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Mon commerce au centre-ville - �pisode 4 : vingt ans de renaissance

lundi 12 juin 2006
par Pierre Robert
« La ville de Toulon, d�termin�e, part � la reconqu�te de son centre ancien ! », s’enthousiasme Hubert Falco en 2006.
Le probl�me, c’est que depuis vingt ans la p�vre capitale du Var n’en finit plus de partir...

R�SUM� de l’�pisode pr�c�dent : Cuverville piste des copains qui veulent monter un commerce. Entre deux articles, ils ont enfin trouv� ze local ! Emplacement raisonnable, surface raisonnable, conditions raisonnables. Nous ne voudrions pas ternir les excellentes relations qu’entretiennent nos copains avec leur propri�taire, une personne charmante au demeurant.

24 juillet 1986. Le maire de Toulon Fran�ois Trucy pose la premi�re pierre de l’�lot de la Visitation, inaugurant ainsi (et enfin) la renaissance attendue du centre-ville. L’heure n’est pas � la r�habilitation. On a ras�, pardon, « lib�r� les sols » de l’ancien quartier. 375 logements insalubres et 40 commerces ont �t� r�duits en poussi�re, bient�t remplac�s par des petits immeubles sans caract�re.
Trucy et ses adjoints Fouque et Valverde sourient sur la photo, il n’y a pourtant pas de quoi se r�jouir. Ces travaux budg�t�s � 100 millions de francs n’aboutiront pas � la « renaissance » escompt�e. La nouvelle Visitation ? Une esp�ce de r�sidence o� l’acc�s ne serait pas r�serv� aux seuls riverains. Qui voudra se promener par ici ? Quelques services administratifs en rez-de-chauss�e (le Comit� Communal d’Action Social et le Centre D�partemental de Documentation P�dagogique), pas de commerce, pas de troquet, pas de charme, pas de vie.

Avril 1990. Le centre Mayol ouvre ses portes sur le site de Besagne, entre le stade et le quartier de la Visitation. Un bunker qui accueille 8.000m� d’hypermarch� Carrefour, 4 moyennes surfaces (FNAC, C&A, La Redoute, Go Sport) et quelques dizaines de boutiques sur deux niveaux. Trucy explique : « les Toulonnais avaient pris l’habitude de faire leurs courses dans l’un des hypermarch�s implant�s aux abords de la ville. Ils remplissaient leurs coffres de voiture � la p�riph�rie, l� o� le foncier �tait int�ressant pour les promoteurs de centres commerciaux qui disposaient �galement d’espaces permettant d’am�nager de vastes parkings gratuits. Dans un premier temps, il fallait donc enrayer l’h�morragie de la population et inverser le flux d’une client�le » [1] ...en dupliquant les installations p�riph�riques et en creusant un parking payant sous le stade Mayol. Voil� de quoi « ï¿½quilibrer l’offre de distribution » [2]. Parall�lement et dans le m�me p�rim�tre, on b�tit un palais des congr�s et un h�tel pour les congressistes, dans l’id�e de d�velopper le tourisme d’affaires « qui est la seule forme de tourisme que nous puissions envisager dans une ville comme la n�tre » [2].

Mai 1991. La SEMTAD, Soci�t� d’Economie Mixte Toulon Am�nagement D�veloppement, entre en lice avec la r�habilitation de l’�lot des Riaux, « premi�re phase de restauration de la vieille ville ». La commune d�tient environ 63% du capital de la SEM, la Caisse d’Epargne de la C�te d’Azur 13%, la caisse des d�p�ts et consignations 10%, le D�partement 5%, le reste �tant r�parti entre diff�rentes banques. « La d�gradation du b�ti des immeubles de la vieille ville est �vidente. Ses cons�quences sur la vie sociale et commerciale aussi. Une analyse d�taill�e des lieux montre que 85% des logements v�tustes ont �t� construits avant 1914 et m�me 53,9% avant 1871 » [3]. Mais l�, plus question de d�truire en masse, on r�nove.
La SEMTAD se voit charg�e de l’am�nagement des 20 hectares du centre ancien. Elle pourra attirer les investisseurs et « stimuler les initiatives priv�es des propri�taires pour am�liorer l’habitat » gr�ce � des subventions pouvant aller jusqu’� 50% du prix des travaux. Surtout, la ville lui d�l�gue son droit de pr�emption afin de « r�guler les sp�culations fonci�res » [3]. Mauvaise limonade.

Janvier 1994. Le lyc�e h�telier Saint-Louis est inaugur� au nord des Riaux. La premi�re tranche de r�habilitation de l’�lot s’ach�ve. 600 logements remis � neuf, 160 places de parking privatif... « Les investisseurs ? Ils sont nombreux � manifester leur confiance » [4]. Le patron de la SEMTAD Gilduin Blanchard l’affirme : « sur un total de 700 millions de francs, la ville n’aura investi que 60 millions ». La mairie entonne une chanson qu’elle n’a pas fini de chanter : « des conditions financi�res attractives sont r�unies car la Ville travaille sans interm�diaire. Son objectif n’est pas de r�aliser une op�ration sp�culative sur les biens qu’elle pr�empte, mais de motiver au maximum les investisseurs par des avantages fiscaux non contestables ».
En r�alit�, les investisseurs s’impatientent. La SEMTAD a pr�empt� � tour de bras en accablant les finances publiques mais les acheteurs et les locataires continuent de bouder le quartier. Peu de parkings et une ceinture d’embouteillages, des transports en commun largement insuffisants, le centre est compl�tement scl�ros�. Et mal fr�quent� ? Malgr� une argumentation souterraine visant � expliquer aux nouveaux venus que la r�novation s’accompagnera de l’�viction de la "population � probl�mes" (autrement dit les pauvres souvent bronz�s qui pouvaient s’accommoder des logements insalubres), la SEMTAD et ses compagnons d’aventure se trouvent contraints de conserver les locataires pr�existants — il y a donc une morale.
Les effets ravageurs de l’ouverture du centre Mayol sur le commerce de proximit� se sont d�j� fait sentir. La d�sertification du centre s’intensifie alors que la propagande municipale continue de c�l�brer le renouveau. « Nul ne conteste qu’il est un besoin pressant de cr�er un p�le d’�quilibre � l’Ouest du coeur historique pour contrebalancer le poids de Mayol � l’Est », indique toutefois le directeur adjoint de la SEMTAD en �pongeant la sueur qui perle de son front [5]. Les chiffres du d�sastre ne sont pas encore officiels mais le tonnerre gronde au sein m�me de l’�quipe municipale. Strat�gie douteuse, ambitions d�mesur�es, caisses vides, Trucy doit commencer � pr�parer ses cartons.

Juin 1995. Le frontiste Jean-Marie Le Chevallier s’installe � l’H�tel de Ville. La profession de foi du candidat annon�ait la couleur : « dans le m�me temps que la municipalit� Trucy laissait les quartiers se d�labrer, elle tol�rait une immigration anarchique et incontr�l�e qui, peu � peu, investissait les parties de Toulon les plus touch�es par la d�gradation urbaine. Par un effet m�canique, cet afflux d’�trangers faisait fuir les Toulonnais de souche, victimes d’une importante mutation sociologique [...] Les magasins ferm�s sont trop nombreux � Toulon. Beaucoup sont remplac�s par des boutiques "exotiques" qui ach�vent de faire perdre � notre ville son caract�re proven�al, voire fran�ais ». Leuch ambitionne tout haut ce que ses pr�d�cesseurs tentaient de faire en douce : virer les arabes. Sans oublier les noirs. Il s’y emploiera mollement (car avant d’�tre p�tainiste Leuch est lymphatique : doucement le matin, pas trop vite le soir) en �vin�ant par exemple les vendeurs s�n�galais du cours Lafayette, �videmment remplac�s par personne.
Pour remettre de la vie dans l’�lot de la Visitation, les strat�ges FN y installent un path�tique et tr�s �ph�m�re "march� proven�al". Autre initiative qui d�coiffe : privil�gier le retour de la bagnole dans le centre. Nous ne r�sistons pas au plaisir de reproduire un extrait du bulletin municipal de l’�poque qui en dit long sur l’activit� neuronale des propagandistes, et sur l’activit� tout court de ceux qui sont aux manettes : « Jean-Marie Le Chevallier, Maire de Toulon tr�s � l’�coute, faisant confiance � son �quipe, d�cide de prendre en compte les solutions n�cessaires pour aller dans la bonne direction. Malgr� un emploi du temps plus que surcharg� et les croche-pieds dont une certaine opposition n’a pas manqu� de le gratifier, il a tenu � donner rapidement son coup de pouce. Au mois de d�cembre, il fit r�tablir le double sens de circulation avenue de la R�publique avec stationnement autoris� c�t� port. Satisfaction imm�diate de l’ensemble de la population et une lueur d’espoir pour le commerce environnant. Cela n’a pas �t� facile pour Monsieur le Maire qui a d� n�gocier avec les institutions locales » [6].

F�vrier 96. Apr�s avoir condamn� la gestion opaque de la SEMTAD et promis sa disparition, Leuch reprend l’affaire en changeant l’�quipe et le nom de la soci�t� (le "d" de "D�veloppement" saute). La Ville a d�j� donn� 75,4 millions de francs � la SEM et pr�t� 66,7 millions suppl�mentaires. Pour apurer les comptes, le maire d�cide d’effacer l’ardoise.

Novembre 98. L’adjoint � l’urbanisme promet un ensemble de r�alisations quasi-pharaoniques pour l’ann�e 1999, « l’ann�e de tous les projets » : la r�fection de la chauss�e de la rue Pierre S�mard, le r�am�nagement sur trois niveaux des halles Raspail en palais des congr�s bis, le percement d’un passage commercial entre les rues Al�zard et Paul Lendrin, un nouveau centre commercial en lieu et place de l’ancienne bourse du travail. Rien ne sera fait.

Mai 2002. Falco succ�de � Leuch. Il en termine avec la SEMTA(d). Celle-ci a �t� �pingl�e par la Cour des Comptes, � la suite de quoi le parquet a lanc� une enqu�te pr�liminaire. Trois personnes ont �t� mises en examen en 1998. Deux d’entre elles, l’ancien directeur de cabinet de Trucy et l’ex-patron de la SEM, b�n�ficieront d’un non-lieu en 2005.

Bilan, juin 2006. L’�lot de la Visitation et celui des Riaux sont toujours aussi d�serts. Le parking de l’Equerre, creus� au moment des travaux de r�habilitation des Riaux, attend encore son « p�le d’�quilibre commercial pour contrebalancer le poids de Mayol ». L’h�tel des congressistes, « investissement co�teux mais choisi avec intelligence par les sp�cialistes » selon Trucy [2], n’a jamais int�ress� grand monde. La Ville est toujours propri�taire d’une grande surface de foncier qu’elle aura du mal � vendre. Selon le diagnostic de l’actuelle �quipe municipale, 25% des locaux commerciaux du centre ancien sont vides. L’endroit a perdu 30% d’habitants entre 1990 et 1999, le taux de ch�mage y est estim� � 44% et 31% du parc de logements est vacant.
Depuis quelques ann�es, le parking Libert� propose deux heures de gratuit� le samedi. Cela conditionne le parcours des chalands qui font l’aller-retour jusqu’� Mayol (o� il n’est pas question de parking gratuit � moins de faire ses courses � l’hypermarch� [7]). Le trac� (Jean Jaur�s, rue d’Alger, cours Lafayette) figure en rouge sur la photo ci-dessus, quelques variantes � l’appui. Hors de ces rues point de salut pour le commerce.

L’Agence Nationale pour la R�novation Urbaine (ANRU) a valid� le projet de r�habilitation de Falco et promet le financement d’un tiers des 168 millions d’euros budg�t�s. Et puis on ne change pas les fondamentaux. La Zone Franche Urbaine (ZFU) apportera son lot d’« avantages fiscaux non contestables » [8].

L’adjoint de secteur Laurent J�r�me a eu ces mots empreints de lucidit� et d’inqui�tude : pour lui, la ZFU est « un outil qui peut accompagner, mais en aucun cas le moteur qui fera venir les entreprises » [9]. Et je ne te parle m�me pas des habitants. Toujours la m�me ceinture d’embouteillages, des transports en commun toujours tributaires de la circulation automobile. Le centre n’a pas fini d’�tre scl�ros�.

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[1] Bulletin municipal Vivre � Toulon n°41, mai 94.

[2] Vivre � Toulon n°13, mai 91.

[3] Vivre � Toulon n°15, septembre 91.

[4] Vivre � Toulon n°38, f�vrier 94.

[5] Vivre � Toulon n°41, mai 94.

[6] Le Toulonnais n°7, avril 96.

[7] Il faut pr�ciser que tous les parkings du centre sont priv�s. Donc payants, et chers.

[8] Pour ceux que cela int�resse, tous les d�tails de la r�novation entreprise par l’�quipe de Falco se trouvent sur le site de la ville.

[9] Var matin, 6 janvier 06.

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