CE premier num�ro, �dit� gr�ce aux maigres �conomies des b�n�voles qui le fa�onn�rent, fut distribu� dans les associations, dans nos familles, dans les r�unions politiques.
Cuverville s’inscrivait, comme beaucoup d’autres, contre le Front national install� en mairie toulonnaise depuis moins d’un an.
La grosse tehon � port�e internationale. A partir du 11 mai 1995 un front local de « r�sistance » s’�tait organis�. Et pendant quelques mois la ville se mit � bouillonner, des associations se cr��rent telles le fameux RCTD, « Rassemblement des Citoyens Toulonnais pour la D�mocratie » (notez l’accumulation de mots-cl�), qui accueillit instantan�ment plusieurs centaines d’adh�rents. On s’inscrivit aussi en masse dans les partis politiques de gauche encore abasourdis et culpabilis�s par la victoire extr�miste.
Cette activit� dramatique pr�figurait ce qui se allait se passer sept ans plus tard au niveau national. Et comme ce fut le cas apr�s le 21 avril 2002, la d�bauche d’�nergie, les prises de position intellectuelles et les bonnes r�solutions aboutirent � de grandes choses. Par exemple, l’adjectif « civique » disparut du dictionnaire militant au profit du n�ologisme « citoyen ». On se tartinait des biscottes citoyennes � l’occasion de go�ters citoyens. Les manifestations se succ�daient et le FN prenait la puissance citoyenne dans sa face. Tous les Toulonnais se souviennent ainsi du « d�fil� des veuves de la d�mocratie », des femmes en noir pi�tinant en plein cagnard sous les fen�tres de la mairie. C’est gr�ce � ce genre d’actions coup de poing que le FN a fini par chuter (et non pas, comme on l’a pr�tendu plus tard, parce que le conseil municipal �tait essentiellement constitu� de retrait�s fatigu�s dont l’horloge biologique avait d� s’arr�ter en 1962, isol�s, ignorants de toute chose, de la comptabilit� publique comme de la plantation des palmiers, incomp�tents notoires uniquement anim�s par la haine d’autrui).
Autre r�action � l’�lection du FN, donc : l’invention de Cuverville par une bande de Jean Moulin Albert Londres modestes b�n�voles, journalistes de l’ombre qui contribu�rent aussi, � peu pr�s dans la m�me proportion que les veuves de la d�mocratie, � la chute de la maison Leuch.
Au d�but, les assoces et les partis de gauche nous avaient � la bonne. On nous tapait sur l’�paule, vas-y petit, no pasaran et toutes ces choses. Mais apr�s avoir encaiss� les gros ch�ques de soutien et les abonnements militants, nous p�mes infl�chir la ligne �ditoriale et le masque tomba : nous n’allions quand m�me pas nous contenter de d�noncer les agissements du Front, sachant que le Front a toujours tr�s bien su comment imploser tout seul. Nous allions asticoter tout le monde.
Plaisir d’offrir, joie de recevoir.
Forc�ment, le cercle d’amis se r�duisit. On nous tapait moins sur l’�paule. On nous reprochait la critique syst�matique et notre incapacit� � soutenir les beaux projets, ceux du parti socialiste local par exemple. Nous ignorions que le but de le presse �tait de soutenir la promotion des partis « amis ». « Vous critiquez mais �tes incapables de proposer quoi que ce soit ! » Ben oui, forc�ment, c’est notre karma la critique ! Est-ce que je demande au PS, moi, de b�tir un programme pour les pr�sidentielles ?
Ces dix ann�es de travail collectif n’ont sans doute pas beaucoup servi la collectivit�, mais nous nous sommes personnellement bien amus�s. Nous avons grandi au contact des autres. Nous avons crois� la route de notables, nous sommes nous m�mes notabilis�s puisqu’une statue de Toulon porte d�sormais le nom du journal. Nous avons rencontr� des �lus, des syndicalistes, des pr�sidents de CIL et m�me des gens bien. Nous sommes devenus moins cons.
Surtout, nous avons beaucoup pratiqu� le sexe. Ne parlons pas des jeunes passionn�(e)s qui d�siraient int�grer l’�quipe r�dactionnelle � tout prix m�me le plus avilissant, et que nous cuissions selon les notifications du r�glement int�rieur. Evoquons plut�t les compagnes esseul�es des arrivistes de province. Participer aux soir�es cocktail des notables implique forc�ment que vous croisiez les filles, les fils, l’�pouse du notable. La nuit m�diterran�enne exacerbe les sens. Au printemps d�j�, les odeurs sont fortes et l’humidit� plaque l’�toffe cotonneuse contre cette peau d�licatement ambr�e qui n’a pas attendu les grosses chaleurs pour se frotter aux rochers des baux Rouges... Ouf ouf ! Que d’�motion ! C’est quand le prochain cocktail ? Je me demande si nous n’allons pas continuer le journalisme dix ann�es suppl�mentaires.