Var/Nice-matin : hyperr�alisme de la mise en sc�ne
Comment, � force de racolage, les r�dactions du groupe Nice-matin sabordent la cr�dibilit� des enqu�tes maison. Comment le PDG du groupe devient la ris�e des salari�s et des lecteurs.
L’affaire a d�j� �t� �voqu�e partiellement, entre autres, par Le Monde et le Nouvel Observateur.
15 f�vrier 2007.
« Acheter des armes � Nice ? C’est tr�s facile », r�v�le-t-on � la Une de Nice-matin avec photo � l’appui. Le dossier sera repris et adapt� aux contingences varoises deux semaines plus tard pour Var-matin [1] :
� l’affiche : description, chiffres, entretiens, et surtout une enqu�te sur le terrain (« � Nice, des Kalachnikov sous le manteau ») o� l’on apprend qu’un journaliste a presque r�ussi � acheter une arme de gros calibre � des trafiquants locaux. �a se passe au petit matin sur une route de l’arri�re pays, les flingues sont planqu�s dans le coffre d’une voiture. La description vient en parfait contrepoint de la photo choisie pour la Une.
C’est Anna Politkovska�a qu’on assassine
Mardi 10 avril 2007.
Il est rare que le PDG de Nice/Var/Corse-matin prenne la plume. Cela n’arrive que dans les grandes occasions, la mort de Lagard�re par exemple, ou quand la Libert� d’Expression se trouve en danger comme aujourd’hui. Aujourd’hui, Michel Comboul donne une le�on de d�ontologie � la hi�rarchie judiciaire. Solidarit� du patron envers son personnel : deux journalistes de Nice-matin ont �t� « tr�s longuement interrog�s » par la justice apr�s l’enqu�te sur le trafic d’armes.
« Il y a le discours officiel, celui du garde des Sceaux, celui m�me du pr�sident de la R�publique, sur la libert� des journalistes d’exercer leur m�tier et leur droit fondamental de ne pas r�v�ler leurs sources.
Et puis il y a la r�alit�. Elle est tout autre. Elle est celle des gardes � vue, des menaces, elle est celle des juges d’instruction, lourdement accompagn�s de gendarmes et de sp�cialistes en informatique, d�boulant dans les salles de r�daction, fouillant les tiroirs, attaquant les disques durs, usant et quelquefois abusant de la force de la loi. [...]
Une enqu�te sur des ventes d’armes de guerre � Nice n’a pas eu, apparemment, l’heur de plaire. L’auteur de l’article a donc �t� interrog� par deux policiers pendant 5 heures d’affil�e, comme un vulgaire malfrat pris en flagrant d�lit. Son r�dacteur en chef a eu droit � 3 heures de ce traitement.
En v�rit�, Nice-matin ne faisait que r�v�ler ce que beaucoup de gens "inform�s" savent parfaitement. Apr�s les conflits en Serbie et Tch�tch�nie, et l’accueil de r�fugi�s de ces pays, beaucoup d’armes de guerre circulent et se vendent dans les Alpes maritimes.
Il faut croire que certains magistrats pensent avoir un droit de censure sur ce qui peut s’�crire dans un grand quotidien d’information. Ils ont donc d�nich� un article du Code sur la provocation � l’armement, punie de 5 � 30 ans de prison.
Quelle que soit leur appr�ciation, les juges doivent savoir mettre eux-m�mes des limites � leur pouvoir. [...] Au nom de quelle raison un journaliste d’exp�rience ne pourrait-il pas �crire sur un tel th�me de soci�t�, aussi sensible que celui-l� ? Qui cela g�ne-t-il, sinon ceux qui sont dans l’impossibilit� de mettre un terme � ces trafics ou qui sont furieux que cela se sache ?
Nos lecteurs ont aussi un droit, celui d’�tre inform�s. [...] Peut-�tre vaudrait-il mieux s’en prendre directement aux faits, plut�t qu’aux journalistes qui les relatent ».
« Et puis il y a la r�alit�. Elle est tout autre »
Jeudi 12 avril.
Le magistrat vis� se nomme �ric de Montgolfier, Procureur de la R�publique pr�s le tribunal de grande instance de Nice. Comme il n’a que tr�s moyennement appr�ci� la sortie de Comboul, il use de son droit de r�ponse :
« Vous vous inqui�tez de l’enqu�te que j’ai ordonn�e lors de la parution d’un article publi� le 15 f�vrier dernier avec pour titre "des Kalachnikovs qui se vendent � Nice sous le manteau", illustr�, � la "une", par une photographie surmont�e d’un titre �vocateur : "Acheter des armes de guerre � Nice ? C’est tr�s facile !" De telles indications ne pouvaient que me conduire � des v�rifications sur la r�alit� de la situation ainsi r�v�l�e et potentiellement dangereuse. Tel fut donc initialement l’unique objet de cette enqu�te.
Puis, au cours de celle-ci, l’audition d’un armurier dont le nom est cit� dans l’article, ce qui dispensait d’avoir � l’identifier, a r�v�l� que la photographie publi�e comme illustration, rendant cet article cr�dible, n’�tait que le fruit d’une mise en sc�ne. Les personnes y figurant, le visage dissimul�, n’�taient nullement des vendeurs d’armes de guerre, l’un n’�tait autre que l’auteur de l’article, le second un fonctionnaire de Police. Les armes, d’ailleurs neutralis�es, avaient �t� pr�t�es par des armuriers locaux. En effet l’auteur de l’article n’avait pu s’en procurer avec les 800 euros mis � sa disposition par votre journal.
Il convient d’ajouter que ni l’auteur de l’article ni le r�dacteur en chef n’ont �t� plac�s en garde � vue, encore qu’ils auraient pu l’�tre d�s lors que le d�lit de diffusion de fausses nouvelles, pr�vu par l’article 27 de la loi sur la Presse, paraissait pouvoir leur �tre reproch�. En effet la combinaison de la photographie et des titres laissait croire que des armes de guerre pouvaient �tre ais�ment acquises � Nice, m�me si l’article d�montre qu’il n’en est rien, contrairement, pour reprendre votre affirmation, � ce que "beaucoup de gens inform�s savent parfaitement".
Ainsi, loin d’avoir outrepass� les attributions qui m’ont �t� confi�es, n’ai je fait que les exercer, d’abord en cherchant � m’assurer que les faits relat�s par votre journal �taient exacts, �ventuellement pour les �tablir et les r�primer le cas �ch�ant, puis, toujours au nom de la loi, en demandant des comptes � ceux qui avaient cru pouvoir user d’un stratag�me pour �tayer un article propre � inqui�ter l’opinion publique. [...] »
Le poids des mots, le choc des photos bidon.
Quel que soit le cr�dit qu’on veuille apporter au contenu de l’enqu�te, l’irritable Montgolfier a trouv� la br�che et s’y est engouffr�. Trop facile.
Nice-matin a l’habitude des effets sp�ciaux. � l’�re du "docu-fiction", les r�dactions n’h�sitent plus � mettre en sc�ne le spectacle de la r�alit�.
Pour introduire un dossier sur les dangers de l’atome en r�gion PACA, on choisit la photo de deux individus en combinaison protectrice int�grale qui pointent un compteur geiger vers l’objectif, en ext�rieur, devant une pancarte "acc�s interdit - danger". Titre : « Faut-il avoir peur du nucl�aire ? » [2].
Pour un article sur les violences conjugales, une femme esquisse un geste de d�fense face � une silhouette mena�ante. Est-ce la copine du photographe ? Ou une stagiaire, entre deux photocopies ?
Il para�t que les journalistes tol�rent sans ronchonner de voir leurs papiers ainsi enrob�s et donc affadis, d�grad�s.
� l’occasion de la remise des prix "Impact 66", qui honorent chaque ann�e « les campagnes [publicitaires] les plus remarqu�es par les lecteurs de la Presse Quotidienne R�gionale », Michel Comboul, PDG du groupe Nice-matin mais aussi pr�sident du Syndicat de la Presse Quotidienne R�gionale (SPQR) et � ce titre porte-drapeau de la d�ontologie journalistique, est intervenu pour insister sur « la cr�dibilit� et la responsabilit� d’une presse de proximit� au moment o� Internet multiplie les sites d’information non professionnels » [3].
Le 12 avril, il r�pond au droit de r�ponse du Procureur : « Sur le fond, nous maintenons la r�alit� de nos investigations. La question, la seule d’ailleurs qui est pos�e, concerne la photo, un montage n�cessaire permettant aux lecteurs de visualiser une arme de guerre ». Car dans le pays joyeux des enfants heureux, les lecteurs ne savent pas � quoi ressemble une arme de guerre.
Remarquez, ils ignorent aussi � quoi ressemble un vrai quotidien d’information locale, et ils n’en font pas tout un fromage.
L’article du Nouvel Obs (avantage de Montgolfier) : ici.
Celui du Monde (avantage Comboul) : l�.
[1] Nous citons Var-matin (3 mars) car n’avons pu nous procurer l’�dition de Nice-matin (15 f�vrier). Damned. Fions-nous cependant � la description qu’en fera le Procureur de la R�publique — voir plus loin dans cet article. Les �l�ments essentiels sont au programme des deux publications.
[2] Apr�s avoir achet� le journal pour v�rifier, on se rend compte que malgr� quelques Cassandre l’heure n’est pas au catastrophisme. D’autant que le dossier de deux pages (22 mars 2007) fait compl�tement l’impasse sur le nucl�aire militaire pourtant cher aux Toulonnais.
[3] Var-matin, 22 mars 2007.
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