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LETTRE D'INFORMATION |

Albert Algoud, entretien : du sublime dans l’art cr�tin

jeudi 6 mai 2004
par Iconophage
Saltimbanque de m�dia, mercenaire de l’humour, Albert Algoud revient � la bande dessin�e apr�s quelques aventures t�l�visuelles (il fut membre �minent de l’�quipe de rigolos de Nulle part Ailleurs) et radiophoniques (comme animateur de l’�mission culturelle de la tranche 18-19h sur France inter) : il officie depuis 2003 au poste de r�dacteur en chef du mensuel Fluide Glacial.

ENTRETIEN réalisé par MHG dans le cadre des onzièmes rencontres de la bande dessinée de Bastia, le 3 avril 2004.

Y a-t-il une certaine �vidence � devenir r�dac-chef de Fluide Glacial, consid�rant votre parcours ? Est-ce un choix personnel, ou les gens de Fluide sont-ils venus vous chercher ?
Un peu des deux. Il y a quelques mois, quand on m’a demand� si je voulais du poste, cela n’�manait pas des gens de Fluide Glacial mais du directeur g�n�ral de Casterman Louis Delas, et d’autres amis comme Beno�t Peeters. C’est comme �a que �a se passe : par relation, par cooptation. J’ai accept� apr�s avoir r�fl�chi un moment. �a n’�tait pas �vident au d�part, m�me si je me suis toujours int�ress� � la bande dessin�e. J’avais �crit quelques bouquins sur l’œuvre d’Herg�, comme Le petit Haddock illustr� [1], qui ont assez bien march�. Et puis j’ai commenc� � bosser � L’Echo des Savanes quand j’�tais encore prof, c’�tait un tr�s bon journal � l’�poque avec Paringaux comme r�dac-chef, �a l’est un peu moins maintenant � mon avis - en d�pit de la sympathie que j’ai pour eux. Je bossais avec Karl Z�ro, on faisait une rubrique en commun. J’ai aussi travaill� pour d’autres magazines de bande dessin�e... Donc la BD, je m’y suis toujours int�ress� depuis que je suis gosse. En fait, j’avais red�couvert Tintin quand j’�tais prof ; c’est parce qu’il y avait des m�mes totalement incultes au fond de la classe qui lisaient L’Etoile myst�rieuse, je les avais chop�s parce qu’ils n’�coutaient absolument rien de ce que je disais, �videmment ; je leur ai pos� des questions et je me suis aper�u que ces �l�ves, que je pensais ignares et cr�tins - quoique adorables, connaissaient vachement le truc et je me suis dit que des grands auteurs de bande dessin�e ne pouvaient pas �tre tout � fait mauvais. Je me suis repench� l� dessus et c’est comme �a que j’ai red�couvert Tintin sur le tard, en retrouvant des impressions d’enfant. Voil� une parenth�se pour dire mon amour pour la bande dessin�e. Il y avait donc cet int�r�t. Puis je suis devenu gagman � Canal plus ; j’ai �crit des centaines de gags, de sketches pour De Caunes, pour Karl Z�ro et pour moi-m�me. Le burlesque a toujours �t� un de mes centres d’int�r�t.

Dans vos gags, on retrouve une forme d’humour commune � celle de Fluide ; avez-vous �t� impr�gn� par cette lecture, ou est-ce que vous avez fait votre chemin parall�lement ?
Non, c’�tait parall�le. Quand j’�tais m�me j’avais lu bien s�r Spirou, Tintin, et Pilote ensuite, et un petit peu Gotlib. Mais je n’ai pas �t� impr�gn� par l’humour de Fluide - il faut �tre franc. Quand je suis arriv� � ce journal, �a faisait plusieurs ann�es que je ne le lisais pas. J’ai �t� effray� de voir � quel point il �tait vieilli et crisp� sur des attitudes ann�es 80. Il �tait gris�tre, triste comme la mort. Il y avait un c�t� tr�s int�griste de l’humour de la part d’un certain nombre d’auteurs et �a m’a fait un petit peu peur au d�part, parce que je me suis dit que �a n’allait jamais �voluer. Heureusement il y a parmi eux des mecs vachement ouverts qui avaient conscience de ces choses l�, ils avaient conscience qu’il fallait mieux mettre en valeur les talents existants et aller � la d�couverte d’autres talents. Ce qui n’a pas �t� �vident le devient de plus en plus aujourd’hui. Fluide est en plein remue m�ninges, en plein renouveau. Du coup les ventes remontent. Parce que c’est un journal qui a eu une longue heure de gloire et il �tait en train de d�cliner lentement. Il y a avait un c�t� vieux fanzine avec de grands talents - il y a des fanzines g�niaux, mais la mise en page �tait hallucinante. C’�tait s’assurer un lectorat vieillissant et un non renouvellement de l’int�r�t pour Fluide glacial. Il n’y avait aucune couleur alors que la couleur est dans la r�tine de tout le monde, et avoir de la couleur n’emp�che pas le noir et blanc. Il y a aussi d’autres changements � faire d’ordre r�dactionnel, qui sont en train de se mettre en place.

Que pensez-vous de l’�mergence de journaux comme Ferraille illustr� ?
Vous citez un bel exemple. Ferraille est un laboratoire extr�mement inventif avec plein de jeunes talents, des gar�ons et aussi des filles - parce qu’� Fluide �a manque un peu de gonzesses, il faut bien le dire : l� non plus, on ne suit pas l’�volution de la soci�t� et peut-�tre de la cr�ation. Il y a quand m�me aujourd’hui beaucoup plus de filles qui sont pench�es sur leur planche � dessin, et nous devons aussi nous y pencher. Revenons � Ferraille : en art, je me m�fie du mani�risme, de l’intellectualisme. La BD, art populaire, doit �tre particuli�rement lisible. J’ai un avis tr�s enfantin l�-dessus. Il y a des choses tr�s int�ressantes dans Ferraille mais il y en a d’autres... On est entre la bande dessin�e et la peinture qui n’ose pas s’avouer peinture ou beaux-arts, arts graphiques, je ne sais comment dire. La bande dessin�e doit �tre plaisante, se lire vite et raconter des histoires. A d�faut d’histoires, il faut un dessin pleine page qui frappe le lecteur tout de suite. Voil� l’objectif de Fluide : des histoires, �tre populaire dans le bon sens du terme. Des BD exp�rimentales mais pas trop, sinon on risque de se fermer d’un public assez vaste, et le dessin pleine page doit �tre tr�s cr�tin, tr�s dr�le. En humour, c’est ce qui pour moi est subversif. Je pense � des types comme Kamagurka ou un jeune dessinateur qu’on a d�couvert r�cemment, Steve, qui d�veloppent un dessin simple et profond en m�me temps. C’est vachement dur � trouver.

Vous parlez d’art populaire et de cr�tinerie au bon sens du terme, est-ce qu’il y a une esp�ce de filiation entre Fluide, Groland et les Guignols ?
Oui, il y a des points communs. Ce n’est pas un hasard si Moustic figure en couverture et � l’int�rieur du num�ro sp�cial [2]. Canal plus �tait quand m�me un bazar � id�es assez int�ressant et Groland reste une des rares choses inventives, tr�s cr�tine et tr�s dr�le. Il y a des sketches vraiment marrants - ce qui prouve bien qu’une �mission comme Nulle part ailleurs aurait pu durer encore dix ans, tout d�pend comme on renouvelle l’int�rieur. Ce sont des d�cisions humaines � la con qui ont abouti � l’impasse ; � partir du moment o� les gens de la direction artistique ont eu de la merde aux yeux, �a a �t� fini. Groland prouve qu’on peut faire du burlesque en France de tr�s haute tenue, qui vaut largement ce que savent faire les Anglo-saxons. Donc oui, il y a des points communs. Il y a des ponts avec cet humour l� ; �a remonte � Pierre Dac, Francis Blanche... J’ai d�couvert que les Monty Python se faisaient traduire leurs textes : c’�taient des fans de Sign� Furax. Il faut aussi citer un grand auteur d’avant la guerre qui s’appelait Cami, idole de Chaplin compl�tement oubli�e aujourd’hui. Cami est vraiment un g�nie ; on trouve en folio Histoires � lire sous la douche que je recommande vivement : c’est tr�s tr�s dr�le. Les anglais ont le nonsense ; les belges, hollandais et flamands ont une esp�ce d’humour m�chant, absurde, presque m�taphysique, comme Steve ou Kamagurka dont je parlais tout � l’heure ; et puis il y a quelques auteurs fran�ais. Prenez Edika : voil� encore une autre branche, peut-�tre est-ce son origine orientale, le Liban via l’Egypte qui resurgissent l� dessus, c’est presque un humour f�erique dans le tr�s cr�tin et le tr�s brillant.

Une question plus personnelle pour revenir � votre parcours : vous surfez sur les m�dia, radio, t�l�, BD. Est-ce d�lib�r� ou vous laissez-vous porter par les occasions ?
Un jour j’aurai un vrai boulot et je me ferai chier comme un rat (rires). Je me suis fait virer de Canal apr�s douze ans, je me suis fait virer de France inter au bout de trois ans. Il faut donc toujours avoir un truc sur le feu ; un peu de t�l�, un peu de radio, j’�cris � c�t� pour le th��tre et le cin�ma. Si on m’avait dit un jour que je serai r�dac-chef d’un journal je ne l’aurais pas cru. Fluide, c’est tr�s sp�cial ; c’est un clan avec ses rites ; le communautarisme m’�nerve un peu quand c’est du repli sur soi. C’est l� o� je pense que le journal doit �voluer - s’ils m’entendent ils vont me massacrer mais ce n’est pas grave. La majorit� des auteurs ont compris et savent tr�s bien qu’il faut aller � la rencontre des autres, discuter. A Bastia c’est extr�mement sympathique, je ne suis pas avec des « gens de Fluide glacial » : je rencontre des amis dessinateurs de ci de l�. Le cot� clanique me fait un peu braire.

Le r�dac-chef ambitionne l’ouverture ?
Oui, ce n’est pas une bien grande ambition. Je ne sais quelle place peut avoir un journal d’humour comme Fluide, car il s’agit bien d’un journal d’humour et de bandes dessin�es. Je ne sais pas si on peut choper beaucoup de lecteurs en plus, mais je pense qu’on peut quand m�me accro�tre le lectorat, faire d�couvrir le journal � des gens qui ne le lisaient pas du tout et qui diront « quelle bande de cr�tins ! Ils ont trouv� des trucs marrants � faire. » C’est le cas du hors s�rie. Tr�s cr�tin tr�s dr�le. Et �a ne vaut pas le coup de le voler parce qu’il n’est pas trop cher.

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[1] Le petit Haddock illustr�, l’int�grale des jurons du capitaine, Casterman, biblioth�que de Moulinsart 1991.

[2] Fluide Glacial hors-s�rie "la nouvelle t�l�", avril 2004.

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  • Tintin : la dictature des ayants droit 27 juin 2006, par (1 r�ponse)


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