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LETTRE D'INFORMATION |

Publicit� et Information sont dans le m�me bateau. Information tombe � l’eau, et les m�dias se cassent la gueule...

Communication en terre toulonnaise (1/2)
samedi 26 novembre 2005
par Gilles Suchey
La concentration des m�dias, les contraintes �conomiques, les �tats d’�me des capitaines d’industrie-propri�taires sont-ils seuls responsables de la d�gradation des contenus et de la fuite des lecteurs ? Non. La complaisance de certains journalistes � l’�gard des donneurs d’ordre contribue largement � la d�composition de la presse.

CELA se passe le 28 avril 2005, dans la salle principale — et comble — du cin�ma le Royal � Toulon. La Ligue des Droits de l’Homme propose un d�bat sur le m�tier de journaliste et ses sp�cificit�s locales. Quatre professionnels ont r�pondu � l’invitation de Jos� Lenzini, ex-correspondant varois du Monde d�l�gu� par la LDH pour animer les d�bats. Ce n’�tait pas gagn� d’avance, car le public a visiblement beaucoup de choses � reprocher aux m�dias [1].
Initialement pressenti � la tribune, Cuverville fait banquette avec le public (car nous ne sommes pas de vrais journalistes). Apr�s avoir enfin mis la main sur le micro HF qui tourne dans la salle, nous posons notre question : « comment d�finissez-vous l’information ? »
La r�ponse fuse : « l’information, c’est le fruit du travail des journalistes que Cuverville r�cup�re ensuite pour remplir ses colonnes ». Jos� Lenzini a l�ch� cette r�partie pour couper la chique aux emmerdeurs, bien s�r. Et puis on est pass� � autre chose.
C’est dommage, car parmi les cinq professionnels de l’estrade se cachait au moins un communicant. Un communicant, m�me titulaire d’une carte de presse, n’est objectivement pas un journaliste. Un journaliste produit de l’information. Un communicant produit de la publicit�. Essayons de clarifier les concepts.

Glissement s�mantique

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Les deux mamelles de la "communication" politique : l’attaché (parlementaire) de presse et le fax.
Avec ça, tu remplis un journal.
Surtout quand tu t’appelles Philippe Vitel et que tu es député de la seconde circonscription toulonnaise.
Surtout quand le journal s’appelle Var matin.


"Produire de l’information" ? Ou "faire de la communication" ? Quelle est la diff�rence ?
A la base, le mot "communication" �voque simplement la transmission d’un message � travers un m�dia. D’un c�t� l’�metteur, de l’autre le r�cepteur.
Les techniques de communication permettent alors de v�hiculer de "l’information", c’est � dire des rapports d’�v�nements qui contribuent, pour ceux qui en prennent connaissance, � une meilleure compr�hension de la soci�t�, de la nature, du genre humain, etc. Ces rapports d’�v�nements ne sont objectifs que dans les r�ves les plus fous des stagiaires au journal Le Monde : les faits �tant forc�ment interpr�t�s et filtr�s par les journalistes, m�me s’ils ne s’en rendent pas compte, l’objectivit� ne reste qu’un voeu pieux, un id�al vers lequel on doit tendre.
Les techniques de communication permettent aussi de v�hiculer de la publicit�. Rien � voir avec l’information. La publicit� assure sous sa forme la plus triviale la promotion de produits commerciaux, mais elle sert aussi les partis politiques et toutes sortes d’individus influents.

"Publicit�" est un mot sale. Les artificiers du pouvoir (politique, �conomique) rebutent � l’associer aux petites affaires de leurs employeurs. Trop connot� lessive, m�ga soldes et Jacques S�gu�la. Ils lui ont donc substitu� le terme "communication". Et comme l’information a quelque chose � voir avec la communication, voil�-t-y pas que le trouble s’installe. La publicit� n’aurait-elle pas quelque chose � voir avec l’information ? Grosse tambouille.

Bien s�r, si le glissement s�mantique est moderne, la confusion des genres est aussi vieille que le plus vieux des m�dias.
Dans un Etat totalitaire, les techniques de communication sont uniquement exploit�es � fin de publicit� (appelez �a "propagande" si vous pr�f�rez), et dans un Etat qui lib�re l’expression, le combat reste permanent entre les deux c�t�s de la force.
La confusion des genres n’est pas r�cente, donc. Mais elle n’a pas �t� aussi pr�gnante depuis longtemps, dop�e par la pr�carisation des journalistes et les contraintes �conomiques, dop�e aussi par l’irr�sistible d�veloppement des "nouvelles technologies de communication" [2]. La confusion des genres accompagne surtout le nivellement id�ologique � l’oeuvre depuis une quinzaine d’ann�es, par son aimable concours � l’an�antissement de tout esprit critique.

Oui, publicit� et information doivent �tre jumel�es, aussi vrai que l’Histoire a pris fin en 1989, aussi vrai que Droite et Gauche sont des concepts �cul�s ne correspondant plus � la r�alit� du monde... Aussi vrai que tout se vaut.

Fossoyeurs de leur propre m�tier

La publicit� est le fondement m�me de la presse institutionnelle, bulletins municipaux et autres "lettres d’information". Les collectivit�s locales d�pensent �norm�ment d’argent pour assommer l’�lecteur (on reviendra sur les chiffres dans un prochain article).
Dans le « bilan d’activit�s 2004 » de la communaut� d’agglom�ration Toulon Provence M�diterran�e (TPM), au chapitre « direction de la communication », on peut lire la pr�sentation suivante :

Evidemment, bien qu’il soit �crit « ...pour r�pondre aux besoins d’information du grand public », il faut comprendre « ...pour garantir la promotion de TPM ».
Aucune collectivit� n’�chappe � sa, voire ses, publication(s) "informative(s)". Hebdomadaire ici, mensuelle l�, trimestrielle ailleurs. De plus en plus color�e, de plus en plus envahissante. La presse institutionnelle est tellement pl�thorique qu’il n’est pas rare qu’on fasse appel � des journalistes professionnels pour remplir les feuillets en tout anonymat. Ph�nom�ne m�connu. La confusion serait-elle finalement un peu honteuse ?

Mieux que la presse institutionnelle : les m�dias classiques. Ils sont le r�ceptacle privil�gi� de la publicit�. Les m�mes salades n’ont pas le m�me pouvoir de conviction selon qu’elles sont �crites dans Toulon m�diterran�e magazine, bulletin municipal, ou Var matin, journal d’information "neutre". Quoi qu’on en dise, et malgr� une perte progressive de cr�dibilit�, les journalistes continuent � faire autorit� aupr�s du public, parce qu’on aime toujours « croire ce qu’il y a dans le journal ». Jusqu’� quand ?
Ils sont soumis � la pression �conomique, de plus en plus pr�caris�s et exploit�s. Certains s’accrochent aux branches et continuent d’envisager leur m�tier avec passion. Ceux-l� d�fendent l’information contre la publicit�, fuient les attach�s de presse et les vernissages. D’autres, qui savent aussi faire la part des choses, ont baiss� les bras et �crivent leurs papiers publicitaires comme on irait � l’usine.
D’autres enfin « ne voient pas o� est le probl�me ». Ils ont l’arrogance de ceux qui fr�quentent les puissants. Pensent sinc�rement pouvoir assumer leur mission journalistique en tutoyant les donneurs d’ordre, en fr�quentant les soir�es VIP, en jouant au tennis avec les notables.

Ces « chiens de garde » [3] de province ne sont pas forc�ment les plus pr�caires des journalistes. L’establishment ouvre les bras aux plus �tablis. Prenons trois exemples locaux.

puce Il existe une charte des devoirs professionnels des journalistes fran�ais datant de 1918 o� est clairement stipul�e la directive suivante : « un journaliste digne de ce nom ne touche pas d’argent dans un service public ou une entreprise priv�e o� sa qualit� de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’�tre exploit�es ».
Voici un document t�moignant de ce qu’on appelle commun�ment un "m�nage". Une pratique appr�ci�e des donneurs d’ordre, et donc relativement courante.
Objet : conf�rence sur l’�largissement de l’Europe lors du FIDEST 2004. Organisme demandeur : Chambre de Commerce et d’Industrie du Var (CCIV). Animateur de la conf�rence : un journaliste radio bien connu des auditeurs de l’agglom�ration toulonnaise. R�mun�ration : 1520 euros HT pour deux heures "d’animation"... C’est tentant.

Question : comment ce journaliste pourrait-il ensuite �voquer en toute impartialit� les affaires susceptibles d’impliquer de pr�s ou de loin les donneurs d’ordre de la CCIV ?

puce L’actuel directeur de la communication de la mairie de Toulon, r�dacteur �m�rite de Toulon m�diterran�e magazine, fut dans une premi�re vie r�dacteur en chef de Var matin. Il quitta ses fonctions au moment de la fusion du quotidien avec Nice matin, pour s’occuper de la com’ du Conseil g�n�ral du Var alors pr�sid� par Hubert Falco. Fid�le copain, il accompagna ensuite ce dernier en mairie toulonnaise. Aucun probl�me. La d�ontologie semble respect�e. Chacun est libre de concevoir sa retraite comme il l’entend. En l’occurrence, le journaliste est devenu publicitaire mais ne fait plus de journalisme, les deux activit�s sont bien dissoci�es.
Sauf que ce n’est pas aussi clair. Le dircom n’est plus journaliste, certes, mais s’abstenait-il de faire de la publicit� avant le changement de cap ?
Il fut intronis� r�dac’chef de Var matin en 1995, alors que le FN s’emparait de Toulon. A l’automne 1997, les salari�s CGT du journal, dont l’imprimerie n’avait pas encore �t� d�localis�e en r�gion ni�oise, �ditaient une fausse Une intitul�e : « Falco matin : aujourd’hui comme hier, c’est la saint-Hubert ». Ils comptabilisaient 300 citations du nom "Falco" en moins de deux ans dans les colonnes du journal... Pas mal, pour un pr�sident de Conseil g�n�ral... Son successeur peut s’accrocher !

puce Le symbole local le plus �vident de la confusion journalistique implique les deux t�tes de gondole de la presse toulonnaise. D’un c�t�, encore une fois, le journal d’information Var matin et de l’autre, le bulletin publicitaire �dit� par l’agglom�ration : TPM mag. Chacun peut constater, � l’�tude de l’ours de ces publications [4], que le r�dacteur en chef du journal d’information porte le m�me nom que la r�dactrice en chef du bulletin publicitaire. Et pour cause : celle-ci est la fille de celui-l�.
Question (qui ne remet pas en cause les comp�tences de celle-ci) : comment celui-l� pourrait-il envisager une ligne �ditoriale s’�loignant de la stricte promotion du camarade Hubert Falco, maire de Toulon et employeur de sa fille en tant que pr�sident de TPM ?
La r�ponse est � savourer, jour apr�s jour, chez votre kiosquier.

(A suivre)

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Lire aussi Communication en terre toulonnaise, deuxi�me partie.

[1] Sont pr�sents : Claude Ardid, ex-Var matin, aujourd’hui auteur de reportages t�l�vis�s ("Compl�ments d’enqu�te" sur France 2). Lilian Renard, correspondant varois du Monde et journaliste � Var matin. Notons que Var matin n’a pas voulu explicitement participer � la soir�e. Claude Gauthier, r�dacteur en chef de La Marseillaise du Var. Bernard Maury, r�dacteur en chef de RTL Toulon. Rappel contextuel : en avril 2005, la campagne r�f�rendaire sur la constitution europ�enne bat son plein. Cela explique en grande partie l’animosit� du public � l’encontre des m�dias.

[2] Il est � ce sujet symptomatique qu’au sein de l’Universit� de Sud-Toulon-Var, le directeur du service NTIC — Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication — se nomme Laroussi Oueslati. Un grand fan de communication au sens publicitaire du terme sous ses casquettes de conseiller municipal de Toulon et conseiller r�gional PACA.

[3] Pour reprendre la terminologie de Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Liber - raisons d’agir, 1997. Version actualis�e en 2005.

[4] L’ours est l’encadr� o� doivent figurer, dans un journal ou une revue, la liste des collaborateurs et des mentions l�gales.

R�pondre � ce message

  • j’y �tais... 11 décembre 2005, par
  • Reprenons la barre ! 29 novembre 2005, par
  • Contrition ou action ? 27 novembre 2005, par
  • Les soutiers de l’information 26 novembre 2005, par (1 r�ponse)


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