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LETTRE D'INFORMATION |

R�ves de France � Marseille - entretien avec Michel Samson et Tahar Rahmani

dimanche 14 mars 2004
par MHG & Montag

Retour sur le film documentaire de Jean-Louis Comolli et Michel Samson sorti en novembre 2003. De la difficult� de faire de la politique quand on est d’origine maghr�bine...

MARS 2000, ouverture de la campagne pour les Municipales. Quelle est la repr�sentation des citoyens dans la composition de la classe politique fran�aise ? Pourquoi les Fran�ais issus de l’immigration sont-ils absents de cette composition ?

Lorsque M. Samson et J-L. Comolli d�cident de tourner, ils ont un lieu : Marseille ; des acteurs : des gens qui veulent entrer au Conseil municipal ; mais pas vraiment de sc�nario. Michel Samson pr�cise d’ailleurs qu’il leur sera offert « par les partis politiques qui se sont d�brouill�s pour faire une histoire invraisemblable ». Et en effet, les �lections municipales ressemblent � du Shakespeare... Alliances, trahisons, coups de th��tre, revirement final.
Tout se passe au parti socialiste. Pour une bonne raison : le PS choisit la transparence en autorisant le film. Ce qui n’est pas le cas des partis de droite qui pr�f�rent la technique de la « porte ferm�e » pour d�signer leurs colistiers, comme le souligne Michel Samson.
Parmi les candidats pr�tendant figurer sur la liste socialiste se d�tache Tahar Rahmani, « Fran�ais issu de l’immigration ». Qui a pu d�montrer ses capacit�s politiques en si�geant au Conseil municipal, mais dont les ambitions restent contrari�es pour des motifs dont la plupart de ses coll�gues n’ont pas � souffrir... Le film de M. Samson et J-L. Comolli montre clairement les m�saventures des femmes et hommes d�sirant s’inscrire en politique, mais dont le patronyme n’a pas une consonance tr�s fran�aise. Les raisons des r�ticences des partis � concevoir une plus grande diversit� dans leur repr�sentation sont multiples. L’une d’entre elles se nomme conservatisme, vieux concept qui consiste � ne pas laisser les autres, au sens large du terme, « prendre la place ».

Mars 2004. Quatre ans apr�s les Municipales, les partis ont compos� leurs listes pour les R�gionales. C’est le moment de regarder comment chaque candidat se d�brouille avec la question soulev�e par le film. A consid�rer les noms figurant sur la liste de gauche institutionnelle en Paca, et sans pr�juger de la valeur politique des uns et des autres, on constate certains efforts de "colorisation". Pour Renaud Muselier et ses comp�res, par contre, il n’y a toujours pas d’arabe suffisamment bon pour �tre �lu derri�re la banni�re UMP/UDF...

La projection-d�bat du 5 f�vrier 2004 organis�e par la Ligue des Droits de l’Homme au cin�ma Le Royal � Toulon est l’occasion, pour Cuverville, de rencontrer Michel Samson et Tahar Rahmani.

« R�ves de France � Marseille » a pour toile de fond les �lections municipales de 2001 � Marseille, �lections au cours desquelles Tahar Rahmani, membre du parti socialiste et candidat sortant, comptait se repr�senter sur une liste socialiste pour finalement �tre �vinc�. A partir de l�, Michel Samson, vous avez eu l’id�e de faire ce film qui s’inscrit dans une s�rie de documentaires sur la vie politique marseillaise. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Tout d’abord une pr�cision, Tahar Rahmani a failli �tre �vinc�, mais a finalement �t� �lu. Puisque avec sa r�action, celle de son ami Philippe Sanmarco et celles recueillies dans la ville de Marseille, le PS l’a finalement remis sur la liste. C’est une premi�re chose. En ce qui nous concerne, nous n’avons pas film� Tahar Rahmani. Jean-Louis Comolli et moi-m�me avons d�cid� en 2000 de filmer cette question politique essentielle : que fait-on des enfants de l’immigration r�cente, en clair, que fait-on des arabes dans la vie publique ? Comment se fait-il que l’on soit d’accord pour qu’ils fassent du tambourin sur la Canebi�re - c’est ce qu’on a film� - et qu’on ne soit pas tellement d’accord pour qu’ils soient �lus ? On est donc tomb� sur tous les acteurs � noms arabes ou comoriens qui voulaient entrer dans la vie politique. Et on les a suivis. Tahar Rahmani, avec la m�saventure que je viens de rappeler, mais aussi Nouredine Haggoug, Salah Bariki, Samia Ghali, etc. On a suivi ces gens l�. On n’a pas d�cid� de filmer Tahar Rahmani parce que l’on savait que cela se passerait mal. On aurait d’ailleurs propos� un sc�nario comme celui-ci � un producteur, il nous aurait trait�s de fous et d�montr� l’impossibilit� et la complexit� de l’affaire. Or, ce sont les politiques qui ont invent� le sc�nario. Nous avons simplement film� une question. 5 ou 6 �lus veulent entrer au conseil municipal et on narre leurs m�saventures.

Vous filmez la vie politique durant les �lections municipales, mais une fois obtenu ce mat�riau, vous choisissez un registre particulier. Dans le film il y a un rythme, des acteurs avec une certaine puissance comique ou ironique, un ton tr�s critique qui peut amener un certain rejet de la politique en g�n�ral. Qu’est ce qui a pr�sid� au montage ? Comment vous �tes vous entendu avec Jean-Louis Comolli ?
Ce qui a pr�sid� au montage, c’est le sc�nario. Une chose � pr�ciser : Jean-Louis Comolli et moi estimons que la politique, c’est tout d’abord de la passion et des gens. L’�conomie g�n�rale de notre cin�ma est de rendre compte de cela. Non pas asseoir des gens derri�re des bureaux pour faire des grands discours, mais trouver des personnages qui incarnent les questions politiques. La politique, c’est toujours des corps qui parlent, qui sentent, qui souffrent, qui hurlent, qui m�prisent... On essaie de suivre les m�andres des affrontements d’id�es traduites par des corps, des postures et des mises en sc�ne. Si c’est comique ou tragique, c’est que la mise en sc�ne des acteurs, des responsables, des fifres, des sous-fifres, des m�pris�s, des gagnants et des perdants est dr�le ou non. Parfois c’est du Moli�re en beaucoup mieux ! Mais nous n’�crivons jamais les textes. Jamais. On pose une question et les gens nous r�pondent. Apr�s, on essaie d’avoir un montage fid�le au tournage. Vous pouvez poser la question � Tahar Rahmani. M�me si des gens d�testent notre film, comme certains responsables socialistes par exemple, personne ne nous a jamais dit que cela ne s’est pas pass� comme �a. Personne ne nous a jamais dit : "Votre film ment sur le r�el". M�me si on utilise des proc�d�s de fiction, la musique, mon personnage de d�tective en imperm�able - je sais parfaitement que je joue un personnage qui n’est pas moi -, Tahar Rahmani en tant que personnage r�el trait� comme une fiction, c’est comme cela que l’on rend compte du r�el. On sait depuis les grands films du d�but du XX�me si�cle de Robert Flaherty [1] que le documentaire est toujours une fiction. On met en sc�ne. Quand Flaherty tournait Nanouk l’Esquimau, on pensait qu’il y avait un esquimau qui faisait du kayak sur son lac, qu’il �tait pass� l� et que Flaherty avait pos� sa cam�ra. Ce n’�tait pas vrai. Flaherty avait demand� � Nanouk de passer par l�. Idem sur l’�le d’Aran. On fait la m�me chose dans la vie publique.

Tahar Rahmani, ce film de fiction a-t-il r�ussi � toucher le r�el et � modifier le fonctionnement du parti socialiste ? Pouvez-nous en dire un peu plus sur les suites de votre aventure pendant et apr�s le tournage du documentaire ?
Tahar Rahmani - La sortie du film a fait se questionner les responsables du parti socialiste. Je pense qu’il a eu le m�rite de faire �voluer un certain nombre de choses dans la f�d�ration PS des Bouches du Rh�ne, et peut-�tre au plan national. Le film n’est bien s�r pas le seul �l�ment, mais les d�bats qui ont suivi ont apport� leur modeste contribution � l’�volution de la situation. Naturellement, on ne peut rester sur une position statique et affirmer que c’est comme �a, que les responsables sont les responsables, que nous devons faire des choix face � une situation qui n’�volue gu�re... La situation a �volu�. On l’a vu et on continue de le voir. On va voir le r�sultat aux prochaines �lections r�gionales [2], les premi�res �lections locales importantes - hors les l�gislatives qui se sont d�roul�es dans un contexte particulier - depuis les �lections municipales de 2001. Nul ne conteste le fait que c’est un film qui a fait avancer le d�bat.
Michel Samson- tous les acteurs concern�s par ce film l’ont vu. Pour rebondir sur ce que Tahar Rahmani ne dit pas, c’est que si la question a progress� dans les partis politiques, c’est lui qui l’a pay�. C’est vrai que les partis politiques ne pourront plus permettre que tout le monde s’appelle "Fran�ois" et qu’il n’y ait pas un "Mohamed" ou une "Yasmina" dans les listes. Mais beaucoup de gens n’appr�cient pas cela, et ont fait payer � Tahar Rahmani et � d’autres le fait qu’ils se soient �lev�s contre le syst�me. La vie politique est extr�mement cruelle. Depuis que je filme, je constate toujours que si on avance, on sacrifie quelqu’un. Dans la vie politique fran�aise, il y a toujours des sacrifi�s absolus. La question politique avance globalement, mais Tahar Rahmani ou d’autres en prennent plein la gueule. C’est un peu sinistre de dire �a.

Cependant, lors du d�bat, vous insistez sur le profond respect que vous avez toujours envers les hommes politiques. Vous insistez aussi sur la distance qu’il faut prendre avec un certain registre tr�s ironique et distanci� vis-�-vis de cette m�me ar�ne politique.
La politique est un spectacle qui tient du th��tre. Pas de la t�l� - cela n’a rien � voir avec la t�l�-r�alit�. On met sur sc�ne une s�rie de conflits que l’on r�sout symboliquement et pas pratiquement entre nous. On filme cette mise en sc�ne des conflits. La politique, c’est comment vivre ensemble. Cela revient toujours � �a : les pauvres, les riches, les arabes, les comoriens... Comment vivre et r�gler des conflits. Conflits de classe, ethniques, de religion... On peut toujours r�ver que cela soit autrement, on peut toujours dire que les hommes politiques sont d�cevants, mais on peut pas faire sans. Il faut bien faire des lois, il faut bien savoir si on accepte le voile ou pas, si on rembourse des m�dicaments, il faut bien qu’on choisisse des gens qui vont faire �a. Des gens dont on puisse se dire c’est nous, celui-l�, il nous repr�sente. Il y a un "nous" collectif : nous Fran�ais, nous de gauche, nous de droite... Ce que j’ai simplement film� avec Jean-Louis Comolli, c’est que certains ne peuvent pas dire "nous". Parce qu’il y a 200000 personnes � Marseille qui s’appellent Mohamed ou Yasmina et qu’au conseil municipal, il n’y a pas un individu qui s’appelle Mohamed ou Yasmina. J’ai du respect pour la question politique, tout en �tant toujours d��u. On est toujours d��u. Elle n’est jamais � la hauteur des esp�rances que l’on met en elle. Simplement, les gens qui disent "la politique c’est pipeau et c’est tout" me fatiguent. Parce que comment faire ? Il faut bien �lire Rahmani ou Gaudin, ou les deux. On ne peut pas vivre sans. Je respecte les gens qui vont se battre l�-dedans. C’est beaucoup plus facile pour moi de filmer que de faire. Moi, je n’ai pas � composer des listes �lectorales, et je suis un peu arrogant si je me moque des gens qui font ces listes.

Ce film s’inscrit dans une s�rie de documentaires. Quel est votre prochain projet ?
Jean-Louis Comolli et moi-m�me avons �crit un texte et attendons une r�ponse de Plan�te et Arte. Le cin�ma documentaire est une �conomie de cueillette et d’auto-stop. On aimerait bien filmer les r�gionales 2004, et plus pr�cis�ment les rapports entre les m�dia et Le Pen. Comment se fait-il qu’on perde toujours face � Le Pen quand on est journaliste, alors m�me que l’on est contre lui ? C’est cette question qui nous travaille, que l’on aimerait bien filmer... Mais on n’est pas s�r d’y arriver.

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Merci � l’�mission Iconophage, cin�ma/BD tous les lundis 19h/20h30 sur Radioactive 100FM.
...Et au cin�ma Le Royal.

[1] Robert J. Flaherty (Iron Mountain, Michigan, 1884 - Dummerston, Vermont, 1951) - R�alisateur, sc�nariste am�ricain. Explorateur et chasseur pendant de nombreuses ann�es, il s’orienta en 1913 vers la r�alisation de films. Il est consid�r� comme l’un des plus grands documentaristes du monde. Il a tourn� notamment des films sur les Esquimaux (Nanouk, 1922) et sur les �les Samoa (Moana, 1926). On lui doit aussi : l’Homme d’Aran (1934), The Land (1942), Louisiana Story (1948).

[2] Tahar Rahmani a finalement d�missionn� du PS pour devenir membre, en 2001, de l’association politique Convention Citoyenne. Il est candidat aux r�gionales 2004 sur la liste "R�gion Citoyenne" de Philippe Sanmarco.

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