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Evasion macabre

lundi 27 juin 2005
par areuh

Le 6 mai 2005, monsieur B. M. était inculpé et incarcéré au motif de violences conjugales. Père de famille âgé de 38 ans, récidiviste, il connaissait déjà la prison. On l’a dirigé vers le Centre de Détention de La Farlède et placé seul dans une cellule du "quartiers des arrivants".
Le lendemain, dans l’après-midi, il se donnait la mort en se pendant à une patère de la cellule.

NOTIONS utiles à l’heure de Sarko 2, "le Grand Nettoyeur " [1].
Il faut être conscient que la vie d’un individu peut basculer dans une autre dimension et ce, en quelques secondes ; à la suite d’un instant de folie où, poussés à bout, certains explosent. D’autres boivent avant de conduire, ne versent pas la pension due, ne marchent pas droit. Tous ces chemins et encore bien d’autres mènent en prison. Vous n’y accédez qu’après avoir reçu quelques rudes rudiments du fonctionnement de la police ou de la gendarmerie lors de la garde-à-vue, et taillé une bavette avec le Juge d’Instruction.
Les policiers ou Gendarmes qui vous ont arrêté vous livrent au Greffe de la Prison. Ils ont fini leur boulot, ils rentrent chez eux et vous dans votre nouvelle résidence. Jadis les prisons étaient construites en centre ville, ça faisait réfléchir les gueux et facilitait les visites aux parloirs. Actuellement, vu le prix du mètre carré, on préfère les planquer en banlieue (histoire de ne pas trop dépayser les pensionnaires ?). Là, on vous fouille à nu, on récolte vos empreintes génétiques et digitales, on vous sépare de vos numéraires, bijoux, montres... qui vous seront restitués lors de votre libération. Enfin, on vous place dans une cellule du "quartier arrivants" (ou "entrants"). Vous allez y séjourner un temps avant d’être dirigé vers une cellule définitive choisie en fonction des places libres et, théoriquement, de votre profil (exemple outré : ne pas mettre un tendre jeunot avec des barbares ! [2]).
En général, le détenu ne reste qu’une journée dans ce quartier, sauf s’il est incarcéré un vendredi après-midi. Dans ce cas, il va y demeurer jusqu’à lundi. Deux jours et trois nuits, durant lesquels il va se retrouver seul face aux angoisses que l’on peut ressentir dans ce lieu hors de vie. Du genre : culpabilité, remords, détresse. Monsieur B. M. devait penser en boucle à ses enfants, à son épouse, au soleil, à sa vie, à la prison où il avait déjà séjourné. Les principes de dissuasion et de réinsertion par l’emprisonnement sont pour le moins faillibles...

Ce suicide était-il prévisible ?
Dans le rapport de Jean-Louis Terra (Décembre 2003) sur la prévention du suicide des personnes détenues, il est écrit que la pendaison est surreprésentée comme "moyen de passer à l’acte" : 92,7% des suicides en prison. On apprend que le samedi est le jour ou l’on se suicide le plus. Que dans la journée, les tentatives ont surtout lieu entre 15h et 18h, puis entre 21h et 24h. Que 14,5% des suicidaires commettent leur geste désespéré au cours de la première semaine d’incarcération, et que plus du tiers des suicides ont lieu au cours du premier mois.
L’agression envers un proche est facteur de précocité du suicide. Selon les données du rapport Terra, 11,2% des suicidés, préalablement incarcérés pour un forfait "familial", avaient tenté de mettre fin à leurs jours juste après l’acte incriminé. Ce chiffre descend à 0,7% quand l’acte n’implique que des tierces personnes. Le fait d’avoir une famille, un conjoint ou des enfants (cela concerne notamment les pères de 3 enfants ou plus) est un facteur de risque supplémentaire au moment de l’écrou.
Monsieur M. B n’ayant pas fait de tentative lors de ses précédentes incarcérations, le service médical où il a dû être présenté samedi matin n’a probablement pas décelé d’élément laissant craindre son futur geste. Comment peut-on, sans l’aide d’un psy, déterminer les "chances" qu’un individu a de mettre un terme à son existence ? Espérons que l’enquête sur les circonstances de cet acte répondra à ces interrogations.

Un petit mot sur la psychiatrie en prison.
Le suivi est forcément limité, par le mouvement des détenus — certains sont transférés plusieurs fois durant leur peine —, et aussi par le peu de moyens investis dans ce secteur. Il en résulte un manque de création de postes, le tout étant couronné par une crise des vocations.
Les chiffres sur le nombre de détenus souffrant de troubles psychiatriques sont plus qu’effrayants. Les cas de schizophrénie, paranoïa et psychose hallucinatoire représentent 14% de la population pénale. Environ 50% de celle-ci souffre de pathologies moins graves mais préoccupantes ; faute de moyens, les psychotropes sont prescrits à tour de bras. Sachant que nos prisons hébergent environ 60.000 détenus, le chiffre de 20% de détenus souffrant de troubles graves — très mal soignés dans cet environnement peu propice — correspond à des milliers de personnes un jour relâchées sans avoir reçus de soins appropriés ; au contraire, leur état ayant empiré, ils serviront de prétexte à des campagnes sécuritaires sur la récidive.

Triste anniversaire pour le Centre de Détention de Toulon-La Farlède.
Depuis son ouverture en juin 2004, trois détenus se sont suicidés [3], un quatrième a été sauvé in extremis par le personnel. Traumatisant pour les co-détenus et les familles présentes sur les lieux lors des séances de parloir et qui assistent atterrées à la sortie du corbillard. « Pour les surveillants pénitentiaires, la découverte d’un mort par suicide est un événement traumatisant, mais aussi le renvoie à un sentiment de responsabilité de surveillance, un sentiment de culpabilité, ce d’autant qu’il a pu ressentir vis à vis du détenu des sentiments de rejet ou de haine des actes commis... » (Rapport Terra).

Pour détendre l’atmosphère...
Nous vous avions relaté dans l’article Crise du foncier pénitentiaire en terre varoise comment une cinquantaine de détenus en régime non amélioré avaient rejoint la vieille maison St Roch. Finalement, il semble que l’administration Pénitentiaire ait décidé de reporter à plus tard cette expérience (qui aura duré un mois !), au motif qu’il est impossible d’assurer un service médical adéquat. Seuls resteront sur place les prisonniers bénéficiant d’une semi-liberté. Les autres grossissent les effectifs de la Farlède, déjà en surcharge. Un détenu a confié avoir vu des surveillants cherchant des matelas dans les cellules du Centre de Détention pour en équiper, à même le sol, certaines de la Maison d’Arrêt.

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[1] Cet homme est-il sponsorisé par le fabricant Kärcher® ? Clando ou pas, la pub ?

[2] C’est pourtant ce qui s’est produit à la Maison d’Arrêt de Saintes (Charente-Maritime), où 4 détenus ont été mis en examen, accusés d’avoir perpétré (durant deux jours, 20 & 21 avril) des actes de torture et de barbarie sur un jeune adulte d’une vingtaine d’années qui partageait leur cellule. Brûlures de cigarettes, moutarde sur les plaies, assis durant des heures sur un radiateur...

[3] Le premier, le 12 novembre 04. Mr S., 21 ans, s’est pendu au "quartier des arrivants". Le second, Mr M.A., 42 ans, a ingéré des médicaments dans sa cellule. Le dernier est évoqué ici.

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  • Evasion macabre 16 novembre 2008, par
  • Evasion macabre 5 mai 2007, par
  • Evasion macabre 27 avril 2007
  • Evasion ... 27 mai 2006, par (14 r?ponses)
  • > Evasion macabre 28 juin 2005, par


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