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Une histoire de Monaco � la sauce Lagard�re

vendredi 8 avril 2005
par Olivier Vermert
Rainier est mort. Les journalistes locaux respirent : on va pouvoir passer � autre chose. Cam�ras et micros, bloc-notes et objectifs �taient braqu�s sur le Rocher depuis plusieurs semaines, quand fut officialis�e l’agonie du prince mon�gasque.

DANS le domaine audiovisuel on se tire vraiment la bourre. C’est � celui qui, la voix chevrotante d’�motion, aura la primeur de l’annonce. « Rainier est mort ». En attendant, l’animateur du 20 heures observe ce qui se passe sur la cha�ne concurrente gr�ce � un moniteur planqu� sous la table, quitte � faire �voluer son propos en cons�quence.

Dans la presse �crite, on vit moins sous la tyrannie de l’urgence. De toute fa�on, quand la star ou le chef d’Etat s’�teint, � condition que cela soit cons�cutif d’une maladie suffisamment longue pour laisser du temps au temps, les n�crologies sont d�j� pr�tes, ajust�es, au chaud. Parfois une princesse meurt accidentellement sous le pont de l’Alma et le gratte-papier sous pression se lamente, mais dans le cas du prince mon�gasque, tout �tait pli� depuis l’an p�bre.

7 avril 2005, lendemain du dernier soupir.
La presse Lagard�re alourdit ses �ditions locales d’un encart de 12 pages : « Rainier III, le roman d’une vie, suppl�ment gratuit de Nice-matin, Var-matin et Corse-matin - Ne peut �tre vendu s�par�ment ».
Des photographies et commentaires d’une dignit� sans faille, suivant strictement les principes �ditoriaux, r�gles et dogme �tablis par un journal qu’on osera qualifier de "Lars Von Triers de la presse d’Information", � savoir l’hebdomadaire Point de vue. Pour situer l’exigence.
Sous les photos : « Rainier et Grace : le monde entier a v�cu par procuration l’une des grandes histoires d’amour du si�cle ». « Le prince aimait � jouer au P�re No�l pour g�ter les enfants ». « L’infinie tendresse d’un grand p�re qui a choy� ses sept petits enfants ». « Grand amateur de cirque, il adorait particuli�rement les clowns ». « Rien ne pouvait faire plus plaisir au souverain que de sentir dans ses jambes, lors des c�r�monies officielles, le fr�lement de l’un de ses petits enfants ». Etc. Et on rebondit sur trois pages � l’int�rieur m�me du quotidien : « malgr� l’inqui�tude des derniers jours, le pays se r�veille alors abasourdi »... « Une chape de chagrin s’est abattue, hier matin sur Monaco »...

Apr�s s’�tre mouch� et avoir �cras� une derni�re larme, l’observateur reprend ses esprits. Et le boulot : Cuverville lui demande de relire correctement la n�crologie hagiographique. Pourquoi ces mots lisses se concentrent-ils sur l’anecdote glamour ou lacrymale et occultent l’essentiel ? Pourquoi dresser du Rocher un portrait de plat pays rose-bonbon d’o� n’�mergeraient finalement que quelques drames familiaux ?
Les liens tiss�s entre Monaco et Nice-matin n’ont rien de confidentiel. Ils rel�vent de l’�vidence. Liens commerciaux : la Principaut�, tr�s bon client de l’agence Eurosud, ach�te r�guli�rement les plus gros espaces publicitaires qui puissent se vendre (la derni�re page en couleur notamment). Liens �ditoriaux : la famille Grimaldi est une source in�puisable de ressources "people" pour des quotidiens qui ne veulent plus sortir de ce registre.

Voil� pourquoi les communicants sont sur le coup, et que les journalistes sont invit�s � rester � la maison, ou � se concentrer sur le go�ter organis� par l’association des joyeux boulistes de l’amicale lassipontaine.

« Ind�pendant et souverain ».

Dans le suppl�ment consacr� � Rainier et sous ce titre, un texte parmi d’autres utilisant le langage souvent herm�tique des communicants. Nous vous en proposons de larges extraits, prolong�s d’une traduction en fran�ais.
« Lorsque le 9 mai 1949 Rainier III, qui n’a pas 26 ans, succ�de � son grand-p�re, le prince Louis II, la guerre n’a pas r�ussi � �branler l’h�ritage d’une dynastie dont les fondements remontent � la fin du XIII�me si�cle ».
Traduction : apr�s avoir accueilli contre son gr� les fascistes italiens, Louis II s’est rapproch� du gouvernement de Vichy pour �viter l’annexion du Rocher par le Duce. Tr�s z�l�, le prince a m�me instaur� le recensement des juifs pour faire comme les grands. Et conserver l’essentiel : l’ind�pendance de la principaut�.
A noter : sur 15 pages d�di�es � l’�pop�e mon�gasque, un article est int�gralement consacr� � la « saga des Grimaldi ». L’histoire qui d�bute en 1297 d�taille un certain nombre d’�v�nements, mais passe directement de l’ann�e 1927 � 1949, sans passer par la case Vichy. Oups.
« Aujourd’hui, apr�s plus d’un demi-si�cle d’une action guid�e par une puissance de travail hors du commun et par une audace toujours ma�tris�e, tous les d�fis relev�s ont �t� gagn�s et la petite principaut� s’est m�tamorphos�e. Rainier a r�ussi � agrandir le territoire mon�gasque d’un cinqui�me environ de sa superficie, sans guerre, sans colonisation, sans annexion, mais par la conqu�te obstin�e, pacifique de terrains, pour la plupart gagn�s sur la mer ».
Traduction : Monaco, avec sa superficie de 2 kilom�tres carr�s, est le deuxi�me plus petit pays du monde apr�s le Vatican mais le plus dens�ment peupl�. 30000 r�sidents dont un sixi�me seulement de mon�gasques. Que font ces gens, souvent fortun�s ? Ils "r�sident", parce qu’on ne paie pas d’imp�t direct � Monaco (sauf les Fran�ais, et encore). Ou ils travaillent. Dans des entreprises qui ne paient pas d’imp�t direct non plus � moins qu’elles r�alisent plus de 25% de chiffre d’affaire � l’ext�rieur du territoire [1]. Il faut donc loger ce bon peuple, expatri�s fuyant l’ISF ou firmes voulant �chapper aux taxes qui �tranglent la Croissance. Monaco a d�velopp� les usines en �tage, assez rares en occident (on vous accueille au rez-de-chauss�e d’un building quelconque, il faut prendre l’ascenseur pour rejoindre les ateliers). Rainier a coup� les arbres, investi le moindre caillou et m�me empi�t� sur la mer, afin que les devises alimentent les coffres-forts et l’�conomie locale. Le r�sultat est immonde. Un gros bloc de b�ton. On voit bien ce que �a peut donner sur la photo ci-dessous. Nice-matin, qui n’en rate pas une, a sous-titr� l’image « la photo-symbole d’une vie vou�e � la principaut�, qu’il a su d�velopper sans lui enlever son charme ».

D.R.

Plus haut : « Rainier, par ses remarquables qualit�s de chef d’Etat, a affirm� l’ind�pendance de son pays et lui a donn� un prestige ind�niable, une grandeur sans commune mesure avec sa dimension territoriale. L’entreprise accomplie par le prince d�funt est exemplaire, tant sur le plan international que national. Les orientations qu’il a mises en oeuvre comme les r�alisations qu’il a fait aboutir tout au long de son r�gne, t�moignent d’une rare clairvoyance, d’une grande fermet� d’�me, d’une volont� sans cesse tendue vers le bien �tre de son peuple ».
Traduction : L’entreprise accomplie par le prince d�funt est exemplaire : il a r�ussi � faire de la verrue mon�gasque un vrai paradis fiscal, toujours qualifi� de "non coop�ratif" par l’OCDE en 2004.
A noter : il serait injuste de pr�tendre que Lagard�re-matin �vite d’�voquer la place financi�re. En ce jour de deuil, le terme "paradis fiscal" est m�me utilis� deux fois, dans le m�me article (« 56 ans de r�gne ») : « "Ma priorit� fut de d�truire les l�gendes sur la Principaut� : celle du paradis fiscal, celle d’une �conomie uniquement b�tie sur les jeux. J’ai voulu qu’on nous prenne au s�rieux comme un petit pays concern� par son �volution et fier de sa position internationale". Rainier III r�sumait ainsi, assez fid�lement, son r�gne ». Et aussi : « Ces derni�res ann�es [Rainier] se souciait surtout de faire sortir d�finitivement la Principaut� de la liste des "paradis fiscaux non coop�ratifs" recens�s par l’OCDE » (on appr�ciera le "d�finitivement", parce que jusque l�, la principaut� �tait sans doute juste sortie "d’un poil"). Par contre, pas un mot sur le fait que Rainier, avant de se plaindre de la mauvaise r�putation de Monaco, ait tout mis en oeuvre pour d�velopper l’attractivit� fiscale d’un Rocher au bord de la faillite apr�s la seconde guerre mondiale.
Enfin, pas un mot non plus sur l’Etat policier (le bien-�tre du peuple ?) : un flic pour cent habitants et un syst�me de vid�osurveillance g�n�ralis� � toute la ville, bien avant que cela ne devienne la mode partout en France.

« [Rendons � Rainier] l’immense hommage qui lui est d�, pour une oeuvre dont le monde entier a recueilli l’�cho et nous-m�mes les bienfaits » (oraison - rapport�e par Nice-matin - du ministre d’Etat mon�gasque Patrick leclerc).

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[1] Les d�tails de la fiscalit� mon�gasque sont sur le site officiel de la principaut�.

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