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Toulon, les ann�es de plomb
LE DOSSIER ALBERT LÉVY (1/2)
vendredi 20 février 2004
par Gilles Suchey
Le substitut Albert L�vy, en charge du grand banditisme au Palais de justice de Toulon entre 1991 et 1999, est depuis cinq ans l’objet de poursuites judiciaires.
Initialement, on l’accuse d’avoir remis un proc�s-verbal d’audition � un journaliste. Ce dernier avait utilis� le document, qui mettait en cause le Front national dans la gestion des cantines scolaires de la ville, pour r�diger un article publi� dans le magazine VSD en 1998.
Le proc�s d’Albert L�vy se tiendra les 18 et 19 mars 2004 � Paris, et Jean-Marie Le Pen s’est constitu� partie civile.
Afin de comprendre ce que l’on reproche vraiment au magistrat (l’affrontement avec le FN n’est qu’un aspect du probl�me), et avant de d�tailler ses d�boires personnels, il nous semble important d’�voquer l’origine des victoires lep�nistes et le contexte politico-judiciaire de l’�poque.

1994-2001, l’�re du plomb : celui dont on fait les chapes et les balles. La p�riode d�bute avec l’assassinat d’une parlementaire du Var et s’ach�vera sur l’�lection d’un maire de Toulon r�put� sans histoires, futur secr�taire d’Etat aux vieux gr�ements. D�confiture du Parti R�publicain, puis triomphe de l’UMP.

PORT militaire oblige, Toulon a travers� l’Histoire salement, � coups de sabordage de la flotte et de bombardements subis. Aux oreilles estrang�res, le nom de la ville �voque traditionnellement plus le bagne et les sous-marins nucl�aires que la prosp�rit� et le d�veloppement culturel.
Jamais pourtant la pr�fecture du Var n’avait v�cu des mois aussi plombants que ceux-l�, quand les h�tels du "laboratoire" devinrent une r�sidence privil�gi�e pour les journalistes de la presse nationale en mal d’investigation.

R�sum� subjectif de l’histoire toulonnaise

Au commencement �tait le gaullisme.
Maurice Arreckx prend les r�nes de Toulon en 1959, sous l’�tiquette UNR [1]. Mais plus de 40000 rapatri�s d’Afrique du Nord s’installeront bient�t dans le secteur : il faudra s’adapter pour conserver le pouvoir. Arreckx s’�loigne donc du G�n�ral, consid�r� comme un tra�tre par la communaut� pied-noire, et apprend � caresser ses nouveaux amis dans le sens du poil [2]. Sa position politique affirm�e, il marque son attachement au milieu socio-�conomique. Au cours des ann�es soixante-dix, le ca�d Jean-Louis Fargette devient son familier et bient�t, l’homme politique s’autoproclamera "parrain du Var". Ici, la droite non chiraquienne r�gne sans partage. Les gaullistes tenteront plusieurs fois de contester cette supr�matie, � commencer par le jeune RPR Aymeric Simon-Lori�re, adversaire d’Arreckx aux �lections municipales de 1977, mais ils s’y casseront les dents [3].
S�nateur et nouveau pr�sident du Conseil g�n�ral du Var, Arreckx a d�sign� son successeur en mairie de Toulon. Ex-premier adjoint, Fran�ois Trucy le remplace en 1985. Il continue l’oeuvre politique de son mentor (pour l’essentiel, des initiatives architecturales plongeant la ville dans un gouffre financier toujours plus grand). Conscient de certaines limites � ne pas d�passer, le nouvel �dile �vite Fargette... mais sait aussi cultiver le ressentiment anti-maghr�bin sur lequel, d�cid�ment, se b�tissent les carri�res politiques [4].
A la fin des ann�es quatre-vingt, le ciel s’obscurcit pour l’UDF. Les exc�s d’Arreckx alimentent depuis longtemps les discussions du caf� du commerce, et Trucy doit se battre contre des accusations relevant du faits-divers. Economiquement, la situation est catastrophique. La corruption pourrit les �changes commerciaux et gangr�ne l’Institution. Premier employeur de la ville, l’Arsenal militaire est exsangue, l’Etat fermant progressivement les robinets qui le maintenaient artificiellement en vie. Les entreprises sous-traitantes sont les premi�res � en subir les cons�quences. Ch�meur est ici plus qu’ailleurs un m�tier d’avenir.
On ne s’�tonnera gu�re si les toulonnais pr�tent une oreille de plus en plus attentive � ces gens qui, arpentant les march�s depuis une quinzaine d’ann�es, crient haut et fort leur aversion du monde politique classique et leur amour de Jean-Marie Le Pen. Car Jean-Marie a tout pour plaire. Il n’aime pas l’immigration, comme il se doit. Il d�fend la morale, et s�duit la Marine Nationale exasp�r�e par les affaires. Son discours s�curitaire rassure les personnes �g�es. Comme partout, il voudrait rassembler les aigris, les d�sesp�r�s, les oubli�s de la vie active, et Toulon n’en manque pas.
La mort de Yann Piat en 1994, d�put�e UDF assassin�e pr�s de sa demeure hy�roise, pr�cipite la fin du "syst�me" Arreckx et la chute de la maison UDF. Yann Piat, transfuge du FN, avait quitt� le parti extr�miste pour "vivre politiquement", tout en se constituant une image de chevalier blanc en lutte contre la corruption, le trafic de drogue et l’urbanisme sauvage.
En ao�t 1994, Arreckx est incarc�r� aux Baumettes � Marseille. Il est mis en examen pour "corruption active", "recel d’abus de confiance" et "recel d’abus de biens sociaux".
Son dauphin Hubert Falco lui succ�de � la t�te du Conseil g�n�ral et un an plus tard, le frontiste Jean-Marie Le Chevallier boute Trucy hors de l’H�tel de ville. Toulon �tait d�j� pauvre d’un point de vue �conomique, social et culturel. Les choses ne vont pas s’arranger. Pendant six ans (1995-2001), la chape extr�miste engluera la cit�.
En 1995, pour plomber d�finitivement une ambiance d�j� bien charg�e, le ministre de l’Int�rieur Charles Pasqua nomme un certain Jean-Charles Marchiani en pr�fecture du Var. Il y restera jusqu’en 1997. Gr�ce � lui, Pasqua compte bien enfoncer l’UDF et Fran�ois L�otard, qui, entra�n� dans la tourmente, peine � garder la t�te hors de l’eau [5]. Le but est toujours le m�me : faire en sorte que le RPR r�cup�re le d�partement (Pasqua reste pour l’instant fid�le � Chirac ; il n’inventera le RPF qu’un peu plus tard). A cette fin, Marchiani marquera son soutien quasi-syst�matique � la politique de l’�quipe Le Chevallier. Il s’opposera en particulier � L�otard sur le dossier du centre culturel Ch�teauvallon [6].
Et pendant ce temps, les toulonnais assistent � l’an�antissement de la bande du truand Fargette, lui m�me descendu en Italie en 1993. La mortalit� li�e au crime organis� atteint des proportions que l’on qualifiera de napolitaines. Un clan chasse l’autre. Du truand retrouv� carbonis� dans le coffre de sa voiture � Hy�res, au malfrat abattu en plein jour � Toulon, les r�glements de compte se multiplient. Du plomb, toujours du plomb.

Un palais de justice expos�

A en croire les plus �minents repr�sentants du Tribunal, la justice toulonnaise n’aurait souffert durant les derni�res ann�es du si�cle que d’un seul mal, relatif � la publicit� donn�e aux affaires "par les faiseurs d’opinion" (termes choisis par le pr�sident du tribunal de l’�poque, Robert Cordas).
Le drapeau FN flotte sur l’H�tel de ville, mais une avocate d�clare : "de toute fa�on, la situation toulonnaise rel�ve largement du fantasme". Et dans la mesure o� les extr�mistes ont �t� �lus dans le respect de la loi, il n’y a pas de probl�me. "Le FN � Toulon, c’est pas la peste brune" [7]. Voil� pour les conformistes.
Il y a aussi les z�l�s, ceux qui sont plut�t satisfaits de l’�lection de Jean-Marie Le Chevallier. Comme ce juge, soup�onn� "d’avoir communiqu� au FN, lors de la campagne municipale [de 1995], les proc�s verbaux d’audition d’un mineur mettant en cause l’ancien maire UDF-PR de la ville" [7]. Et cet autre magistrat, qui condamne avec d�lectation les MCs de NTM venus pousser leur flow dans un concert anti-Front organis� � la Seyne sur mer, coupables de propos injurieux � l’encontre de la police. Il est notable que la justice toulonnaise n’oublie jamais la r�pression. Surtout quand il s’agit de ch�tier les voleurs de poules.
"Durant les huit ann�es [1991/1999], un grand nombre d’affaires � connotation mafieuse ou politico-mafieuse se sont d�roul�es dans la r�gion. Peu d’entre elles ont trouv� des solutions judiciaires et aucune, en tout cas, n’est all�e au-del� de la mise en cause de simples lampistes. C’est l’ensemble du fonctionnement judiciaire et policier de la r�gion qu’il convient d’interroger" [8].
Bien s�r, des affaires �clatent, allant jusqu’� impliquer des notables. Mais beaucoup d’attentats mafieux restent non �lucid�s, et les dossiers politiques sont souvent torpill�s. D�ficits d’enqu�te et proc�dures approximatives. Exemple : en mars 1994, dans le cadre de l’enqu�te sur la mort de Yann Piat, un ancien directeur des services techniques de la ville de Toulon est auditionn� au cours d’une garde � vue. Alors, il d�balle : "...les d�tournements de fonds concernant la maison des technologies de Toulon, ceux concernant la construction du tunnel sous la ville, ceux des convois humanitaires, les trafics d’orphelins en provenance des pays d’Europe de l’est, les malversations concernant l’�dification du nouveau conseil g�n�ral [...] Moins de deux heures apr�s, la garde � vue est lev�e sur ordre du parquet de Toulon avant que les proc�s verbaux n’aient �t� achev�s et sign�s [...] Ne sortira, des suites de cet �pisode, que l’affaire de la maison des technologies qui verra la chute du seul Maurice Arreckx" [8].
Pour de nombreux observateurs, le traitement de l’affaire Piat est embl�matique. Plusieurs journalistes trop curieux redoutaient la chape judiciaire, ils feront les frais de leurs investigations contradictoires : punis pour diffamation et conclusions non conformes. La mort de la d�put�e sera finalement sold�e par la condamnation de petits malfrats hy�rois, renvoyant au rang de faits-divers une affaire qu’on �vitera ainsi de qualifier d’Etat.

Les ann�es de plomb

Ajoutons aux chapes d�j� �voqu�es celle coul�e sur les malversations li�es au fonctionnement de l’Arsenal militaire, jadis point nodal de toute l’activit� �conomique toulonnaise. La grande Muette n’a pu �viter quelques fuites, des proc�s au long cours et l’indignation collective. Mais elle s’est toujours employ�e � ce que le silence revienne. Ce qui est logique, dans la mesure o� on ne l’appelle pas la grande Bavarde.

Que les trois maires �lus par les toulonnais depuis 1959 aient �t� pendant ces ann�es de plomb r�guli�rement convoqu�s au Palais de justice t�moigne d’une ambiance particuli�rement d�l�t�re. Maurice Arreckx a achev� sa carri�re derri�re les barreaux. Fran�ois Trucy a finalement �t� blanchi des accusations port�es dans un registre tr�s �loign� de la politique. Jean-Marie Le Chevallier est devenu, rapidement apr�s son �lection, un habitu� du tribunal. Il faut dire que le mandat FN avait commenc� tr�s fort, avec la mort violente en ao�t 95 de l’adjoint Jean-Claude Poulet-Dachary. Plus tard, dans d’autres dossiers, la pr�sence de Leuch � la barre a d�pass� le cadre du simple t�moignage.

Pendant cette p�riode, la plupart des toulonnais disposant d’un boulot se sont appliqu�s � exercer normalement leur activit� professionnelle.
Pour certains, ce fut plus difficile que d’autres. Notamment pour ceux qui durent se retrousser les manches et plonger les bras dans la fange.
D�s le d�part, le substitut Albert L�vy souffrait d’un double handicap : 1) Il s’occupait de grand banditisme. 2) C’est un homme de gauche.

(A suivre)

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[1] Union pour la Nouvelle R�publique, anc�tre du RPR

[2] "Le racisme n’a rien � voir avec la politique, on l’a dans les tripes. D’ailleurs, les arabes sont diff�rents de nous. Ils aiment habiter comme ils habitent. Ils veulent vivre � sept ou huit par chambre. Et ont d’autres habitudes. Allez voir place du th��tre, l� une fran�aise ne peut s’y asseoir deux minutes sans que trois arabes arrivent et se mettent � brandir ce qu’ils ont dans le pantalon." Maurice Arreckx dans un journal su�dois, 1976.

[3] En l’occurrence, d�pit� par son �chec mais tr�s adroit, Simon-Lori�re se suicidera peu apr�s d’une balle dans la t�te et d’une autre dans le thorax.

[4] "Il y a en ce moment une race qui en chasse une autre, c’est comme les fourmis rouges d’Argentine, qui ont chass� les fourmis noires de Provence. Je suis simplement pour le retour des toulonnais dans Toulon". Fran�ois Trucy dans Le Monde, 1986.

[5] L�otard est alors ministre de la D�fense et maire de Fr�jus. Les actions judiciaires � suivre entra�neront la fin de sa carri�re politique. Un dernier proc�s, concernant le financement occulte du Parti R�publicain, s’est conclu par sa condamnation � 10 mois de prison avec sursis (16 f�vrier 2004).

[6] Tout �a pour quoi ? La fin de l’histoire n’est pas conforme � ce qui �tait pr�vu. Le RPR et l’ancien UDF ont explos� au profit de l’UMP. Pasqua et Marchiani ont abandonn� le paysage politique et leurs aventures se poursuivent au gr� des d�p�ches AFP : en janvier 2004, l’ex-pr�fet �tait mis en examen pour "recel d’abus de biens sociaux" dans le cadre de l’enqu�te sur des commissions vers�es par Elf en lien avec son implantation au Nig�ria.

[7] In Toulon, une justice sous influence, Le Monde, 17 avril 1997.

[8] In Justice n°159, organe du Syndicat de la Magistrature, mars 1999.

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