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LETTRE D'INFORMATION |

Sans voix

samedi 14 avril 2007
par Saint-Just

Au mois d’avril, comme c’est le cas pour votre oblig� depuis quelque temps, rien ne ressemblera plus � des vies rat�es que certaines r�ussites.

UNE putain de laryngite aigu� a compl�tement anesth�si� mes cordes vocales. Un soir que la lune �tait pleine, je d�clamais un po�me courtois occitan du XIIe si�cle � une jolie jeune femme qui r�side, toujours, au quatorzi�me �tage d’une tour du Port Marchand. Son mari regardait le quart de finale AS Roma - Manchester United et c’est lui qui me jeta un seau d’eau froide au pr�texte qu’il n’avait pas pu entendre la question, cruciale, du jeu-concours. C’est � se demander lequel de nous deux est le plus moyen�geux. Tremp� de la t�te au pied, le coeur transi, je m’en retournai � ma voiture sous les regards suspicieux d’un petit groupe de bonshommes, chacun une laisse � la main. C’�tait la mi-temps.

Je rentrai donc chez moi, d�sempar� (Manchester menait au score). Je montai difficilement l’escalier qui me m�ne, tourbillonnant, dangereux m�me � cause des tomettes que le passage des ann�es et des locataires a maltrait�es, � mon superbe T2 c�t� cour. J’avais le coeur lourd et mes collants de m�nestrel, ray�s rouges et verts, en lin, pesaient sur mes cuisses. J’ouvris la porte. Un tour, deux tours. J’entrai et un courant d’air glissa le long de ma nuque (Manchester venait de marquer son septi�me but). Bon, je vous passe les d�tails (je pris une douche, j’enfilai un peignoir, mis mes v�tements � s�cher sur l’�tendoir portatif accroch� � la porte de la salle de bain, je me fis � manger, deux oeufs au plat et une compote de poires, je mis la vaisselle dans l’�vier, puis je m’installai � mon bureau, une tasse de tilleul fumante, pour passer en revue l’actualit� nationale et internationale). Manchester et Chelsea s’�taient qualifi�s, mais l’esprit de Jean-Paul II n’avait toujours pas p�n�tr� d’autres chr�tiens � l’article de la mort et voyait ses chances de b�atification s’�loigner.

Je ne comprends pas que cette histoire de miracle laisse dubitatifs nos amis catholiques. Ils croient d�j� en Dieu ; ils peuvent bien avaler le r�tablissement inesp�r� d’une soeur qui tourne en rond � Aix-en-Provence. Mais les personnes non pratiquantes que le doute habite, et peut-�tre m�me l’inverse, ne devraient pas se moquer de ces ph�nom�nes paranormaux. Nous avons tous des visions d�lirantes. En ce soir de d�ception amoureuse et footballistique, des cauchemars tout politiques agit�rent mon cortex. Une s�natrice r�ve de « r�volution �cologique », un nobliau vend�en parle de valeurs morales, un ma�on mandat� par le Parti des Travailleurs trouve normal que les patrons touchent plus que les ouvriers, un ancien professeur de lettres th�orise sur l’extr�me centre pour r�concilier la « France cass�e », un Gaulois moustachu s’acoquine avec un animateur t�l�. Ma t�te roule dans une urne et mes yeux aper�oivent r�guli�rement de la lumi�re qui jaillit d’une fente par laquelle tombent des bulletins ensanglant�s. Leur d�p�t m’�touffe, lentement, et fait dispara�tre petit � petit la sentence : « a vot� ». Je me r�veille en sueur. Je voulais crier mais aucun son n’est sorti. Je regarde autour de moi. Ah oui, tu es partie, voil� plus d’un an. La lumi�re du lampadaire dehors touche les murs blancs � travers les volets et �claire � peine la chambre. « Maudit soit � jamais le r�veur inutile / Qui voulut le premier, dans sa stupidit� / S’�prenant d’un probl�me insoluble et st�rile / Aux choses de l’amour m�ler l’honn�tet� ! » Encore une nouvelle journ�e � faire passer et un avenir � imaginer. Je reste un temps comme �a, la couette remont�e aux genoux, torse nu et humide, la gorge irrit�e. Le poste radio se d�clenche : il est 5h30, l’heure d’aller au boulot.

Les nouvelles annoncent qu’un candidat � la pr�sidence de la R�publique souhaite passer des accords avec l’extr�me droite. Ce m�me candidat avait d�j� pr�tendu, une ou deux semaines auparavant, que la g�n�tique expliquait les comportements humains. Son slogan, « tout devient possible », se r�alise : citer Jaur�s et parler de TVA sociale, �crire un livre sur G.Mandel et pr�f�rer l’oeuvre du docteur Mengele, pr�ner la rupture et serrer la main d’Omar Bongo, tacler Jacques et faire la bise � Bernadette, disserter sur la s�curit� et ne pas se rendre en banlieue, vouloir restaurer la valeur travail et encourager le n�potisme. Un tour de passe-passe et de corruption passive, un nuage qui s’arr�te aux fronti�res, un m�tre-vingt se transformant en un m�tre quatre-vingt trois, oui, tout est possible avec lui. J’en oublie le pacte �cologique et m’assoupis un instant sous la douche. Ma t�te roule par terre cette fois-ci. Le sang coule � travers la grille. Il fait chaud, j’entends la Marseillaise au loin. Il y a du thermidor dans l’air. La musique r�sonne dans des rues vides. Toutes les maisons que je vois autour de la place arborent un drapeau tricolore, et dans le reflet de la lame de la guillotine �clate, suffisant, le sourire de la France pr�sidente. Le refrain de l’hymne national se rapproche. Cette Marseillaise blasph�matoire que l’appareil a vid� de son sens, je voudrais l’entonner mais aucun son ne sort.

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Illustrations : Crumb et P�tillon

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