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LETTRE D'INFORMATION |

Le d�pouillement

ou la force des choses
mercredi 9 mai 2007
par Saint-Just
Red�couvrir la r�volte utile, pour en finir avec cette saloperie de vote utile.

LA R�volution fran�aise fut � l’�poque un v�ritable « scandale », pour reprendre les mots de Marat. Aujourd’hui il n’en reste rien. C’est la victoire des Fran�ois Furet et autres pisse-froid qui ont mis toute leur rancoeur contre Mai 68 et le communisme apr�s y avoir activement pris part. Le chantre de la la�cit�, Ernest Renan, n’�tait-il pas un ancien s�minariste ? Aujourd’hui, le scandale se trouve r�duit � une posture qui varie au gr� du vent, de la fausse col�re de la candidate socialiste lors d’un d�bat t�l�vis� au faux apitoiement de son adversaire quant au sort de femmes battues. Nos d�mocraties lib�rales se sont fig�es dans l’h�ritage r�volutionnaire, elles l’ont enferm� dans un flacon de formol, l’�touffent en compagnie des Jacobins, des Communards, des R�sistants, des d�fenseurs des Droits de l’Homme, et placent le mod�r� comme seule alternative au conservateur.

Le terme « progressiste », dans son acception originelle, a disparu du champ lexical contemporain. C’est ainsi qu’� la veille des �lections pr�sidentielles, le vote Royal apparaissait le seul « utile » pour contrer le vote Sarkozy. En ce sens, la tactique depuis longtemps d�fendue par Kouchner, Rocard ou Cohn-Bendit de s’allier avec le centre �tait la plus logique. Cette notion d’utilit�, issue de la th�orie �conomique n�o-classique, porte intrins�quement le d�ni du sens vrai d�mocratique. Voter Royal contre Sarkozy, c’est voter Blair apr�s Thatcher, c’est trouver courageux que Pinochet propose la d�mocratie dans les ann�es 1980, c’est remercier a posteriori Franco d’�tre mort et d’avoir restaur� la monarchie en Espagne, c’est proclamer Thiers lib�rateur du territoire. Bref, ce n’est ni plus ni moins un moindre mal.

Nous avons chut� de la Montagne et rejoignons le Marais, avant de nous y embourber et que ne marchent, le menton relev� du triomphe facile, les r�actionnaires. C’est encore et toujours laisser ce faux doux commerce mener les affaires du monde. Le vote, aujourd’hui, peut-�tre encore plus qu’hier, renforce de fa�on totalement superficielle la l�gitimit� de nos repr�sentants comme l’h�lium fait voler les ballons, alors qu’il muselle, cette fois-ci de fa�on concr�te, les libert�s individuelles et collectives. Le seul vote utile, si l’on poursuit le m�me raisonnement, serait le vote unique. Fusionnons tous ensemble, dans un grand carnaval ! Tous ensemble, moquons-nous ouvertement du pouvoir et �lisons notre dictateur ! Nous avons �lu M. Chirac en 2002 sous pr�texte qu’en face de lui se dressait la b�te immonde avec sa horde de chemises brunes. Nous nous retrouvons, cinq ans plus tard, avec un syst�me ultra-s�curitaire dans lequel les libert�s sont des coquilles vides et o� seule la s�curit� des puissants est maintenue. Les attentats, s’ils doivent survenir, n’auront pas lieu lors d’un sommet du G7 mais dans une gare RER � une heure de pointe. La voiture incendi�e sera toujours celle de M. Machpro en bas de sa barre d’immeubles et pas celle de M. Pinault dans le parking de son h�tel particulier. Vous pourrez toujours essayer de porter plainte contre un dirigeant africain en vill�giature sur la C�te parce qu’il a fait assassiner les membres de votre famille, mais il faudra d’abord persuader la pr�fecture que votre pr�sence sur le sol fran�ais est plus opportune que la sienne.

« Vote : Acte et symbole du droit d’un homme libre de faire de lui-m�me un sot et de son pays un chaos » (Ambrose Bierce, Le Dictionnaire du Diable).

Le vote utile dans un monde spectaculaire ram�ne le citoyen au degr� le plus vil de la marchandisation. Il le noie comme un crocodile sa victime : happ�, apeur�, noy�. Les sondages ram�nent sur le plan �lectoral ces bruits de couloir qui stimulent, par exemple, le fait boursier : ils attisent l’instinct animal d’�lecteurs qui, sous pr�texte de calculs, se conduisent comme des moutons de panurge. Des moutons effray�s par des ennemis imaginaires, de l’int�rieur, qui toujours s’attaquent aux plus faibles de fa�on insidieuse. C’est le papet tabass� par des jeunes d�soeuvr�s ; ce sont des jeunes d�soeuvr�s victimes de l’�cole in�galitaire ; ce sont les professeurs insult�s par des parents au ch�mage ; ce sont des parents licenci�s par des actionnaires ; ce sont des petits �pargnants qui voient leurs actions chuter ; c’est une entreprise qui doit d�localiser au Bengladesh et qui, une fois l�-bas, est victime d’un attentat islamiste parce qu’elle repr�sentait les int�r�ts fran�ais dans le sous-continent indien ; c’est la France qu’on assassine, m�ssieur ! Des peurs, en veux-tu, en voil�... Il n’y a pas d’id�e � d�fendre, il y a un r�sultat � obtenir au prix de suppressions de personnel et de vente de bulletins d’adh�sion low-coast. En six mois de campagne indigeste, les yeux riv�s sur les compteurs sondagiers, les candidats agitaient de vagues promesses autour de la corbeille. Le deuxi�me tour a binaris� les peurs : la peur des �trangers, des voleurs, des �trangers-voleurs chez l’un, et la peur du racisme chez l’autre, les deux en tout cas s’ing�niant � masquer le vide sid�ral de leur programme. Un seul mot r�sume leur ambition pour la France : c’est le point de maximisation de leur courbe d’utilit�. C’est le pouvoir. R�p�tons-le : le pouvoir.

« La Volont� de puissance. Tentative d’une inversion de toutes les valeurs - formule par laquelle s’exprime un contre-mouvement, quant au principe et � la t�che : un mouvement qui, dans un parfait avenir, prendra la rel�ve de ce parfait nihilisme ; qui cependant le pr�suppose, logiquement et psychologiquement, qui de toute fa�on ne peut que se r�f�rer � lui et ne peut proc�der que de lui. Car pourquoi l’av�nement du nihilisme est-il d�sormais n�cessaire ? Parce que ce sont nos valeurs elles-m�mes qui, en lui, tirent leur derni�re cons�quence ; parce que le nihilisme est la logique poursuivie jusqu’� son terme, de nos grandes valeurs et de nos id�aux - parce qu’il nous faut d’abord vivre le nihilisme pour d�celer ce qu’�tait la valeur proprement dite de ces "valeurs"... il nous faudra, � un moment quelconque, de nouvelles valeurs... » (Nietzsche, La Volont� de Puissance, fragments posthumes, 11-411)

Voter en 2007 pour tel ou tel candidat n’a pas de sens dans la mesure o� ce vote cl�t l’espace d�mocratique. 85% de taux de participation, et alors ? C’est la promenade accord�e au d�tenu. Le vote circonscrit l’expression politique � sa portion la plus congrue. Or le processus d�mocratique doit �tre aliment� par de multiples manifestations toutes irrespectueuses � l’�gard du consensus conservateur. Qu’ils �taient beaux en ce 6 mai au soir, � se faire des courbettes d’un camp vers l’autre, et quand DSK a plant� son couteau dans le dos de la candidate de son parti tandis que Tapie cuvait son whisky, nous plongions dans le dernier acte d’une mauvaise trag�die. Mais ce que nous voulons, monsieur le maire de Sarcelles, c’est du Shakespeare ! Les gr�ves, les d�fil�s, les formations d’associations ouvertement politiques, les p�titions, l’insurrection m�me, en r�sum� toute forme de « r�sistance � l’oppression », sont autant de possibilit�s d’agir que les citoyens se doivent de reconqu�rir. C’est � ce prix-l� que la R�publique redeviendra un « scandale ». Le NON au r�f�rendum, les �meutes dans les banlieues, les manifs anti-CPE sont les expressions diverses d’un m�me mouvement. Elles sont en ce sens plus productives, pour parler comme ces chers �conomistes, que les suicides de cadres en entreprise. Elles participent �galement � d�noncer le mal-�tre mais elles le subliment en engagement volontaire. Vous les trouvez brouillon. Mais leurs r�percussions sont sur le long terme plus profondes.

Ces mouvements populaires ont �t� g�ch�s par des ambitions individuelles et leur prise en main par des institutions d�pass�es. Le rejet du trait� constitutionnel europ�en se solde aujourd’hui par la division en je-ne-sais combien de candidats � la pr�sidentielle, tous heureux de sourire sur les affiches de campagne. Et Villiers qui leur passe tous devant. Le mouvement des banlieues s’est dispers� et deux ans apr�s, il ne reste plus que l’inscription de jeunes sur les listes �lectorales. Sur France 2 sont interview�s Sixtine, Charles et Paul-Antoine, heureux pour la France que leur candidat ait remport� l’�lection pr�sidentielle. Mais il est � parier que le si�ge socialiste de la rue de Solferino est peupl� des jumeaux des tripl�s, la m�me m�che folle, le m�me duvet tondu, la m�me veste militaire de marque. La lutte contre le CPE est, en 2007, contourn�e par le projet d’un contrat nouvelle chance chez les socialistes, qui par leur belle d�faite, permettent au nouvel �lu de mettre en place un contrat unique.

Le point commun entre un cadre sup’ press� comme un citron, qui a int�rioris� � l’exc�s les pr�ceptes de sa DRH, un ouvrier de chez Peugeot qui se d�truit les articulations sur les cha�nes de montage, et un ado qui tient le mur de son immeuble, ne r�side pas dans leur d�sir respectif d’acc�s � la richesse. Leur point de convergence, celui � partir duquel les trois peuvent ensemble discuter, c’est le refus de la tristesse, c’est le droit au bonheur. A partir de l�, leur refus des mascarades �lectorales prendra sens, sera force. Il est faux de pr�tendre que s’abstenir revient � jeter dans la fosse commune deux cents ans de combats d�mocratiques. L’abstention massive, rendue visible et significative lors du d�compte des votes, mais aussi prolong�e par des mouvements sociaux unitaires, reviendrait � remettre le vote comme une des nombreuses possibilit�s d’expression populaire.

Que la droite soit pass�e aux pr�sidentielles et aux l�gislatives, que la gauche utile ait pu passer, ne devrait pas satisfaire le peuple. Oui, le peuple, ces personnes qui refusent d’�tre une foule dont le QI est �gal au plus d�bile d’entre ses membres, et qui souhaitent, souffrantes mais agissantes, s’�manciper. La foule tr�mousse son cul merdeux sur la place de la Concorde ; elle applaudit beno�tement les artistes du ressentiment et du pass�. La foule entonne La Marseille � la suite d’une capucine avignonnaise en ignorant que sur la place de la Concorde, un jour, avant que l’ob�lisque ne soit vol� aux Egyptiens, se dressait la guillotine. Le peuple pr�f�rera peut-�tre se soulever contre la force des choses pour des aujourd’hui qui chantent.

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  • Le d�pouillement 11 mai 2007, par (1 r�ponse)


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