AVANT de d�voiler les grands traits de l’entretien exclusif que nous a consacr� le seul journaliste de Var matin hostile � feu son patron [1], attardons-nous sur l’�dition du quotidien en date du 16 mars 2003. Pr�s de trois pages consacr�es � l’oraison fun�bre. Un hommage aussi bigarr� que le domaine d’action du grand disparu �tait �tendu. Les t�moignages resteront sobres, tout en mesure et retenue, car nous avons affaire � une r�daction tr�s professionnelle. L’�ditorialiste Georges-Marc B�namou chauffe l’assistance : "Lagard�re, c’�tait bien plus que cela. Un inventeur, un b�tisseur, un conqu�rant - le meilleur de la France quand elle ose." Puis viennent les mots, rares, du PDG de Var matin Michel Comboul : "nous mesurons combien sa pens�e, son regard et sa volont� manqueront � notre pays." Yves Merens, chroniqueur sportif, �voque le point de vue magnifique et visionnaire du d�funt, � l’aube des ann�es quatre vingt, quand il envisagea l’�volution in�luctable des clubs de football vers une gestion "entrepreneuriale" : "Il aura �t� victime de son impatience � glaner les succ�s et de sa volont� de confier les cl�s � des caciques trop �loign�s des ficelles du ballon rond." Car trop souvent, les ficelles du ballon restent l’apanage exclusif des gamins chinois qui cousent entre eux les hexagones de cuir. JLL voulait changer tout �a.
Jean-Louis Gombeaud, Jean-Marc Sylvestre de province : "Pour aboutir � cela [l’empire Lagard�re], il fallait d�gager et faire partager une �nergie � toute �preuve. C’�tait sans doute la premi�re qualit� de JLL. Du reste, quand on lui en parlait, il �voquait imm�diatement ses origines gasconnes comme s’il voulait signifier ce qui l’animait avant tout." Georges Bertolino, expert en tout, et surtout en Paris-turf : "Au del� d’un palmar�s trop long � citer, c’est l’image d’un homme se rendant un week-end sur deux aupr�s de ses juments, yearlings et autres �talons que garderont celles et ceux connaissant son amour pour les chevaux." Jacques Ganti�, abandonnant un instant ses chroniques gastronomiques : "Il indiquait [le chemin] en b�tisseur d’empire. Dans son h�tel particulier de la rue de Presbourg, Jean-Luc Lagard�re [...] avait d�m�nag� au premier �tage, comme pour prendre un peu plus de hauteur apr�s avoir con�u, pendant des ann�es, dans une atmosph�re "secret d�fense", tant de bolides, de missiles et d’avions, � deux pas de l’Arc de Triomphe." Entre ici, Jean-Luc Lagard�re !
Apr�s cet effort de lecture, Cuverville a �cout� une voix dissonante. Celle de Raymond M., journaliste de Var matin crois� au sortir des locaux de la rue Mirabeau, � Toulon. Raymond M. pr�f�re garder l’anonymat, on le comprend.
Cuverville : pourquoi ne pas participer � cet �loge unanime ?
R.M : Pourquoi faire ? Ils n’ont franchement pas besoin de moi. Cela dit, je n’ai pas d’antipathie particuli�re pour le personnage Jean-Luc Lagard�re, qui a toujours su promouvoir les belles choses, des voitures de sport aux missiles Exocet, en passant par Var matin.
Que pensez vous du r�cent achat de Vivendi Universal Publishing par Hachette, qui permettra au groupe de r�gner sur les deux tiers de l’�dition fran�aise ?
J’ai lu qu’aucun autre pays ne vivait une situation pareille. M�me aux USA, ils sont cinq �diteurs � contr�ler l’essentiel du march�. Peut on se r�jouir si d�sormais Hachette concentre plus de 80% des manuels scolaires ? 45% de la litt�rature g�n�rale ? Plus de la moiti� des livres de poche ? On peu pronostiquer une normalisation accrue de la production. L’avantage syst�matique du quantitatif sur le qualitatif. La pr��minence des livres de divertissement sur la litt�rature d’auteurs, moins rentable. Il convient d’ajouter que Lagard�re contr�le beaucoup de points de distribution culturelle -Virgin ou les kiosques Relay dans les gares, par exemple-, de nombreux titres de presse, la NMPP, des radios comme Europe1, l’affichage urbain -Giraudy-, etc. Ceci pourrait achever, par le silence, ce qui reste d’acteurs ind�pendants dans le milieu du livre.
Que dire du m�tier de journaliste sous l’emprise Lagard�re ?
Fabricant d’armes d’un c�t�, magnat de la presse et de l’�dition de l’autre. Comment informer dignement les lecteurs toulonnais des d�rives de DCN, des exc�s de la Royale, des dangers de la radioactivit� dans la rade, quand l’arm�e fran�aise reste parmi vos meilleurs clients ? La direction de Var matin a depuis longtemps r�solu le probl�me : quand on parle de la Marine, c’est essentiellement pour �voquer l’agenda musical du big band des �quipages de la flotte, ou la promotion d’un nouveau pacha.
La pression au sein de la r�daction est sans doute tr�s importante.
Certainement.
En ces temps de communication reine, o� l’int�r�t �conomique pervertit toute id�e d’information, comment peut encore s’exprimer la d�ontologie journalistique ?
Il faut bien gagner sa cro�te. Il est certainement facile de pisser de la copie quand on est "critique touristique", par exemple, et que le job consiste � encenser une destination au pr�texte que l’agence vous paie le voyage et les petits fours. Il est plus d�licat de bosser dans un service politique sous le regard permanent du r�dacteur en chef, dont l’activit� premi�re consiste � v�rifier que ses ouailles ne d�passent pas les bornes. Mais vous devriez poser la question aux gens concern�s. Vous savez, je n’ai pas grand chose � voir avec Var matin. Je suis juste le r�parateur de la photocopieuse.
[1] Var matin : sous-partie du groupe Nice matin. Nice matin : sous-partie du groupe Lagard�re.