�gre, ce qu’il a � dire sur le changement climatique est juste absolument pitoyable du point de vue scientifique. Je ne vais donc lui consacrer ni du temps, ni un certain nombre de pages. J’ai d�j� suffisamment de chose � dire sans avoir � rajouter des conneries sans nom...

Ce livre va aussi faire 300 pages ?
Cela va �tre un gros bouquin car le changement climatique touche � tous les aspects de la soci�t�. J’ai d�couvert en lisant des rapports du GIEC [5], des rapports d’expertise sur la question climatique, que l’on �tait confront� � un probl�me d’une ampleur �tonnante. On va avoir du mal � passer. Cela va �tre sportif, surtout pour les plus d�munis, les plus pr�caires, les pays du Sud. Il y a donc des cons�quences politiques et il faudrait arriver � faire un livre qui exposerait le probl�me scientifique et climatique, qui montrerait les enjeux, et qui �voquerait des solutions pour essayer de passer au moindre co�t.

Il y a vraiment un enjeu politique parce que toutes ces questions rel�vent d’un choix de soci�t�. Pour l’instant la Droite s’est empar�e de la th�matique climatique et la Gauche l’a compl�tement d�laiss�e. Or il y a vraiment un int�r�t � politiser ces questions.

On a quand m�me le sentiment que la Gauche a abandonn� en rase campagne le Politique et le Social, et qu’elle s’est elle-m�me perdue.
Le PS a toujours sous-trait� la question �cologique aux Verts et ne s’en est jamais vraiment occup�. Ils n’ont absolument aucune culture environnementale et Martine Aubry s’en contre-fiche compl�tement. La gauche de la Gauche a toujours son vieux substrat marxiste qui lui a fait longtemps consid�rer que ces questions-l� �taient soit n�gligeables, soit pr�judiciables � la question sociale.

L’�cologie, c’est l’impens� de la Gauche et il faut changer de culture parce que sinon cela va �tre la croissance verte, et la croissance verte ce ne sera pas suffisant. C’est un enjeu tr�s fort pour la Gauche de se saisir de la question environnementale sous l’angle social parce que sinon Nicolas Sarkozy nous fait une taxe �cologique et en m�me temps baisse la fiscalit� sur le travail, c’est � dire baisse la protection sociale. Il y a donc des enjeux tr�s forts pour faire que l’on sorte de cette crise �cologique en prot�geant les plus d�munis.

Vous allez l’�diter chez Delcourt. Vous �tes f�ch� avec Les Requins Marteaux ?
On a connu des ann�es un peu difficiles Les Requins et moi. J’envisageais donc avec peu de plaisir l’id�e de refaire un livre chez eux. L’histoire n’est pas �crite mais l� ce sera chez Delcourt.

Bibliographie s�lective :

Garduno en temps de paix - Les Requins marteaux, 2002
Zapata en temps de guerre - Les Requins marteaux, 2003
Torture blanche - Les Requins marteaux, 2004
Dol - les Requins marteaux, 2006-2007
Un apr�s-midi un peu couvert - Delcourt, 2008

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Pour aller plus loin sur le traitement de la question environnementale :
puce le site fran�ais du GIEC
puce le GIEC pour les nuls
puce ce qu’en pensent les syndicats europ�ens

[1] Cin�ma et BD un jeudi sur deux, de 19h � 20h sur Active, 100 FM, aire toulonnaise.

[2] DOL - Les Requins Marteaux, 2006.

[3] Un apr�s-midi un peu couvert - Delcourt, 2008.

[4] R�f�rence � une chronique commise par Claude All�gre dans l’Express du 21 septembre 2006, o� l’ancien ministre de la Recherche et de l’�ducation nationale se livrait � une s�rie d’affirmations hasardeuses sur la question.

[5] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’�volution du climat.

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