Des Chinois � Toulon : comment l’information vient aux journalistes
Une seule journ�e aura suffi pour qu’une petite fac de province acc�de � la gloire m�diatique. � faire saliver les plus prestigieuses universit�s de l’Hexagone, dont certaines restent mobilis�es depuis plus de 11 semaines contre les r�formes P�cresse/Darcos dans l’indiff�rence g�n�rale, ou presque.
Quel talent ! Y aurait-il une "m�thode toulonnaise" ?
Non : juste des pratiques journalistiques.
DIX-NEUF mars, jour de manif nationale, une rumeur circule. La police serait venue sur le campus de la Garde, des personnels administratifs et des profs auraient �t� entendus � propos de dipl�mes attribu�s abusivement � des �tudiants chinois qui ne comprennent pas le fran�ais. En ligne de mire : L’Institut d’Administration des Entreprises (IAE). On chuchote le mot corruption.
En 10 jours, la presse locale convertit le potin malveillant en information fr�quentable. Mardi 31 mars, Var matin titre � la Une : « Les Chinois trichent-ils pour entrer � la fac de Toulon ? »
La r�daction de France3 M�diterran�e, dont le travail quotidien passe par la lecture minutieuse de Var matin, envoie une cam�ra sur les lieux du drame et diffuse un reportage mardi 7 avril.
Parcours classique de l’info locale. Quatre-vingt dix neuf fois sur cent, �a s’arr�te l�.
Mais une br�che s’ouvre le lendemain, mercredi 8 avril. Le 13 heures de France2 fait du cas toulonnais son neuvi�me titre.
Et une semaine plus tard, mercredi 15 avril, c’est l’explosion : un article dans Le Monde ; une d�p�che Associated Press reprend l’article ; les r�dactions s’emparent de la d�p�che ; l’Agence France Presse pond la sienne ; France Inter en parle dans le journal de 19 heures et utilisera les chinoiseries comme fil conducteur des �ditions suivantes. Cons�cration ultime, le dossier est au sommaire du 20 heures de TF1.
Que s’est-il pass� entre le 8 et le 15 ?
Du point de vue de l’information, pas grand chose. Quelques cartons embarqu�s. La brigade financi�re du SRPJ de Marseille m�ne l’enqu�te apr�s un d�p�t de plainte, aucune r�v�lation suppl�mentaire.
Du point de vue journalistique, branle-bas de combat. Les envoy�s sp�ciaux se succ�dent au b�timent de la Pr�sidence de l’USTV. Le vice-pr�sident du Conseil d’administration de l’universit� toulonnaise Pierre Sanz de Alba, et le directeur de l’IAE Pierre Gensse, r�p�tent ad libitum la m�me chose. Pour sa part, le pr�sident Laroussi Oueslati fuit les appareils photo qui d’ordinaire font son d�lice.
Une hyst�rie pour rappeler l’endroit o� le journaliste va trop souvent chercher sa mati�re : en premi�re page du journal d’� c�t�. Quand une r�daction nationale s’aventure en r�gion, les coll�gues doivent aussi y aller. Dans le reportage consacr� par TF1 au « scandale du moment dans l’�ducation » (20 heures du 15 avril), on voit le correspondant feuilleter les pages du Var matin dat� du 7 avril. Ahurissante mise en abyme.
- TF1 cite Var matin
Le gouvernement suit le mouvement. Comit�s de r�daction et cabinets minist�riels, m�me combat. Consommateurs et producteurs d’info, �levant la "r�activit� � l’actu" au rang de ligne �ditoriale pour les uns, et d’action politique pour les autres.
Le 15 avril, jour de la temp�te m�diatique, P�cresse diligente une enqu�te administrative � Toulon. La « ministre charg�e de l’Enseignement sup�rieur n’a pas attendu pour tenter de faire toute la lumi�re sur le d�licat dossier des soup�ons de fraude aux dipl�mes, d�nonc�e � l’universit� du Sud-Toulon Var », explique Var matin (samedi 18 avril). Elle aura quand m�me attendu que l’information fasse la Une de la presse nationale...
Coup dur et LRU
Un autre aspect de l’habitus m�diatique justifie le succ�s pr�cis de cette affaire, car l’observation r�ciproque, si elle est n�cessaire, ne saurait �tre suffisante pour expliquer un tel d�ferlement. L’odeur du soufre et l’hypoth�tique scandale poussent les r�dactions parisiennes vers les guichets SNCF. Pensez : la possible subornation de quelques enseignants chercheurs ou, mieux encore, une corruption �rig�e en syst�me !
Le traitement m�diatique serait-il le m�me, s’il s’agissait uniquement de d�plorer l’attribution syst�matique de dipl�mes � des jeunes gens qui ne le m�ritent pas ? On peut en douter.
Aucun m�dia, � l’exception notable de Marianne, ne met l’affaire des Chinois et la mobilisation universitaire en perspective, sauf � regretter, selon l’angle de communication choisi par la ministre, « le pr�judice apport� au rayonnement international de l’enseignement sup�rieur fran�ais ».
Il faut lire l’article que les Echos consacrent le 17 avril au scandale pr�sum�, sous le titre « Etudiants chinois : nouveau coup dur pour l’image des universit�s » :
- Les Echos citent Le Monde (puis, plus bas, RTL)
« C’est une contre-publicit� dont se seraient bien pass�es les universit�s, d�j� � la peine pour tenter de sauver leurs dipl�mes et leur notori�t� en cette ann�e mouvement�e. Selon une information d�voil�e par le quotidien "Le Monde" et confirm�e par un magistrat marseillais, plusieurs campus hexagonaux (Toulon, La Rochelle, Poitiers, Pau et un autre en r�gion parisienne selon "Le Monde"), essentiellement des fili�res d’�conomie, pourraient �tre concern�s par un trafic de dipl�mes au profit d’�tudiants �trangers. [...] Une fraude a �t� constat�e au printemps au sein des centres d’�tudes en France, rattach�s � l’ambassade, qui sont charg�s de v�rifier le niveau de langue des candidats chinois aux d�parts. [...] Les universit�s ne sont pas totalement exemptes de responsabilit�s non plus. Elles ont massivement ouvert leurs portes aux Chinois ces derni�res ann�es (22.452 en 2007, contre 2.000 en 1999). Et certaines se sont montr�es peu regardantes pour compenser leurs baisses d’effectifs. Jusqu’� cette ann�e, les dotations minist�rielles �taient, en effet, allou�es en fonction du nombre d’�tudiants et non de leur taux de r�ussite. La r�forme men�e cet automne par Val�rie P�cresse est cens�e att�nuer cet effet pervers ».
Le propos de l’avant-derni�re phrase est franchement approximatif, mais il a le m�rite d’amener une conclusion glorifiant l’action minist�rielle.
Oui, la Rochelle, Pau et Toulon entre autres, ont besoin d’augmenter leurs effectifs. Parce que ces petites universit�s se savent condamn�es par la loi dite "Libert�s et responsabilit�s des Universit�s" si elles n’y arrivent pas ! Et les dotations minist�rielles, contrairement � ce qu’affirment les Echos, restent bien relatives au nombre d’�tudiants — � condition qu’ils soient pr�sents aux examens.
« L’effet pervers » a donc de l’avenir. Avec la LRU, la tentation sera de plus en plus grande d’inscrire des �tudiants et de les dipl�mer m�me s’ils ne le m�ritent pas. Comme aurait pu le formuler la journaliste des Echos : « Val�rie P�cresse n’est pas totalement exempte de responsabilit� »... Mais bon, c’est vrai qu’il s’agit du fond du probl�me, on n’est donc plus dans le sujet.
Depuis plusieurs semaines, un membre de la coordination universitaire toulonnaise envoyait quotidiennement des courriels et fax relatifs � la mobilisation anti LRU, en regrettant « l’autisme » des m�dias. Destinataires : AFP, BFM, Le Figaro, Le Point, Le Monde, L’Express, L’Humanit�, Lib�ration, France2, France3, LCI, Le Canard encha�n�, France soir, Le Nouvel observateur, TF1, France info, France inter. Lass�es, certaines r�dactions ont d�branch� leur fax. Le m�diateur de France2 s’est m�me indign� qu’on mette « ainsi en cause les autistes ».
L’affaire chinoise, une aubaine ? M�me pas. Bien qu’ils soient enfin pr�sents sur le campus, pas moyen de choper les envoy�s sp�ciaux pour leur parler de la marchandisation du service public : � peine achev�e l’interview d’une jolie Chinoise, ils sont d�j� repartis vers de nouvelles investigations. L’actu, coco.
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