Casinos à TPM : pour qui le jackpot ?  Toulon, port colonial 2004  La prison est une machine à récidive  Requiem pour Quatre Saisons  Bénin : la Financial Bank dans la tourmente  Métropole et l?histoire de la Rotonde  Moi technocrate. Moi urbaniser.  Hubert Falco : « i have a dicrim ! » 

 

 


.:: TOULON VAR AGGLOMÉRATION ::.
Dansons sous la pluie
(27/10/2004)

 

 

 

 

 

Lagoubran 1899 : Boum ! Et apr�s ?
Version imprimable Envoyer à un(e) ami(e)

mercredi 13 octobre 2004

par Olivier Vermert

Cuverville s’int�resse aux risques technologiques induits par les activit�s militaro-industrielles de l’arsenal toulonnais.
Comme mise en bouche, voici l’histoire de la poudri�re de Lagoubran qui explosa dans la nuit du 5 mars 1899. Une explosion semble-t-il spontan�e, qui est � celle de l’usine AZF de Toulouse ce que "la Charge des Walkyries" de Richard Wagner est � "la Route Fleurie" de Francis Lopez. Et ce n’est pas pour nous vanter.
Un si�cle plus tard, le volcan est-il �teint ?

ne flamme gigantesque, un « immense nuage de fum�e noire et f�tide », un tonnerre dont le vacarme sera per�u, raconte le Petit Var [1], jusqu’� Barcelonnette !
La poudri�re impliqu�e dans l’explosion est la plus ancienne de l’Arsenal, construite sous Louis XIV et en partie refaite en 1883. Dans ses magasins, deux types de charges en usage � la fin du dix-neuvi�me si�cle : l’antique "poudre noire" ou poudre � canon (environ 100 tonnes), et l’innovante "poudre B", dite poudre sans fum�e, invent�e 15 ans plus t�t par l’ing�nieur Paul Vieille (environ 80 tonnes). Des substances non alt�r�es et consid�r�es stables par les analystes et la hi�rarchie militaire.

« Ce fut la ruine dans un rayon de trois kilom�tres autour de la poudri�re. Outre un village d�truit [celui de Lagoubran], une vie �conomique r�duite � n�ant, les effets de l’explosion ont �t� tels que des blocs de pierre furent projet�s. Le Petit Var du 6 mars 1899 donne l’exemple d’un bloc de 200 kilos retrouv� � 2 kilom�tres de l’endroit de l’explosion. Egalement, autre fait frappant : l’eau du canal qui entourait la poudri�re a d�bord� sur la route de la Seyne en raison du souffle de l’explosion. Les routes furent recouvertes de d�bris. De l’arsenal principal de Toulon � la poudri�re, la route fut jonch�e de pierres, il en va de m�me pour la route conduisant � la Seyne qui est bord�e d’immeubles d�truits et jonch�e de blocs de pierre » [2].

Pertes humaines : 55 victimes directes comptabilis�es, essentiellement des civils. 51 d’entre elles auront droit � une c�r�monie offerte par la municipalit� toulonnaise, assortie d’une concession � perp�tuit� (deux bless�s mourront trop tard pour participer aux agapes officielles, et on trouvera ult�rieurement deux cadavres suppl�mentaires sous les d�combres). La ville re�oit les t�moignages de sympathie des plus hauts dignitaires de l’Etat. Des souscriptions sont ouvertes pour venir en aide aux familles et � la commune sinistr�es. Le Pr�sident de la R�publique (Loubet) et le pr�sident du Conseil (Dupuy) y vont eux-m�mes de leur poche (500 francs chacun), avant que ne soient d�bloqu�s divers cr�dits pour un total de 700.000 francs. Des initiatives priv�es permettent de recueillir des fonds suppl�mentaires.

Responsabilit�s et n�gligences. Un �ditorialiste de la Nature, "revue des sciences et de leurs applications aux arts et � l’industrie" [3], �crit quelque temps apr�s le drame : « l’�motion produite par l’explosion de Lagoubran n’est pas pr�te de se calmer. La catastrophe est lamentable. Nous esp�rons bien que l’on va soumettre � un examen attentif toutes nos poudri�res. Il en est encore quelques-unes, peut-�tre, qu’il faudra d�placer. La le�on est dure, mais il faut qu’elle nous profite. Le magasin � poudre de la marine de Lagoubran situ� entre la Seyne et Toulon avait �t� r�fectionn� en 1884 ; on l’avait construit loin de toute agglom�ration ; peu � peu, des maisons se sont �lev�es dans son voisinage et le mal a �t� pr�cis�ment de laisser b�tir dans la zone dangereuse. On est d’habitude plus s�v�re. Une enqu�te rapide devra �clairer le pays sur les poudri�res qui pourraient offrir des dangers. La cause de l’explosion est et restera sans doute ind�termin�e. Nos poudres jouissent cependant d’une stabilit� plus grande qu’on ne le pense g�n�ralement. Mais enfin, il est certain, malheureusement, que les explosions sans cause apparente se sont produites � plusieurs reprises. Ce qui est survenu peut donc se produire encore. Et l’on ne saurait trop multiplier les pr�cautions. »

Trois enqu�tes seront diligent�es. La premi�re vise � �tablir les causes "techniques" de la catastrophe. Elle est d�l�gu�e � un militaire de haut rang, directeur de l’artillerie au minist�re de la Marine. R�sultats : l’explosion ne peut pas venir d’une imprudence des techniciens de la poudri�re, ni d’une combustion spontan�e. La Grande muette r�fute ainsi toute responsabilit� et �met l’hypoth�se d’un acte criminel.
La seconde enqu�te est d’ordre judiciaire et confi�e au pr�fet maritime. Pour lui, ni responsabilit� humaine ni acte criminel : plut�t une combustion spontan�e.
Enfin, une commission post�rieure sera charg�e de revenir sur l’origine du drame. Parmi les experts : Paul Vieille, inventeur de la fameuse poudre B. Une �tude suppl�mentaire pour pas grand-chose, sans conclusion affirm�e... Malgr� « les t�moignages d’un ouvrier et d’un garde [selon qui, quelques mois avant le d�sastre], deux caisses contenant de la poudre B ont �t� noy�es car elles d�gageaient des vapeurs rouge�tres. Un rapport a d� informer les chefs, mais ils n’ont rien fait » [2].
Il faudra attendre huit ans et une nouvelle catastrophe, l’explosion du cuirass� Iena en car�nage au bassin de Missiessy, pour qu’on remette la responsabilit� de la poudre B sur le tapis.

Et aujourd’hui ?
Dans cette vieille histoire, on retrouve les m�canismes en action � chaque fois que la soci�t� est confront�e � une calamit�, qu’elle soit d’ordre naturel ou technologique :
-  La population est prise au d�pourvu. Des riverains peu ou pas inform�s s’�tonnent a posteriori, ayant parfois achet� un terrain en zone dangereuse (avec la b�n�diction des pouvoirs publics) sans r�ellement mesurer les risques. Tant que �a va bien, on ne voit pas ce qui pourrait aller mal. Comme aurait pu le dire monsieur de la Palisse, dix secondes avant l’explosion rien n’avait explos� ;
-  les pouvoirs publics, n�gligents, s’inqui�tent trop tard : ils ont laiss� l’urbanisation aller de l’avant au m�pris de toute prudence ;
-  le drame suscite une compassion universelle, plus ou moins sinc�re, plus ou moins hypocrite, avec son corollaire, l’appel � la g�n�rosit� qui tend � pallier les carences de l’Etat ou des autorit�s impliqu�es ;
-  on cherchera sans fin les responsabilit�s, les dirigeants pratiqueront le d�ni syst�matique, les instances prises dans la tourmente joueront au ping-pong. Les dossiers s’accumuleront chez le juge jusqu’� ce que la soci�t� oublie. Jusqu’au prochain drame.

La « dure le�on » a t-elle servi ? Apr�s l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, le gouvernement s’est attel� � la mise en place des Plans de Pr�vention des Risques Technologiques. « Les PPRT d�limitent, autour des installations class�es � haut risque, des zones � l’int�rieur desquelles des prescriptions peuvent �tre impos�es aux constructions existantes et futures et celles � l’int�rieur desquelles les constructions futures peuvent �tre r�glement�es ». Oui mais voil�. Encore faut-il d�finir ce qu’est une installation � haut risque.
En mati�re de dangers technologiques, l’Europe s’est dot�e d’un outil nomm� "directive SEVESO" [4]. Un �tablissement class� SEVESO est soumis � une attention toute particuli�re et impose une ma�trise tr�s rigoureuse de l’urbanisation. La directive SEVESO a �volu� depuis sa cr�ation et concerne d�sormais aussi les activit�s relevant du secteur pyrotechnique.
Le na�f pourra donc s’�tonner de ne pas trouver, dans la liste des �tablissements de la r�gion Provence-Alpes-C�te d’Azur class�s SEVESO, la moindre r�f�rence � la poudri�re toulonnaise, rebaptis�e "Pyrotechnie". Le na�f ignore que les installations militaires sortent du champ d’application de la directive SEVESO.

Ci-dessous, un instantan� d’une page trouv�e sur le site du minist�re de l’Ecologie et du d�veloppement durable consacr� � la pr�vention des risques majeurs (PRIM). Rubrique "Ma commune face au risque majeur" :

Sur le site du Comit� D�partemental d’Information G�ographique, un document consacr� aux risques technologiques pr�vient : « le risque industriel sur la commune [de Toulon] est g�n�r� par : d’une part la travers�e au quartier de la Beaucaire du gazoduc Aubagne-Toulon, d’autre part l’implantation au quartier de Lagoubran de l’usine Pyrom�ca [5] ainsi que celle des �tablissements de la Pyrotechnie de la Marine Nationale. Ce risque technologique peut �tre �galement consid�r� comme un risque de transport de mati�res dangereuses. » Curieusement, les r�dacteurs affirment ensuite : « il n’y a pas eu jusqu’alors d’accident industriel ayant touch� la commune ». A croire que l’explosion de mars 1899 �tait de nature artistique.
A noter : ces phrases sont extraites du Document Communal Synth�tique (DCS) qui permet au maire de d�velopper l’information pr�ventive dans sa commune. A lire absolument.

Sur le m�me site, chacun pourra consulter le plan des "servitudes d’utilit� publique" de la ville de Toulon. « La servitude d’utilit� publique est une proc�dure administrative qui permet d’emp�cher la construction sur certains terrains autour du site class� pour des questions de s�curit� ou de salubrit� publique. » Limit� au p�rim�tre de la Pyrotechnie, le plan �tabli en 2002 donne ceci :

Cercle orange, au centre : p�rim�tre de s�curit� de Pyrom�ca.
Rouge : polygone d’isolement de la Pyrotechnie.
Orange + rouge + rose : servitude d’utilit� publique (fond : IGN).

Les petits rectangles noirs qui pigmentent la carte, en particulier au nord pr�s de l’autoroute, correspondent bien s�r � des b�timents dont certains sont des maisons individuelles ou des immeubles, construits malgr� la servitude, parfois jusque dans le p�rim�tre d’isolement de la Pyrotechnie.

« ...Et le mal a �t� pr�cis�ment de laisser b�tir dans la zone dangereuse », disait l’observateur de 1899.

Merci � la soci�t� des Amis du vieux Toulon et � Benjamin Ullmo.


[1] Var matin de l’�poque.

[2] La catastrophe de Lagoubran, par Florence Guy, extrait du m�moire de ma�trise sur "Trois catastrophes survenues dans l’enceinte de Toulon, 1899-1907-1911" pr�sent� � l’Universit� de Lettres de Nice, juin 1996.

[3] Journal hebdomadaire fond� par l’a�ronaute Gaston Tissandier.

[4] Encore une initiative intervenant apr�s un drame, en l’occurrence le rejet accidentel de dioxine sur la commune de Seveso (Italie) en 1976.

[5] Usine sp�cialis�e dans la fabrication de pyrom�canismes, boulons explosifs pour propulseurs spatiaux.



> Lagoubran 1899 : Boum ! Et apr�s ?
15 octobre 2004   [retour au début des forums]

Qui s’interesse au plan de pr�vention des risques li�s au nucl�aire ?

Contrairement � l’arsenal de Brest situ� sur une presqu’�le, l’arsenal de Toulon est au coeur de la ville.

Rappellons qu’il accueille un porte avion nucl�aire et plusieurs sous marins nucl�aires !!! C’est pas AZF, mais Tchnernobyl dans ce cas !!!

> Lagoubran 1899 : Boum ! Et apr�s ?
15 octobre 2004   [retour au début des forums]

Benjamin Ullmo... tra�te, depuis 1908, tu divulgues d�cid�ment toujours tes informations !