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LETTRE D'INFORMATION |

Nicolas de Cr�cy, entretien

dimanche 3 juillet 2005
par Iconophage
Les dieux de la causerie enregistr�e se montr�rent taquins : panne de micro et digestion difficile de canistrelli retard�rent l’�ch�ance. Quelques verres de Zilia plus tard, De Cr�cy nous livrait la vision de son travail. Rencontre avec un explorateur en qu�te permanente de nouvelles terres graphiques et d’exp�riences fortes (comme d�capsuler une Pietra, redoutable bi�re locale � la ch�taigne), et qui aborde la Corse comme il se doit : par la mer.

ENTRETIEN réalisé par MHG [1] dans le cadre des douzi�mes rencontres de la bande dessinée de Bastia, le 2 avril 2005.

Comment avez-vous imagin� l’histoire de Salvatore, le h�ros de votre derni�re bande dessin�e Transport Amoureux [2] ?
Quand on fait de la bande dessin�e, on ressent au bout d’un certain temps une sorte de mortification par rapport au dessin. Le fait de toujours l’utiliser dans un syst�me narratif et de respecter les codes narratifs tue un peu le dessin libre. Je fais donc �norm�ment de dessins libres � c�t�, je remplis des pages et des pages de petits personnages [3] et quelquefois je retombe sur des dessins vieux de 2 ou 3 ans qui font partie de cette banque d’images. J’ai comme cela retrouv� un petit chien m�canicien. Ce personnage me plaisait et je me suis dit que je devais en faire quelque chose. J’ai donc imagin� l’histoire ensuite.

Apr�s des albums riches en r�f�rences picturales comme Le Bibendum C�leste [4] ou Prosopopus [5], Transport Amoureux traduit-il une volont� de votre part de "simplifier" votre approche graphique ?
J’ai en effet commenc� avec Foligatto [6] et Le Bibendum C�leste qui sont tr�s picturaux et tr�s fouill�s, et o� il y a un travail graphique important. J’ai ensuite fait L�on la Came [7] avec une volont� de d�pouillement. C’�tait presque un croquis. Mon but �tait d’avoir un croquis vivant, de garder un trait vivant. Et puis apr�s j’ai fait Monsieur Fruit [8], qui est du L�on La Came, mais sans couleur et qui pousse encore plus loin dans le croquis. Je suis revenu ensuite � des choses plus picturales et avec Salvatore, j’ai renou� avec le graphisme simple d’un Monsieur Fruit, mais en adoptant le format tr�s classique du 46 pages couleur. Mais c’est une exp�rience comme une autre. J’essaierai d’autres choses apr�s cela, plus complexes ou non. Chaque album est une exp�rience. Dans ce cas pr�cis, j’ai fait l’exp�rience d’une certaine simplification, tant dans le graphisme que dans la narration.

Dans ce retour vers une bande dessin�e plus simple, avez-vous pens� au lecteur ?
Pas du tout. Le public est une notion tellement vague ! Il est compos� d’avis tellement diff�rents qu’on ne peut pas en tenir compte. Si on entend "�a m’a plu" ou "�a ne m’a pas plu", que doit-on faire ? Il n’est pas possible de tenir compte de cela. Il faut donc d�velopper l’id�e que l’on a. Je r�alise souvent un album en contradiction avec le pr�c�dent et j’avance comme �a. Je ne me pr�occupe pas des coeurs de cible. Je laisse �a aux �diteurs.


Je pensais plut�t � une d�marche, � une recherche de sens. Malgr� une volont� �vidente de pousser le lecteur dans ses derniers retranchements, la figure du narrateur — une t�te coup�e — du Bibendum C�leste d�montre votre souci de raconter une histoire. Etes-vous curieux des r�actions que suscitent vos oeuvres ?
Oui, bien s�r je suis curieux de ces r�actions. Mais seulement quand le livre est fait. Si on veut raconter quelque chose, il faut que cela soit plus ou moins accessible et que l’on donne un minimum de cl�s. C’est vrai que je n’en ai pas donn� beaucoup dans le Bibendum qui est d’une lecture un peu difficile par rapport � une bande dessin�e classique. J’en suis conscient mais le but �tait de faire r�f�rence � des choses pas forc�ment �videntes lors d’une premi�re lecture.

Les pr�faces sont en g�n�ral l� pour �clairer le propos de l’oeuvre. Lorsqu’on lit la pr�face de Prosopopus de Laetitia Bianchi, on constate une esp�ce de jeu avec l’ouvrage sur le terme m�me de Prosopopus. Pourquoi ce titre ?
Prosopopus est un livre muet, je n’avais vraiment aucune id�e de titre. C’�tait pourtant la seule chose qui allait �tre �crite du livre. C’�tait terrible. J’ai cherch� pendant deux mois pour tomber sur le mot prosopop�e [9]. Cela correspondait assez bien et en plus, le fait de terminer le mot en us collait bien au gros personnage qui ressemble � Casimir, un personnage de dessin anim�, un peu enfantin mais en m�me temps monstrueux. J’ai ensuite demand� � Laetitia Bianchi de faire une pr�face en forme de fausse recherche sur le prosopopus. Beaucoup de gens ont cru que le mot existait et que le prosopopus �tait une sorte de monstre m�di�val. Ceci dit, cela n’�claire en rien le contenu de l’album. C’est juste un jeu sur le titre.

Juste un mot sur Laetitia Bianchi et la revue R de R�el. Vous �tes int�ress� par la d�marche de cette revue qui explore l’art contemporain et les sujets de soci�t� ?
J’aime bien cette revue parce que justement elle est tr�s �clectique. Elle peut aborder la t�l�-r�alit� puis parler de Michel Foucault ou de football.

Vous avez particip� � R de R�el ?
Oui, un petit peu. En fait ils sont devenus des amis.

J’aimerais revenir sur les formes disproportionn�es que vous utilisez pour dessiner certains animaux. C’est un simple plaisir graphique ou il y a une autre volont� derri�re ?
C’est en m�me temps un plaisir graphique et un plaisir de dessiner le grotesque. Les personnages qui sont entre le chien, le cochon et le phoque sont des formes qui me plaisent. Elles sont une expression du grotesque et du ridicule qui m’ont toujours attir�.

Vous aimez aussi dans votre travail graphique m�langer les techniques ?
A part sur Salvatore qui est une bande dessin�e plus simple et pour laquelle j’ai mis au point un graphisme que j’ai tenu tout le long du livre, en g�n�ral pour les autres, chaque case est une exp�rience graphique diff�rente mais l’ensemble doit rester coh�rent. Les techniques utilis�es sont diverses. En fait il y a de tout, de l’aquarelle, des encres, de l’acrylique, des pastels, de la gouache... Pour le Bibendum ou pour Foligatto, chaque fois que je ratais une case aux encres, comme cela m’aga�ait de la refaire en entier, je recommen�ais jusque cela fonctionne. Plus c’�tait rat�, plus c’�tait int�ressant. L’erreur entra�nait une mati�re diff�rente d’appr�hender la case.

On s’aper�oit en lisant vos livres que certains th�mes sont r�currents. On retrouve ainsi le motif du bateau, des animaux et celui de l’amputation. Vous triturez vos personnages.
Les personnages sont vivants mais pour moi, m�me un objet peut �tre vivant, ou un personnage peut fonctionner comme un objet. On peut se demander si le narrateur du Bibendum C�leste est une personne vivante alors que c’est une t�te coup�e pos�e sur un meuble. Je voulais montrer un narrateur sans corps, qui ne se d�place pas, qui n’est pas dans l’action, et qui n’a besoin que de sa t�te pour raconter l’histoire. Je ne sais pas si on peut parler de mutilation. La main coup�e de Prosopopus est la main d’une artiste qu’un truand coupe pour s’approprier le pouce avec lequel elle signe ses oeuvres. C’est plus un v�hicule narratif qu’une mutilation.

Quels sont vos prochains projets ?
J’ai un projet de film d’animation depuis 5 ans d�j�. C’est un projet important, difficile � financer. Les investisseurs sont r�ticents � se lancer dans des animations aux graphismes tr�s diff�rents de ce qui se fait d’habitude. Quand ils font un film, cela doit rapporter. Ils ne prennent pas de risque. Donc si on fait vaguement du Disney ou du manga, �a peut fonctionner, sinon... Pourtant, La Proph�tie des Grenouilles [10] qui a un graphisme atypique a tr�s bien march�. C’est vers ce genre de chose qu’il faut aller � mon avis.

Et en bande dessin�e ? Bient�t la suite des aventures de Salvatore ?
Oui mais il faudrait que je m’y mette et il devrait sortir d’ici 6 mois.

D�j� un titre ?
Le Grand D�part.

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Tous ceux qui ont vu Les Triplettes de Belleville de Sylvain Chomet et qui connaissent le travail de Nicolas de Cr�cy y auront vu des similitudes troublantes. Nous avons demand� � celui-ci de plus amples informations. Mais entre le dessinateur et le sc�nariste de L�on la Came, l’amiti� ne vaut plus tripette.

[1] Iconophage : cin�ma et BD tous les lundis de 19h � 20h30 sur RadioActive, 100 FM, aire toulonnaise.

[2] Dupuis, Collection Expresso, 2005.

[3] Des gens bizarres, Editions Corn�lius, Collection Raoul, 2004.

[4] T.1, 2 et 3, Les Humano�des Associ�s, 1994, 1998 et 2002.

[5] Dupuis, 2003.

[6] Les Humano�des Associ�s, 1991.

[7] T.1, 2 et 3, Casterman, 1995, 1997 et 1998.

[8] T.1 et 2, Le Seuil, 1995 et 1996.

[9] Prosopop�e : figure par laquelle l’orateur ou l’�crivain fait parler et agir une personne absente ou morte, un �tre inanim�, un animal.

[10] Un film de Jacques-Remy Girerd, France, 2003.

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  • Nicolas de Cr�cy, entretien 26 décembre 2006 (1 r�ponse)


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