Le canon fran�ais

GINA Landouillette de Logivi�re, tel est le nom de ma voisine. Tous les matins, sur la terrasse de sa maison accroch�e aux pentes du Mont Faron, elle contemple « la plus belle rade d’Europe » comme le faisait son a�eul en compagnie du marquis de Vauban. Pierre de Landouillette �tait commissaire de l’artillerie � Toulon sous Louis XIV. On lui doit, para�t-il, d’int�ressants dessins sur l’artillerie de marine et quelques magistrales contributions aux victoires des arm�es fran�aises sous le commandement du mar�chal d’Estr�es. Les principaux faits d’armes de l’anc�tre furent les bombardements de G�nes et de Tripoli en 1684 et 1685. Des deux villes, la premi�re fut embras�e sous les coups de mortier en un seul jour, la seconde se rendit apr�s une pluie de 1039 bombes ! Ironie de l’histoire, Pierre Landouillette de Logivi�re mourut en 1690 fa�on puzzle en testant l’un de ses canons. D’aucuns disent qu’il dansa ce jour-l� une dr�le de java.

« Voil� des mois et des ann�es
Que j’essaye d’augmenter
La port�e de ma bombe
Et je n’me suis pas rendu compt’
Que la seul’ chos’ qui compt’
C’est l’endroit o� s’qu’ell’ tombe »

Ma voisine Gina n’a pas la fibre artilleuse. � tout bien choisir c’est la cavalerie qui l’aurait bott�e. De toute fa�on elle n’a jamais travaill�, la pension de reversion de feu son amiral de mari suffit � son bonheur : voyages aux quatre coins de l’Hexagone avec l’IGESA, acc�s au fort Saint-Louis pour d�jeuner ou d�ner avec ses amies veuves elles aussi, maintien des fessiers avec le CSAM. Ses envies ne restent pas circonscrites aux terrains militaires. Elle suit � l’Almanarre des cours de parachutisme ascensionnel dans les bras d’un moniteur passionn� d’a�rostat qui ne d�sesp�re pas de la faire un jour monter au ciel.

Ma voisine poss�de une paire de seins � faire p�lir les playmates d’Alerte � Malibu, et lorsque d�marre la saison sur les plages du Mourillon, les pharmaciens toulonnais se lamentent car le Viagra n’a plus autant de succ�s. C’est que les lolos de Gina d�fient les lois de la pesanteur. Quand elle se prom�ne le dos cambr�, les voil� scrutant l’horizon telles deux sœurs Anne, et quand elle s’allonge sur sa natte de bain, ils se dressent vaillamment vers le ciel comme deux ogives atomiques. Gina fait partie de ce « corps traditionnel fran�ais » que G�rard L., une vieille connaissance du temps de sa tentative universitaire � Paris-Assas, aime accueillir autour de sa piscine l’�t� entre Saint-Tropez et Ramatuelle. Les bombasses ont toujours plu aux Fran�ais. Regardez ces monuments aux morts dont le carr� est cl�tur� par quatre obus �tincelants. Certains ont m�me le culot d’y faire pousser des fleurs ! C’est Fran�ais, �a ! Les Allemands ont bien tent� de concurrencer l’�l�gance hexagonale. Leurs grosses Berthas menac�rent Paris mais recul�rent lourdement par del� le Rhin. Leurs V2 faillirent d�vaster le march� britannique, ils rest�rent clou�s au sol. Le point de croix de Lorraine, filant sa douceur angevine, redora le blason d’une France trop longtemps couch�e. De ce point de vue, Gina sert son pays comme l’avait si courageusement fait son lointain grand-p�re au temps du Roi Soleil. Cet �t� pourtant, Madame Landouillette de Logivi�re risque d’avoir l’esprit ailleurs, le coeur et les seins lourds, cach�s sous un �pais pull bleu marine.

« J’ai touch� le fond de la piscine
Dans le petit pull marine
Tout d�chir� aux coudes
Qu’j’ai pas voulu recoudre
Que tu m’avais donn�
J’me sens tellement abandonn�e »

Car en mars dernier, un mois quasiment jour pour jour apr�s la temp�te Xinthia, un raz-de-mar�e d’un autre genre chamboula ma voisine. L’Agence Fran�aise de S�curit� Sanitaire des Produits de Sant� recommandait � pr�s de 30.000 femmes mammairement implant�es de consulter leurs chirurgiens. "Rappel�es", comme de vulgaires Toyota ! Ayant constat� la rupture r�p�t�e de l’enveloppe d’implants de chez l’entreprise PIP, l’AFSSAPS en demandait le retrait ainsi que la suspension de leur mise sur le march�. Le docteur V., qui se trouve �tre le d�put� pr�f�r� de Gina, a beau vouloir la rassurer - ses implants devraient tenir � condition de ne pas tenter d’exp�riences f�tichistes, suspendue par les t�tons dans une arri�re-salle de banque genevoise -, Gina demeure perturb�e. Sa coiffeuse lui a maladroitement conseill� des s�ances d’acupuncture pour �vacuer le stress mais cette id�e a fait pshit. Gr�ce � Dieu, sa plus proche amie, partenaire de shopping et de rallyes, rivale au bridge comme en amour, a peut-�tre enfin trouv� le rem�de. Elles iront toutes deux conjurer le sort � Fabr�gas. Un par�o, de larges lunettes de soleil et du mono�. Puisqu’on persifle sur ses seins surgonfl�s, ce sont ces seins qu’il lui faudra montrer. Peu importe qu’ils explosent sous le soleil ; ils �clabousseront de leur splendeur perdue la foule des badauds qui, derri�re leurs lunettes noires, lorgnaient avec trop d’insistance sur ce buste altier. Finir en feu d’artifice le 14 juillet en hommage � l’anc�tre et � la France, voil� une fin �clatante !

« You need coolin’, baby, I’m not foolin’.
I’m gonna send you back to schoolin’. »

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