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LETTRE D'INFORMATION |

Chris Ware, entretien

mardi 22 septembre 2009
par Iconophage

"Je ne suis pas tr�s fort pour r�pondre aux questions. Excusez-moi par avance... J’ai toujours du mal � me faire comprendre".
Artiste majeur du XXIe si�cle, c�l�br� � Angoul�me en 2003 [1], Chris Ware pratique l’auto-d�nigrement syst�matique, balbutie quelques excuses, r�duit un travail conciliant profondeur et perfection formelle � un jeu sans importance. Nous n’en attendions pas moins de lui.

ENTRETIEN réalisé par Eric Litot pour Iconophage [2] dans le cadre du vingt et uni�me festival BD de Solli�s-Ville (83), le 29 ao�t 2009. Interview et prise de son : E. Litot ; Photos : MHG ; Traduction simultan�e et retranscription : Caroline Pique et MHG.

Cela fait quoi d’�tre consid�r� comme un g�nie de son vivant ?

Je ne peux pas r�pondre � une question pareille... �a n’a pas de sens. Tout d’abord, je ne croirais personne qui me dirait �a. Ce serait dangereux pour n’importe quel artiste de croire tout ce qu’on peut dire au sujet de son travail, car cela reviendrait � abandonner tout sens critique et � perdre tout contr�le. Et c’est vraiment dangereux. Et puis, il vous suffit de demander � ma femme et elle pourra vous donner une r�ponse tr�s claire qui vous prouverait que ce n’est pas vrai.

La reconnaissance de votre œuvre est-elle plus europ�enne qu’anglo-saxonne ? Vous disiez que ce qui a lib�r� votre cr�ativit�, c’est votre indiff�rence � la critique. Le succ�s actuel ne vous encha�ne-t-il pas � nouveau ?

C’est difficile � dire parce que je ne suis pas capable de lire des articles dans les magazines �trangers et puis globalement je ne lis pas du tout d’articles sur la BD. En fait, �a peut virer � l’obsession si on y pense trop. Et puis j’ai une fille, je n’ai pas vraiment le temps de m’int�resser � tout �a. Ce qui compte le plus c’est d’essayer d’�tre un papa, de dessiner un peu...

Comment d�finiriez-vous le projet ACME NOVELTY LIBRARY [3] pour des n�ophytes ?

C’�tait juste le nom d’un p�riodique que j’ai commenc� dans les ann�es 90 et au d�part c’�tait comme une blague, un genre de nom pour une entreprise. �a veut dire... en fait... �a m’a permis de ne pas... en quelque sorte... prendre l’enti�re responsabilit� de ce que je faisais en tant qu’artiste. Petit � petit, cette invention est devenue une m�taphore des identit�s que nous nous cr�ons, et de la fa�on que l’on a de se r�inventer pour essayer de s’en sortir dans la vie.
Si ce n’est pas trop pr�tentieux de parler ainsi ! C’est vraiment une mauvaise r�ponse. D�sol�.

Comment pourrait-on traduire ACME NOVELTY LIBRARY ?

ACME signifie le sommet et NOVELTY d�signe quelque chose d’insignifiant, de superficiel, d’inutile et LIBRARY c’est un endroit o� on conserve des choses. Donc tout cela combin�, �a donnerait le "summum de l’inutile" ou quelque chose comme �a.... En fait c’est un titre fourre-tout. Au final, ce qui est trait� dans ACME NOVELTY LIBRARY c’est comment les id�es que nous avons sur le monde transforment notre vision du monde. Et comme je ne crois pas que l’art et les id�es puissent cohabiter, je pense que les id�es sont tr�s dangereuses et corrosives. Je me suis donc dit que la seule fa�on de faire un livre sur des id�es �tait de faire un livre d’histoires dr�les.

Vous apportez un soin m�ticuleux � la r�alisation et � l’�dition de vos œuvres originales [4], mais aussi � leur traduction/adaptation dans d’autres langues. Vos œuvres sont traduites dans combien de langues ?

Je ne sais pas vraiment... Pas beaucoup... Quelques unes... Honn�tement, je n’en ai pas la moindre id�e. Je ne m’occupe pas de la traduction en elle-m�me. Si on a besoin de moi pour la police de caract�re ou pour n’importe quoi d’autre, �a ne me pose pas de probl�me. Pour moi, ce qui compte c’est que la couleur et le livre soient les plus fid�les � ce que j’ai en t�te. Mais je ne traduis pas, je ne r��cris rien. Vous savez, je suis le produit du syst�me scolaire am�ricain, je ne ma�trise pas d’autres langues.

Votre œuvre lie intimement le fond et la forme. Vous �chappez ainsi � une certaine forme de standardisation. Votre succ�s n’est-il pas la preuve apport�e aux �diteurs frileux qu’il doit y avoir une place pour tout type d’expression ?

En fait, je n’en ai aucune id�e. J’essaie tout simplement de raconter des histoires qui parlent des gens tels qu’ils sont. J’essaie de ressentir de vraies �motions, puis j’essaie de les restituer aussi clairement que possible tout en ayant le souci de les rendre aussi �tranges, confuses et d�routantes que ma propre vie.

Que pensez-vous de l’essor du livre num�rique ? Le livre-objet tel que vous le concevez n’est-il pas un d�bouch� pour la survie du support papier ?

Je suppose que �a d�pend du m�dium que vous utilisez mais j’aime tout particuli�rement les livres. Ce que j’aime c’est que ce sont des objets finis et qu’ils sont plus complexes � l’int�rieur qu’� l’ext�rieur, tout comme le sont les �tres humains.

Parlez-nous un peu de votre exp�rience relative � l’exposition QUINTET qui s’est d�roul�e � Lyon au printemps 2009 ?

J’ai simplement visit� le mus�e avant qu’aucune des œuvres n’y soit expos�e, et je n’ai pas eu l’occasion de voir l’exposition. J’�tais tr�s flatt�. Mais c’est plut�t difficile d’exposer mon travail... Comment dire... Ce que j’avais � montrer �tait s�rement le plus ennuyeux et aride de tout de que l’on pouvait voir dans l’exposition ! On aurait dit des dessins techniques accroch�s � un mur !

Avez-vous compl�t� vos outils de travail -- r�gle, �querre, compas, ... - par des logiciels de dessin vectoriel ?

Non, pas du tout. Jamais.

Avez-vous jamais pens� � adapter certaines de vos œuvres en film d’animation ? Bien s�r ! Avec des amis, j’ai fait de l’animation, des diaporamas, et j’ai �galement travaill� sur des petits clips, mais plus maintenant. J’ai du mal � travailler avec les autres, je travaille mieux tout seul. C’est un peu triste mais c’est comme �a.

O� en �tes-vous de la publication de l’anthologie The Best American Comics [5] ? Une traduction fran�aise est-elle pr�vue ?

Pour la traduction je ne suis pas s�r... Je me suis occup� d’un volume de The Best American Comics et Charles (Burns), � son tour, vient de publier le dernier volume de la s�rie.

En plus du �ni�me ACME NOVELTY LIBRARY, y-a-t-il des projets qui vous tiennent � cœur ?

Je suis en train de finir deux livres, Building Stories [6] d’abord, puis Rusty Brown [7] pour ACME NOVELTY LIBRARY, et je travaille sur la mus�ographie d’une exposition qui se tiendra � Chicago autour de l’architecte Louis H. Sullivan, qui est en quelque sorte le pr�curseur de l’architecture am�ricaine moderne.

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� lire : une �vocation du travail de Chris Ware, sur le site de la librairie Contrebandes.

[1] Jimmy Corrigan : alph-art du meilleur album.

[2] L’�mission culturelle, sur Active 100FM, tous les mardis de 18h30 � 19h30.

[3] 19 volumes � ce jours. Une incroyable s�rie dans laquelle Chris Ware exp�rimente et joue avec toutes les variables du m�dium BD : les personnages, la narration et le graphisme, le texte et l’image, la planche et la case, les couleurs, le format, la qualit� du papier...

[4] Se r�f�rer par exemple au travail remarquable de l’Association pour Quimby the Mouse (octobre 2005).

[5] The Best American Comics est une anthologie annuelle de bandes dessin�es qui r�unit talents confirm�s et prometteurs. Chaque tome est dirig� par un r�dacteur en chef diff�rent : Harvey Pekar en 2006, Chris Ware en 2007, Lynda Barry en 2008 et Charles Burns en 2009.

[6] Une s�rie de vingt-quatre planches - une par heure - racontant la vie d’un immeuble.

[7] Un personnage r�current de Chris Ware.

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  • Chris Ware, entretien 22 septembre 2009, par


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