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Charles Burns, entretien

mardi 22 septembre 2009
par Iconophage

Culture rock, troubles psychiques et mutations. Dans son œuvre parfois herm�tique, Charles Burns explore le r�el par le biais du cauchemar. Avant l’interview, il fredonne la chanson Venus qu’un groupe interpr�te sur la sc�ne du festival de Solli�s : "I’m your penis", murmure-t-il � la place du refrain. Une assonance pour rire, comme pour rappeler ce go�t de la distorsion qui nourrit son art.

ENTRETIEN réalisé par Eric Litot pour Iconophage [1] dans le cadre du vingt et uni�me festival BD de Solli�s-Ville (83), le 29 ao�t 2009. Interview et prise de son : E. Litot ; Photos : MHG ; Traduction simultan�e et retranscription : Caroline Pique et MHG.

Angoul�me a distingu� en 2007 l’Int�grale de Black Hole avec le Prix des Essentiels et vous �tes aujourd’hui r�compens� � Solli�s-Ville. Pensez-vous qu’il y ait une r�ception particuli�re de votre œuvre en France ? Pourrait-on parler d’une sensibilit� europ�enne ?

Tous mes livres ont �t� traduits et publi�s en France. M�me mon tout premier [2] ! Quand j’y pense, je n’ai pas eu une �ducation classique pour un am�ricain. J’ai grandi avec six albums de Tintin d’Herg�. Et jusqu’� aujourd’hui, je n’ai encore jamais rencontr� d’auteur am�ricain de mon �ge qui ait lu Tintin ou grandi avec. Je sais que d�s le plus jeune �ge, j’ai int�gr� le type de format des beaux albums en couleur franco-belges. En y repensant, le tout premier album que j’aie eu �tait un recueil d’histoires publi� par Les Humano�des Associ�s. Et pour moi, r�ussir � publier un album dans ce format, c’�tait comme boucler la boucle.

La chose la plus importante que je tiens � dire aujourd’hui, c’est que si je suis l�, c’est gr�ce � Art Spiegelman. Et ce pour de nombreuses raisons. Pas seulement parce qu’il a �t� r�compens� aujourd’hui et que nous sommes amis, mais parce qu’il a vraiment �t� l’un des premiers auteurs de BD que j’ai rencontr�s et vraiment l’un des plus importants que j’ai jamais rencontr�s. J’ai rencontr� Art et Fran�oise au d�but des ann�es 80, quand ils habitaient New-York -- c’est toujours le cas — au moment o� ils se lan�aient dans l’aventure du magazine Raw. Ce qu’ils ont r�ussi � faire, c’est, d’une part, publier de nouveaux auteurs am�ricains -- un peu diff�rents, et d’autre part, faire conna�tre des artistes europ�ens ou autres dont je n’avais jamais entendu parler comme Joost Swarte, Jacques Tardi, Ever Meulen [3]... Beaucoup de monde... Jos� Mu�oz... Des gens que j’admire encore aujourd’hui. C’est gr�ce � Art et Fran�oise que le public am�ricain a pu les d�couvrir.

Votre dessin est tr�s proche dans sa forme de la gravure d’un Frans Masereel (Die passion eines menshen) ou d’un Lynd Ward (Gods’ man, madman’s drum, wild pilgrimage). Est-ce une influence que vous revendiquez ?

C’est difficile � dire... Quand j’�tais petit, mes parents allaient souvent � la biblioth�que et ramenaient des livres d’art � la maison. Mon p�re avait un livre de Heinrich Kley [4], c’�tait des dessins. Je pense aussi � quelqu’un comme Rockwell Kent [5], un illustrateur que j’ai d�couvert tout jeune. Mais je pense que mon style est certainement plus influenc� par les comics am�ricains des ann�es 40 ou de la fin des ann�es 50. C’est un style tr�s particulier qui tient � la fluidit� des lignes, un style que j’ai toujours admir� dans mon enfance et que je cherchais � imiter.

Votre œuvre ausculte les peurs et les n�vroses de la soci�t� am�ricaine en particulier et plus g�n�ralement de l’occident. Pensez-vous que des auteurs comme Daniel Clowes, Chris Ware, Adrian Tomine et d’autres creusent ce m�me sillon ? Pourrait-on parler de mouvement ?

Je crois que les auteurs dont vous parlez, et qui ont tous mon admiration, sont plus tourn�s vers tout ce qui a trait � l’intime plut�t qu’� ce qu’il se passe dans le monde. Ces histoires traitent de la soci�t� am�ricaine et parfois m�me de l’horreur qui en jaillit.

Un mouvement ? Je ne crois pas... Plut�t des auteurs qui ont un peu la m�me fa�on de voir les choses, qui ont eu les m�mes influences et la m�me culture. Ce que je respecte le plus chez les artistes que vous avez cit�s est qu’ils ont un style tr�s personnel et tr�s fort. Je pense par exemple � Dan Clowes. Avec les ann�es, son travail, qui au d�part �tait moins affirm�, est devenu bien plus personnel et j’esp�re avoir suivi le m�me chemin.

O� en est l’adaptation de Black Hole au cin�ma ? Quel est donc le r�alisateur ? On a en effet parl� de David Finsher puis d’Alexandre Aja. Je suppose que le m�dium cin�ma n�cessite des adaptations certaines, surtout au vu de la structure complexe de votre livre. Participez-vous activement au sc�nario ?

Je n’ai pas grand-chose � vous apprendre, �a ne m’appartient plus. J’ai sign� un contrat avec la Paramount, qui est un des plus grands studios de cin�ma am�ricain, et � l’heure actuelle c’est le r�alisateur David Fincher qui est cens� s’occuper du film. D�s que j’ai eu fini de travailler sur Black Hole, j’ai fait le choix d�lib�r� de ne pas revenir sur l’histoire, de ne pas participer � une adaptation cin�matographique, de ne pas �crire de sc�nario.

J’ai un contrat d’une centaine de pages qui dit : « Vous pouvez proposer des id�es, donner votre opinion ou nous fournir des indications, mais nous sommes en droit de ne tenir compte de rien. »

En parall�le du film, vous avez commenc� une nouvelle BD -- en couleur cette fois-ci -- que vous d�finissez vous-m�me comme la rencontre entre Herg� et William Burroughs. O� en �tes-vous ?

Je vais avoir beaucoup de mal � en parler. Au d�part, ce qui m’est venu � l’esprit, c’est un slogan pour film hollywoodien. Je viens de terminer un album qui correspond tout � fait au style franco-belge. Cela tient � son format, au fait qu’il soit en couleur... Il fait 56 pages, � ce jour. Mon id�e, c’�tait de raconter une histoire qui parlerait de la musique punk, de William Burroughs, de la mortalit�, d’Herg�... Et ainsi de suite, de l’avortement, etc, etc...

Je laisse le temps � l’histoire de prendre forme et je peux dire que j’en suis tr�s content. Le livre s’appelle X-ed Out [6]. Il y a peu de temps, j’en ai vendu les droits � Pantheon Books mais je ne connais pas la date exacte de sa sortie. Il est �galement pr�vu de le publier en France.

Avez-vous pr�sent� votre projet aux ayants droit d’Herg� ?

Pourquoi ferais-je une chose pareille ? D’apr�s moi, il n’existe aucun lien entre ce que je cr�e et l’univers d’Herg�, si ce n’est que sa force cr�atrice m’inspire. Il fait partie des g�ants.

Black Hole vient � nouveau d’�tre r�compens�. Cela ne vous d�range-t-il pas de devoir revenir � nouveau sur cette œuvre ?

Pas du tout, c’est merveilleux de voir son travail reconnu. Je suis ravi. Mais comme le livre a �t� publi� dans d’autres pays et qu’on continue � m’en parler, je suis toujours en train de me dire... « Hmmm... Ah oui, Black Hole ! ». Oui, c’est vrai, je suis encore oblig� d’y penser. Mais �a ne me d�range pas.

Spiegelman, Mouly, Burns
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[1] L’�mission culturelle, sur Active 100.FM, tous les mardis de 18h30 � 19h30.

[2] El Borbah, Les Humano�des associ�s, coll. "Pied jaloux", 1985.

[3] Eddy Vermeulen (dit) ; illustrateur belge n� en 1942. Sc�nariste, dessinateur et illustrateur tr�s influenc� par le style Art D�co. Il est, avec Joost Swarte, un des principaux repr�sentant de la ligne claire.

[4] Dessinateur de presse, illustrateur, caricaturiste et peintre allemand de la premi�re moiti� du XX�me si�cle.

[5] Artiste du XX�me si�cle ayant pratiqu� entre autre la gravure sur bois.

[6] Raccourci anglais pour crossed Out, qui signifie "ray� des listes".

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