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LETTRE D'INFORMATION |

P�tillon, entretien

samedi 29 avril 2006
par Iconophage
P�tillon : le Canard Encha�n� chaque semaine et un Jack Palmer tous les quatre ou cinq ans.
Pertinent sans �tre m�chant (selon Wikip�dia), auteur de L’enqu�te corse et de l’immortel « - Alors monsieur Figoli, on grimpe dans les arbres ? - Je suis dans mon pays ! Je grimpe o� je veux !! », il revient sur les lieux de son crime � l’occasion des rencontres de Bastia. Et tous ces insulaires qui lui demandent timidement une d�dicace le sourire aux l�vres ! C’est fou, non ?

ENTRETIEN réalisé par G. Suchey pour Iconophage [1] dans le cadre des treizi�mes rencontres de la bande dessinée de Bastia, le 2 avril 2006. Prise de son et retranscription : Montag.

Faut-il avoir la rage et �tre engag�, ou plut�t �tre compl�tement d�gag� pour faire du dessin de presse correctement ?
Ni l’un ni l’autre. Quand je fais du dessin de presse, j’essaie de ne pas faire du dessin engag� parce que je consid�re que dans un engagement trop intense on a tendance � manquer d’humour. En m�me temps, il est impossible de faire du dessin de presse en �tant d�gag� des pr�occupations politiques ou g�n�rales du pays.

Un militant ne pourra pas �tre un bon dessinateur de presse ?
Les dessins militants sont utiles aux militants et aux gens qui croient � la cause qu’ils d�fendent, mais ce sont en g�n�ral des dessins qui ne sont pas dr�les car ils ont une fonction purement utilitaire. Moi je fais plut�t du commentaire ironique sur les situations politiques, en essayant de pointer les contradictions et pas n�cessairement au service d’une cause pr�cise. Je me sers tout simplement de ce que je ressens en tant qu’�tre humain vivant dans un pays mais pas en tant que militant inf�od� � un quelconque parti.

Face � un �v�nement, r�agissez-vous et dessinez-vous instantan�ment, vous faut-il un temps de d�cantation ou aucune r�gle ne pr�vaut ?
Il n’y a pas de r�gle. Certaines informations suscitent un dessin dans les 5 minutes qui suivent alors que d’autres n�cessitent une maturation qui peut durer des heures, voire des jours. Parfois, le bon dessin me vient une semaine apr�s. C’est en g�n�ral trop tard.

Votre carri�re oscille entre la bande dessin�e et le dessin de presse. Avez-vous une vocation pour l’une ou l’autre forme ?
A la base c’est une passion pour le dessin comme moyen d’expression et comme v�hicule d’humour. Ce qui m’int�resse dans les deux formes — bande dessin�e et dessin de presse — c’est l’humour. Je suis amateur d’humour en g�n�ral, que cela soit au cin�ma ou dans le monde litt�raire, mais j’ai un faible pour le dessin qui est pour moi un formidable vecteur pour l’humour. Peu importe maintenant que cela soit dans la bande dessin�e ou dans le dessin de presse. Le dessin de presse exige une r�action rapide et ponctuelle sur un �v�nement alors que la bande dessin�e permet une r�flexion � plus long terme. On a le temps de mettre en sc�ne des personnages, de laisser m�rir les situations... Donc quelle que soit la forme choisie, la motivation initiale reste toujours la m�me.

Avez-vous toujours fait en parall�le les deux, ou les circonstances ont-elles guid� vos choix ? Par exemple, avez-vous postul� pour le Canard Encha�n� ou est-ce le Canard qui est venu vous chercher ?
J’ai d�but� en 1968 en faisant du dessin politique : beaucoup de publications �taient en effet n�es de l’�v�nement. Apr�s 1968 tout ceci est un peu retomb� et je me suis retrouv� dans l’obligation de me reconvertir, je me suis mis � faire de la bande dessin�e. Ma vocation premi�re �tait donc de faire du dessin de presse. J’ai donc fait de la bande dessin�e pendant tr�s longtemps mais j’ai toujours mis un peu d’actualit� dedans. J’ai fini par faire une page d’actualit� dans VSD pendant quelques ann�es. C’est l� que le Canard a rep�r� mon travail et m’a demand� de le rejoindre. Il n’�tait pas question pour autant d’abandonner la bande dessin�e. J’ai ainsi inform� le Canard que je d�sirais rester libre de faire de la bande dessin�e et qu’il n’�tait pas question de contrat d’exclusivit�.

Le monde du dessin de presse est un microcosme o� on a l’impression que les dessinateurs se connaissent, quel que soit le support. M�me si chacun travaille individuellement, est-ce un milieu ouvert o� on peut rencontrer et accompagner des d�butants ?
M�me si cela prend un peu de temps, cela fait toujours plaisir de donner des conseils aux d�butants. J’ai d’ailleurs en ce moment des contacts r�guliers, gr�ce � cet outil formidable qu’est le mail, avec certains jeunes dessinateurs que je conseille et que je mets en garde vis-�-vis d’influences trop marqu�es. J’aime le faire et j’aime aussi voir des talents s’affirmer. Sinon c’est un m�tier assez solitaire. Par exemple, je ne travaille pas � la r�daction du Canard mais chez moi. Je passe ainsi beaucoup de temps chez moi et cette solitude ne me d�pla�t pas. On rencontre les autres dessinateurs dans les festivals. On ne se conna�t pas vraiment tous. Par exemple j’ai �t� tr�s heureux � l’occasion de ce festival de rencontrer Luz qui est un type bourr� de talent. Il y a aussi un ph�nom�ne de g�n�ration. Je connais bien Willem et Wolinski, en gros des gens de mon �ge, mais les jeunes, on les conna�t moins bien. C’est donc aujourd’hui une occasion de les rencontrer.

En m�me temps il y a peu de supports qui peuvent accueillir des dessins. On a un peu l’impression que, outre les difficult�s �conomiques, la presse �crite souffre d’une certaine scl�rose. Un jeune dessinateur tent� par le dessin de presse se tourne assez syst�matiquement vers les deux ic�nes actuelles : le Canard Encha�n� d’un c�t� et Charlie Hebdo de l’autre. L’Internet pourrait-il �tre un nouveau support ?
En effet, le support se rar�fie. Marianne passe un peu de dessin de presse, les magazines classiques int�grent plus des illustrations que des dessins d’humour. M�me le dessin d’humour non politique a pratiquement disparu du paysage. C’est dommage. Internet est int�ressant, mais c’est aussi une d�ception parce qu’il n’y a pas de gros "v�hicule" pour le dessin de presse. Ce sont plut�t des initiatives individuelles. Je ne suis pas tomb� sur des sites qui seraient un groupement des dessinateurs du net. Ce serait un bon moyen de travailler dans une m�me direction avec une �mulation. On sent que les gens qui travaillent sont compl�tement isol�s. Le net isole encore plus que la presse papier.

Il existe pourtant des aventures int�ressantes sur le net, pas forc�ment des collectifs de dessinateurs de presse mais...
J’attends un v�ritable magazine de dessins de presse sur le net. Ceci dit, les dessinateurs qui sortent des limbes se retrouvent sur le support papier. On est encore tous fascin� par ce support.

La ligne �ditoriale du journal impose-t-elle un cadre au dessinateur ?
Je n’aime pas faire des dessins pour rien. Envoyer au Canard des dessins que je serai s�r de ne pas voir passer pour dire ensuite que j’ai �t� censur� me semble un exercice vain. Je sais ce que le Canard attend de moi, et ce n’est pas un hasard si j’ai accept� d’y venir : c’est une forme d’humour qui me correspond et dans laquelle je ne me sens ni d�pays�, ni censur�, ni g�n�. Si j’ai des id�es hors norme qui sortent du cadre du Canard je ne les r�alise pas. Je ne perds pas mon temps et j’essaie d’�tre efficace et utile. Ceci dit, l’espace de libert� du Canard est suffisant � mon expression. Je ne m’y sens pas brim�.

Selon Willem, le m�tier de dessinateur de presse autoriserait tout et le d�douanerait de toute responsabilit�. Pensez-vous que la notion de faute professionnelle existe dans ce m�tier ?
Non, �tant donn� que le responsable de la publication, c’est le journal. Le dessinateur propose et le journal le passe ou pas. Je comprends tr�s bien la position de Willem : il balance sa production comme elle sort, et le journal se d�brouille avec. C’est une position tout � fait d�fendable et coh�rente. Il y a faute professionnelle si le dessin tombe sous le coup de la loi. Par exemple pour la diffamation et l’atteinte � la vie priv�e, il y a des tribunaux.

La loi peut aussi �tre ambigu�. Il y a r�cemment un d�put� qui a demand� � ce que la notion de blasph�me soit remise � l’ordre du jour. Si jamais une telle proposition �tait accept�e, beaucoup de dessinateurs deviendraient hors-la-loi.
Actuellement la loi n’est pas ambigu�. Elle autorise le blasph�me et punit le r�visionnisme, la diffamation et l’atteinte � la vie priv�e. Il n’y a pas de limite � la libert� d’expression tant qu’elle reste dans ce cadre-l�. Ce qui est grave en effet, c’est que des d�put�s irresponsables essaient de remettre en cause des acquis qui remontent � la R�volution. Il s’agit l� de ne pas laisser faire.

Le dessin de presse est-il un exutoire ?
Il y a des dessins qui me soulagent �norm�ment. Et il y a des lecteurs qui me disent : « Vous nous avez veng�s ». Cela ne sert peut-�tre pas � grand-chose mais le fait de se sentir veng� sur un truc scandaleux ou insupportable, c’est quand m�me pas mal.

Le dessinateur de presse est donc un individu plus �quilibr� que la moyenne par le fait qu’il peut �vacuer certaines choses par le dessin ?
On a tous un moyen d’�vacuer la pression, en discutant avec des potes, en buvant des coups. Vous allez dans les caf�s, les gens disent ce qu’ils pensent. Il y des fois des trucs marrants, des id�es qu’on aimerait bien rendre en dessin. La diff�rence, c’est que notre exutoire est publi� et devient grand public. Les dessins qui plaisent rejoignent en g�n�ral un �tat d’esprit, quelque chose de sous-jacent, qui a peut �tre d�j� �t� exprim� d’une autre mani�re. Et quand un dessin arrive � synth�tiser la r�action d’une opinion � un �v�nement, on a r�ussi notre coup.

Le dessinateur de presse utilise-t-il des recettes de cuisine pour pallier d’�ventuelles pannes d’inspiration ? Par exemple le fait de conjuguer deux actualit�s ?
Je n’aime pas trop m�langer les �v�nements et quand je suis en panne, je reste en panne. On peut toujours sortir un dessin mais on sent bien que l’inspiration n’est pas l� et cela fait un mauvais dessin. Dans ce cas l�, je sors prendre l’air ou je vais me coucher. Mais il y des jours ou des semaines o� on est sec !

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[1] Cin�ma et BD tous les lundis de 19h � 20h30 sur RadioActive, 100 FM, aire toulonnaise.

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