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LETTRE D'INFORMATION |

Les Requins marteaux en t�te de gondole du supermarch� Ferraille

mardi 5 juillet 2005
par Iconophage
Ils sont venus � trois, meilleurs employ�s du mois d�l�gu�s par la maison Requins marteaux pour installer � Bastia les pr�sentoirs du supermarch� Ferraille : Winshluss, Cizo et Pichelin. C’est ce dernier qui tient la caisse lorsque nous arrivons pour l’interview. Sur fond de musique promotionnelle 100% synth�tiseur, il nous parle bien s�r de ventes, de rentabilit� et de marges arri�re, mais aussi d’art contemporain. Il y a donc des limites � la franche rigolade.

ENTRETIEN réalisé par G. Suchey pour Iconophage [1] dans le cadre des douzi�mes rencontres de la bande dessinée de Bastia, le 2 avril 2005. Les Requins marteaux : une maison d’�dition venue d’ailleurs. Le supermarch� Ferraille : une superette d’outre-espace.

Commen�ons par Albi...
Albi c’est le fief, l’endroit... Notre activit� associative, administrative. L’�quipe des gens salari�s bosse l� bas. C’est la ville d’o� sont issus les membres fondateurs des Requins marteaux. On y a ouvert une galerie d�di�e � la bande dessin�e et on y organise un festival depuis cinq ou six ans. On s’y implique en tant qu’acteurs culturels. A l’origine nous �tions trois [2], petit � petit des gens nous ont rejoints mais pas forc�ment physiquement. Les r�dacteurs en chef de Ferraille illustr� Winshluss et Cizo habitent � Paris, m�me s’ils ont travaill� sur Albi pendant quelque temps.

En terme d’ambition, les Requins marteaux lorgnent-ils sur Fluide glacial ?
Fluide glacial n’est pas une ambition, juste un moyen de travailler. Pour moi par exemple [3]. Ce n’est pas une r�f�rence, ni en terme de structure de maison d’�dition, ni en terme de contenu ou de cr�ation. Ce fut une r�f�rence pour les adolescents que nous �tions dans les ann�es 80 mais aujourd’hui la superbe du journal a disparu, m�me s’il y a encore des choses int�ressantes, et m�me s’il y a des efforts faits justement pour que �a se renouvelle. C’est d’ailleurs pour cela que quelques auteurs de Ferraille illustr� — de plus en plus — y travaillent.

Quelle est la ligne �ditoriale des Requins marteaux ?
Les Requins marteaux se d�finissent comme une structure de cr�ation plut�t qu’une maison d’�dition. On fait de la bande dessin�e, c’est une chose, mais on ne le fait pas forc�ment � travers des livres. D’o� la pr�sente exposition, o� ce qu’il y a � lire se trouve inscrit sur des boites de conserve et pas sur des bouquins ni un journal.
On n’a pas de ligne �ditoriale particuli�re. Pas le d�sir d’un catalogue coh�rent avec une identit� particuli�re, je dirais. Ce qui nous int�resse, c’est de d�fendre des auteurs qui ont un propos, qui ne sont pas des "recopieurs", et de concevoir des livres en fonction de leur projet.
On est identifi� comme �diteur bord�lique, et on le revendique. Cette apparente incoh�rence n’en est pas une, car nous nous appuyons toujours sur l’id�e que l’auteur est au cœur du projet. C’est son travail qui d�finit l’objet, et non l’inverse. On n’essaie pas de faire entrer des auteurs dans des collections ou dans un style. Avec Ferraille on travaille plut�t sur l’humour, le d�calage, etc. Mais avec des gens comme Philippe Squarzoni [4] par exemple, des militants qui travaillent sur les relations entre bande dessin�e et r�cit politique, on ne fait pas les m�mes livres et ce n’est pas dr�le, pour le coup. On a un catalogue aujourd’hui tr�s diversifi�, qui va de l’autofiction � l’essai politique, en passant par tout ce travail quand m�me majeur pour nous sur l’humour, le d�calage, la d�rision et le d�tournement.

Nous sommes dans le supermarch� Ferraille, une caricature du temple de la consommation. Est-ce que ce n’est pas pousser un peu loin le bouchon qu’inciter les gens � acheter des bo�tes de conserve vides ?
On ne vend pas des bo�tes vides, en fait. On vend des objets artistiques. Il faut bien remettre les choses dans leur contexte. L’origine du projet sur le supermarch� Ferraille visait effectivement � d�noncer le c�t� parfois mercantile de la bande dessin�e. C’est une expo qui a �t� cr��e pour le festival d’Angoul�me � l’invitation du off qui envisageait au d�part une r�trospective pour les dix ans des Requins marteaux. Mais comme le travail r�trospectif ne nous amuse gu�re pour l’instant on a fait autre chose. On s’est dit : puisque la grande distribution, notamment les supermarch�s Leclerc, s’int�resse beaucoup � la bande dessin�e, et bien nous on va s’int�resser aux supermarch�s. Dans un supermarch� il y a des tas de produits d’appel qui incitent les gens � consommer. Ce qui nous int�resse, c’est de d�crypter les codes graphiques de ces objets, les d�tourner pour faire autre chose, dire l’inverse du propos initial, c’est un peu le "message" de ce travail-l�.
On fait de la bande dessin�e. C’est vrai qu’il peut sembler �trange de proposer une exposition qui ne pr�sente pas de planches encadr�es mais des bo�tes. Peut-�tre est-ce effectivement pousser le bouchon un peu loin. Sauf que nous pensons que la bande dessin�e peut s’exposer, c’est-�-dire qu’on peut faire une exposition de bande dessin�e sans faire obligatoirement une exposition sur la bande dessin�e. L’exposition peut �tre aussi un objet de cr�ation. Pas forc�ment un objet de repr�sentation d’une bande dessin�e existant dans un livre. Encadrer des planches et les mettre sur un mur ne nous passionne pas beaucoup, m�me si cela peut �tre int�ressant pour des travaux r�trospectifs, historiques ou th�matiques [5]. On se dit que si les gens visitent une exposition, ils ne sont pas dans un fauteuil en train de lire un bouquin, ils ne sont pas immobiles. Ils sont en train de se d�placer dans une salle. C’est cela qui cr�e une histoire, un �v�nement, et il faut le prendre en compte. Sinon �a ne marche pas...

Le site web du supermarch�, c’est la m�me dynamique ?
...C’est exactement la m�me chose. On a invent� un site qui nous permet de refaire de la bande dessin�e encore une fois. Il s’agit l� de d�tournement de site commercial... Et donc, quand vous achetez une bo�te de conserve au supermarch� Ferraille, vous achetez une œuvre avant tout. D’autre part les objets sont tr�s peu chers, avec un co�t de fabrication quand m�me vachement important qui emp�che quasiment de r�aliser une marge sur la vente...

Il y a ce cot� r�p�titif, « production en nombre » qu’on retrouve dans la vente d’albums format�s. Ces bo�tes ne sont pas des objets uniques, c’est quelque chose que l’on peut vous reprocher d’un point de vue artistique ?
Je ne pense pas que le peu de quantit� d�finisse la valeur d’une œuvre. Et �a nous amuse d’aller jusque-l� parce que justement, au moment o� on vend une bo�te, c’est r�ellement comme si on vendait un livre. Les gens acc�dent � notre travail par l’interm�diaire d’une boite.
Et puis le supermarch� Ferraille est une exposition qui tourne dans des manifestations pas forc�ment relatives � la bande dessin�e, sur les arts de la rue par exemple, ou sur des espaces d’art contemporain. C’est une fa�on de faire d�couvrir la bande dessin�e contemporaine. Il y a des gens qui ne vont pas dans les librairies sp�cialis�es de bande dessin�e, qui trouvent �a vulgaire ou pas int�ressant, comme moi par exemple je ne vais jamais dans une librairie �sot�rique. De plus, la bande dessin�e ne dispose quand m�me que d’un r�seau de diffusion tr�s sp�cialis�. Nous sommes d�j� en marge de ce r�seau-l�, parce qu’il y a des objets particuliers, des "livres bizarres" comme ils disent, pourtant je pense qu’un public a priori plus int�ress� par les arts plastiques ou le cin�ma d’auteur peut s’int�resser � nos travaux, ou � ce que fait l’Association, ou Ego comme X, des structures comme �a.

Et toute l’�quipe bosse au d�tournement ?
Essentiellement Winshluss et Cizo, parce qu’ils sont les cr�ateurs du personnage de monsieur Ferraille. C’est eux qui ont initi� le travail du supermarch� et du mus�e. Beaucoup d’auteurs ont travaill� ensuite sur le mus�e, ils n’ont pas tout fait. Mais on leur doit les affiches, c’est un travail tr�s particulier o� l’infographie compl�te le dessin, ce qui permet de singer et d�tourner les graphismes de l’�poque. Apr�s, beaucoup de gens bossent sur le journal. Ferraille illustr� s’inspire des hebdos des ann�es quarante/cinquante avec le h�ros central, le projet vise � travailler sur ces codes l�.



Est-ce que le journal rencontre un public ? La formule est-elle p�renne d’un point de vue commercial ?
Non, ce n’est pas encore viable. Ferraille a toujours �t� en kiosque depuis que le titre existe, on a aujourd’hui des tirages un peu plus importants, on a chang� de diffuseur : on est pass� des NMPP aux MLP. Les NMPP ont un probl�me de diffusion des « petits » titres. La nouvelle formule de Ferraille actuellement en kiosque fonctionne mieux qu’avant, on est � 5000 exemplaires vendus en kiosque, plus les abonnements et la distribution en librairie. Ce qui fait � peu pr�s 7000 exemplaires vendus, un nombre insuffisant pour �tre rentable. Les auteurs ne sont pas pay�s et on perd de l’argent sur tous les num�ros. C’est un travail vraiment difficile. Mais on pense qu’il est important qu’il y ait des revues de cr�ation en bande dessin�e dans les kiosques. On ne sait pas si c’est p�renne parce que d’une part le projet n’a pas volont� de l’�tre, on n’est pas Fluide glacial justement ni l’Echo des savanes, qui doivent durer parce que c’est une n�cessit� �conomique. Si on n’a plus rien � raconter ou si la forme du journal ne nous inspire plus, on arr�tera. C’est d�j� arriv�. On a fait un break � un moment donn� parce qu’on trouvait que la formule s’essoufflait. J’�tais alors r�dacteur en chef, j’ai confi� le journal � d’autres cr�ateurs pour repartir � z�ro.

Comment s’int�grent les auteurs dans la structure ?
La particularit� des Requins marteaux par rapport � d’autres structures vient du fait que les auteurs contr�lent vraiment le travail, ils d�cident de ce qu’on fait, les livres les expos les machins, il n’y a pas de direction administrative ou commerciale pour dicter les choix. Et puis on a un collectif � g�om�trie variable. Font partie des Requins marteaux ceux qui y travaillent.

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Bibliographie subjective :
puce Les Requins marteaux : Monsieur Ferraille par Winshluss et Cizo, 2003 ; Ricou & Bigou par Bouzard, 2002 ; L’homme qui ne valait plus rien par Witko, 2003 ; Otaku par Ivan Brun et Lionel Tran, 2004.
puce Pichelin au sc�nario : C’est pas tous les jours f�te et Amours, sexe et bigorneaux - dessins de Guerse, Otari Larsen : amour nuit et jour - dessins de Marty ; les Requins marteaux, respectivement 2000, 2003 et 2000.

[1] Cin�ma et BD tous les lundis de 19h � 20h30 sur RadioActive, 100 FM, aire toulonnaise.

[2] Katou, Marc Pichelin, Guillaume Guerse.

[3] Les losers sont des perdants, dessins de Guerse, 2002.

[4] Garduno en temps de paix et Zapata en temps de guerre, respectivement 2002 et 2003.

[5] Allusion faite au « grand bestiaire », une exposition propos�e dans le cadre des douzi�mes rencontres, o� s’affichent entre autres quelques planches du Smart Monkey de Winshluss (�dition Cornelius, 2004).

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