POUR faire mousser localement leurs publications nationales, les �diteurs de presse �laborent � intervalle r�gulier des suppl�ments visant une ville ou une r�gion sp�cifiques. Au menu : march� de l’immobilier, actualit� politique, ou comme dans les num�ros de l’Express et de l’Expansion qui nous int�ressent, liste des notables les plus en vue.
Les ploucs, d�couvrant les grands placards publicitaires relatifs � leur quartier, se pr�cipiteront forc�ment au point presse le plus proche.
La publication du dossier, sous forme d’un encart central de quelques pages derri�re une premi�re de couverture bien racoleuse, se limitera � la ville en question : qu’est-ce que les lecteurs de Maubeuge pourraient bien avoir � foutre des "100 qui font bouger Toulon" ?
Tous les hebdos (Point, Express, Nouvel Obs, Marianne, etc.) ou quotidiens nationaux (Lib�ration en t�te) utilisent la formule. Ils veulent sans doute prouver que leur ligne �ditoriale ne concerne pas les seules pr�occupations parisiennes. C’est un peu comme si Raffarin vantait les m�rites des lecteurs d’en bas.
Pour f�ter au printemps 2001 la sortie du num�ro toulonnais de l’Express, la direction du magazine avait convi� les heureux �lus � la R�sidence du Cap Brun, une prestigieuse propri�t� dominant la rade. Ap�ritif sur la terrasse, tapis rouge et discours du r�dac-chef. Des h�tesses aux longues jambes d�livraient � chaque nomin� un exemplaire de la Une de l’hebdo sous cadre en verre. Huberman, fra�chement �lu � la t�te de la ville, r�ussissait l’exploit de serrer la main de tous les invit�s, mais aussi des inviteurs, du personnel, des platanes, etc.
Puis c’�tait le repas, ma�tres d’H�tel au garde � vous, cru class� et traiteur de renom. Deux membres de Cuverville, un combinard resquilleur s’�tant joint au gratte-papier officiellement cit� dans l’hebdomadaire de droite (car le but de l’Express n’�tait pas de valoriser les actions collectives mais de flatter l’ego de quelques-uns, comme il se doit), b�fraient et picolaient avec t�nacit�, parce que c’eut �t� dommage de g�cher. Fascin�s, ils d�taillaient les convives : comment les amiraux font-ils pour �viter les bougnettes de sauce tomate sur leur uniforme de r�ception immacul� ?
Septembre 2003, c’est l’Expansion qui s’y colle. La direction a d� envoyer un journaliste ou recruter des pigistes pour dresser la liste des "50 qui ont le pouvoir � Toulon".
Trouver 25 notables visibles n’est pas tr�s difficile. Il suffit de se rendre au si�ge de l’Union patronale du Var ou de la Chambre de Commerce et d’Industrie, appeler l’H�tel de ville et les permanences des partis politiques, et le tour est jou�.
La difficult� appara�t � la marge. Une fois cit�s les in�vitables Falco, Levy, Cerruti (Seill�res de province) ou Bessudo, comment gonfler le score jusqu’� 50 ?
C’est ici qu’interviennent les trois r�gles d’or du journalisme de promotion d�centralis�e.
Appr�cions toutefois l’effort d’originalit� de l’Expansion. Seuls 13 notables figurant au palmar�s de l’Express reviennent ici.
Appr�cions aussi l’humour glac� et sophistiqu� du mensuel lib�ral : parmi "les hommes et les femmes qui dynamisent le grand port militaire de M�diterran�e", Franck Dedieu cite Robert Alfonsi, le pauvre, encore lui, secr�taire perp�tuel du PS qui, par son action dynamique, maintient l’UMP a l’abri de toute victoire �lectorale de la gauche. Et Alain Bolla, secr�taire CGT dont le dynamisme syndical, au printemps 2003, consistait � faire danser la Lambada aux manifestants de la place de la Libert�. Et Philippe de Beauregard, secr�taire d�partemental du FN, parti politique au dynamisme intellectuel reconnu. Et Jean-Claude Guidicelli, un avocat qui dynamise Toulon parce que le journaliste sait qu’il a d�fendu Omar Raddad � Nice, Brigitte Bardot � Saint Trop et Fanny (affaire Al�gre) � Toulouse.
[1] Rugby Club Toulonnais.