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Fr�d�rik Peeters, entretien

vendredi 28 avril 2006
par Iconophage
Quand vous lisez du Fred Peeters, vous imaginez un auteur d’un �ge certain � l’existence lourde d’exp�riences, un auteur � la s�r�nit� "s�rieuse".
Mais quand vous rencontrez Fred Peeters, vous vous retrouvez en face d’un adolescent trentenaire parlant simplement de son m�tier, avec ce regard propre � tous ses personnages : �tonn� d’�tre l’objet d’une quelconque sollicitude.

ENTRETIEN réalisé par Montag pour Iconophage [1] dans le cadre des treizi�mes rencontres de la bande dessinée de Bastia, le 1er avril 2006.

Vous vivez � Gen�ve et avez particip� � la fondation de la maison d’�dition Atrabile o� est sorti le livre qui vous a r�v�l� au grand public, Les Pilules Bleues [2], et o� vous cl�turez aujourd’hui la s�rie Lupus [3]. Comment est n�e Atrabile ? Est-ce le produit d’une r�flexion vis-�-vis des grosses maisons d’�dition ? Peut-on rapprocher votre d�marche de celle d’autres �diteurs tels que l’Association, Ego comme X, Six pieds sous terre, etc ?
C’�tait beaucoup moins construit que par exemple pour l’Association. Ils avaient eux une d�marche tr�s concert�e, tr�s pr�m�dit�e car ils n’arrivaient pas � se faire publier ailleurs. Je n’ai jamais essuy� de refus parce que depuis qu’on a 18 ans on a commenc� � couper nos fanzines au massicot, � les agrafer, � faire plein d’exp�riences foireuses... Et de fil en aiguille, on a fait des livres de moins en moins agraf�s, de mieux en mieux coup�s, jusqu’� ce qu’un jour cela commence � se vendre. C’est presque un hasard. Au d�part, on �tait 5 ou 6 et tout le monde faisait tout, et puis les r�les se sont petit � petit r�partis en fonction du rendement et des capacit�s de chacun. Il y en a qui se sont concentr�s sur l’�dition, d’autres sur le sc�nario ou le dessin. Aujourd’hui une personne et demie s’occupe d’Atrabile : l’un est aussi libraire � Gen�ve et l’autre se charge plus sp�cifiquement de l’habillage des livres. Ceci dit, on ne se positionne pas par rapport � l’Association ou tout autre maison d’�dition.

Vous participez toutefois du m�me mouvement. Vous faites des livres en noir et blanc, beaucoup d’autofiction...
Tout Atrabile n’est pas de l’autofiction. Les Pilules Bleues n’est pas de l’autofiction mais de l’autobiographie. Lupus, c’est de la science fiction qui tourne autour de personnages. On a tendance � y voir des r�f�rences � ma propre vie mais en fait pas du tout, ou tr�s tr�s peu. Et le N&B c’est � la base une question �conomique. Quand l’Association a commenc�, j’avais 18 ans. Quand j’ai re�u les premiers livres cela ne m’a pas paru r�volutionnaire : �a faisait partie du paysage, d’une logique d’�volution de la BD. Je n’ai pas constat� de rupture. Surtout que quand on �tait adolescent, il y avait un magasin qui faisait �norm�ment d’import de comics am�ricains. Donc tous ces comics qui sont maintenant traduits, les Chris Ware et autres Jaime Hernandez [4], on les a lu en version originale il y a 10 ou 15 ans.

Encore fallait-il conna�tre un libraire qui s’ouvre � ce type d’ouvrages. Etait-ce plus facile � Gen�ve ?
Il y a un quartier o� il y a trois librairies, dont deux tr�s sp�cialis�es, une g�n�rale et l’autre qui se consacre aux comics et aux mangas. En fait les connexions avec les gens d’Atrabile se sont faites parce qu’on allait dans ces magasins. Celui qui s’occupe de tout ce qui est graphique �tait � l’�cole avec moi, et Daniel, qui est vraiment Atrabile [5], est devenu notre ami parce qu’on s’est rencontr� dans ces magasins et qu’on parlait des m�mes trucs.

Pour revenir � votre propre travail et aux Pilules Bleues, vous pr�f�rez parler d’autobiographie que d’autofiction...
Je suis en train de lire le dernier Bret Easton Ellis [6]. C’est de l’autofiction dans le sens o� il s’int�gre en tant que personnage dans des situations qu’il n’a pas v�cues pour cr�er une esp�ce de clash et imaginer ses r�actions, ou alors il grossit jusqu’� la caricature certains aspects de sa vie. Maintenant, si on veut vraiment �tre autobiographique et raconter une p�riode pr�cise de sa vie, on est oblig� de s’adapter au m�dium utilis�. En effet, on ne peut d�cemment pas passer un an � lire un livre qui retracerait une ann�e de mon existence. La vie c’est intangible, il y a des odeurs, la notion de temps, notre perception de la r�alit�. On est donc oblig� de trouver des artifices pour que cela soit lisible. Il y a toujours un arrangement, mais avec le temps, pas avec les faits. De plus, quand on le fait dans l’urgence comme �a a �t� le cas pour moi, il y a toujours involontairement une esp�ce de r�interpr�tation qui fait ressortir des traits de caract�re des personnages que l’on ne contr�le pas. Par exemple, les gens qui ont lu Les Pilules Bleues pensent que je l’ai r�alis� tr�s sinc�rement — et ils ont raison de le penser — et donc ils doivent avoir une certaine perception de qui je suis parce qu’ils m’assimilent au personnage de cette BD. Pourtant je ne suis pas ce personnage parce que je suis plus souvent de mauvaise humeur, plus grossier etc. Mais rien n’est calcul�. J’ai essay� d’�tre honn�te, mais il y a des choses qui inconsciemment apparaissent ou disparaissent.

Vous avez donc abord� l’autobiographie, la science-fiction (Lupus), l’exercice de style (Constellation [7]), et le conte pour enfant (Koma [8]. Vous aimez passer de genre en genre ?
Absolument. Je vais d’ailleurs me lancer dans le polar. Je vais essayer de r�interpr�ter les codes du polar � la fran�aise qui ont �t� d�voy�s par Navarro et toutes les s�ries t�l� de merde. Il y a quelque chose � faire avec le vrai bon polar des ann�es 50, mais adapt� � une situation contemporaine. Ce seront des personnages plus grands que la vie, plus grands que nature. Des vraies histoires de flics sans prises de t�te amoureuses. Quelque chose qui va m’obliger � adapter mon style de dessin.

Il semble que la plupart de vos h�ros d�samorcent la violence et la duret� de la vie en leur opposant une certaine candeur. M�me dans Lupus les h�ros fuient la r�alit� et se construisent une bulle qui les isole du reste de l’univers.
Cela ressemble assez � ma vie ce que vous d�crivez l� ! On revient � l’autofiction ! Je me demande si ce n’est pas le parti pris de s’attacher aux petites choses qui font les relations humaines, finalement. Quand j’�tais adolescent, mes copains disaient que j’avais des filtres roses devant les yeux. Je ne sais pas... Je suis fonci�rement h�doniste, voire cynique souvent. C’est un poncif de dire qu’il faut profiter des moindres petites choses, de venir ici en Corse, de se lever le premier jour o� on est arriv� et de passer une heure � la plage en sachant ce que cela repr�sente. Mais c’est plus simple � faire dans un livre que dans la vraie vie. Tant mieux si mes livres peuvent donner ce go�t-l�.

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[1] Cin�ma et BD tous les lundis de 19h � 20h30 sur RadioActive, 100 FM, aire toulonnaise.

[2] Les Pilules Bleues, Atrabile, col. Flegme, 2001.

[3] Lupus, t.1/2/3/4, Atrabile, col. Bile Blanche, 2003/2004/2005/2006.

[4] Pour plus d’informations sur les oeuvres de Chris Ware et Jaime Hernandez, voir le site de Fantagraphics.

[5] Daniel Pellegrino et Beno�t Chevalier fondent Atrabile en 1996.

[6] Auteur notamment de Les Lois de l’Attraction (1987), American Psycho (1991), Glamorama (1999).

[7] Constellation, l’Association, col. Mimolette, 2002.

[8] Koma, 1/2/3, Les Humano�des Associ�s, 2003/2004/2005.

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