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LETTRE D'INFORMATION |

Un peu gauche, un peu maladroit

mercredi 19 mars 2008
par Saint-Just

Un bulletin de vote froiss� dans la main, il y a juste � changer de point de vue et la vie semble plus l�g�re. C’est l’histoire de deux pachydermes. Apr�s avoir longuement renifl� � droite et � gauche un air satur� de carbone et de soufre, le premier �l�phant dit au second : « c’est marrant, je n’arrive pas � me faire � l’id�e qu’on est d�j� lundi » [1].

AVEZ-VOUS vu l’homme abattu ? Ses �paules affaiss�es comme tombe la cire d’une bougie consum�e ? Avez-vous vu son teint p�le, fi�vreux, morbide, et le vide dans lequel sombrent ses yeux ? Cet homme-l� a connu la d�faite. Son sourire n’�tait que de fa�ade, assure-t-on. Il savait. Les soir�es �lectorales dominicales marquent trop souvent le cr�puscule des esp�rances que nous portons, malgr� nous, accroch�es aux tripes. Du Grand Soir nous voici projet�s � nouveau dans la Longue Nuit. Restent les lueurs discontinues des t�l�viseurs. La main crisp�e sur la t�l�commande, les images d�filent devant mes yeux hallucin�s. Je suis trop pr�s du poste. Leurs politesses carnassi�res lac�rent inlassablement ma fibre r�publicaine. Mes oreilles se bouchent. Leurs hourra roulent sur mes tympans comme un d�fil� militaire. Mes jambes se recroquevillent contre mon ventre et mes bras les saisissent. Le vide s’installe. Je deviens aussi calme qu’une bombe. Le premier qui sonne � la porte saute avec moi.

« Me voici les nerfs tendus, les muscles band�s, pr�t � bondir dans la r�alit� […] Œil pour œil, dent pour dent. � nous deux maintenant. � coups de poing, � coups de couteau. Sans merci. Je saute sur mon antagoniste. Je lui porte un coup terrible. La t�te est presque d�coll�e […] J’�tais plus vif et plus rapide que lui. Plus direct. J’ai frapp� le premier. J’ai le sens de la r�alit�, moi, po�te. J’ai agi. J’ai tu�. Comme celui qui veut vivre » [2].

Celui qui veut vivre n’aime pas la facilit�. Il crie NON comme un enfant s’affirme. Son optimisme prax�ologique, bien que spontan�, lui fait refuser la paresse g�n�ratrice de courants pr�tendument irr�sistibles. Le soleil frappe les parois calcaires des massifs m�diterran�ens et le vent disperse le pollen comme il l’a toujours fait. Le monde est beau. De ce point de vue. Mais il ne suffit pas � balayer l’incurie des hommes de pouvoir. Les boulimiques ou les petits bras. Ceux qui si�gent partout et tout le temps jusqu’� se contenter d’un strapontin. Chacun son tr�ne. Les conseils, les r�unions de travail, les commissions, les d�l�gations, des cartes de visite en format A3 que le vent, repass� par l�, bouscule en silence. Car la foule abstentionniste regarde ce spectacle navrant. Elle soup�onne qu’il existe un ordre des choses qui isole l’int�r�t du Gouvernement de celui de la nation. Elle ne dit rien donc, elle consent. Sans oublier, dans ses non-dits, de se r�p�ter :

« Nous ne voulons pas �tre tristes
C’est trop facile
C’est trop b�te
C’est trop commode
On en a trop souvent l’occasion
C’est pas malin
Tout le monde est triste
Nous ne voulons plus �tre tristes
 » [3].

Non, ce n’est d�cid�ment pas malin. Les �lections deviennent des faits divers. Une fois boucl� le premier tour, c’est le verrou qui saute. Un clown pr�sidentiel vient faire son cirque � la m�me cadence qu’un chef d’�tat en goguette dans une de ces dictatures africaines. Jeunes et moins jeunes tri�s sur le volet ; d�bats feutr�s avec les "personnalit�s" locales ; visite d’un quartier folklorique peupl� d’indig�nes tout proprets tout polis ; une police en civil qui violente l’opposition. Tout le monde est triste. Et en guise de jours heureux, de lib�ration, un homme de lettres nous proposait, simplement, de changer de cap. Ce capitaine, qui n’avait jamais pouss� plus loin que la quatri�me anse du Mourillon, conduit aujourd’hui un vaisseau d�m�t� au sud de l’Am�rique du Sud, les voiles br�l�es par les vents glac�s de la Terre de Feu, � la recherche du Cap de Bonne Esp�rance.

« Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
 » [4].

Partir. Dans cette ville de marins, le geste ne serait pas trop fort. Partir l� o� d’autres sont demeur�s. � Toulon comme ailleurs « II y a l’air il y a le vent / Les montagnes l’eau le ciel la terre / Les enfants les animaux / Les plantes et le charbon de terre » [4]. Le climat est par contre plus rude, l’atmosph�re v�n�neuse, les humeurs changeantes. Capitaine, tu n’as pas connu de mutinerie. Estime-toi heureux. D’autres connaissent les insultes d’un stade chauff� � blanc. Toi, tu n’auras qu’� descendre au prochain port, ton paletot sur les �paules et ton sac sous le bras. � terre, regarde autour de toi...

« Apprends � vendre � acheter � revendre
Donne prends donne prends
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre � travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant (...)
Respire marche pars va-t’en
 » [4].

La terre continuera de tourner, pas toujours rond, toujours dans le m�me sens. Elle tournera comme la jupe de cette femme. Ses ballerines me font dire qu’elle tournera toujours, sans pour autant faire demi-tour. Elle est belle et restera belle, qu’importe l’�ge, qu’importe le temps. Elle poss�de ce charme qui la rend invincible et qui vous tient � distance. Mais la voir, c’est d�j� une victoire, une victoire enchant�e, � savoir vaincre, � savoir p�rir, si quelqu’un doit vivre pour elle, pour elle il doit mourir. La nuit touche � sa fin. Je vois les creux de son oreille, je devine la courbe de son cou qui se cache dans l’oreiller et dans le prolongement de sa nuque voil� de cheveux rebelles, je sais son �paule d�nud�e en dehors du drap. Dois-je la toucher ? Dois-je l’embrasser ? Dois-je la mordre ? Les yeux ferm�s, les yeux ouverts. C’est lundi matin. Le r�veil a sonn�.

« Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l’œil
Je prends mon bain et je regarde
Le monde entier est toujours l�

La vie pleine de choses surprenantes […]
Je t’aime
 » [4]

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Logo : Marion Peck

Photo : Rohan Beal

Tableau : Edgar Degas

[1] librement adapt� de Pierre Desproges.

[2] Blaise Cendrars, J’ai tu� (1918).

[3] Blaise Cendrars, Sud-am�ricaines (1924).

[4] Blaise Cendrars, Feuilles de route (1924).

R�pondre � ce message

  • Et Huberman, alors ? 24 mars 2008, par (1 r�ponse)


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