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LETTRE D'INFORMATION |

De la justice fiscale, et de la chaîne du Livre dans cette galère

La discipline budgétaire pour les mal-comprenants
mardi 6 décembre 2011
par Gilles Suchey

Tout le monde ne sait pas forcément que l’achat d’un livre est assujetti à une TVA de 5,5%. Un taux réduit qui se verra relevé de 1,5 point le premier janvier prochain si les décisions gouvernementales vont à leur terme. Contrairement à ce qu’affirme le ministère de l’Économie, ce relèvement n’aura aucune incidence bénéfique sur les finances de la nation, son seul effet étant de fragiliser un secteur culturel qui n’en demandait pas tant. Pour s’en convaincre, on lira d’abord un résumé des épisodes fiscaux précédents. Allez courage, c’est parti.

ON ne saurait reprocher à Nicolas Sarkozy d’avoir trop attendu avant de se préoccuper des comptes de l’État.
Un communiqué du ministère des Finances donnait le cap dès septembre 2007 : « Christine Lagarde et Eric Woerth maintiennent l’objectif de réduction de la dette publique en 2008 ».

Cependant, quelques semaines avant ce communiqué et l’introduction des débats sur le budget, le parlement avait adopté [1] la fameuse « Loi en faveur du Travail, de l’Emploi et du Pouvoir d’Achat », dite TEPA, dite paquet fiscal, dont le premier effet ne pouvait être que de réduire les recettes de l’État. But de cette Loi, en tous points conforme à la stratégie du candidat Sarkozy qui avait annoncé, dans son programme présidentiel, « je n’augmenterai pas les impôts mais au contraire ferai tout pour les baisser » : dynamiser la « confiance », la croissance économique et l’emploi. La ministre de l’Économie Christine Lagarde estimait alors que le paquet fiscal coûterait chaque année 13,7 milliards d’euros à la France. À titre de comparaison, l’impôt sur le revenu en rapporte 45 [2] : l’impact du paquet fiscal n’est pas marginal.

Depuis, à cause de (grâce à ?) la crise, Sarkozy et Fillon ont dû se résoudre à retoucher leur Loi, car aucune croissance n’est venue combler le manque à gagner. Pour autant, la défiscalisation des heures supplémentaires — composante essentielle du système — coûte encore 4,5 milliards d’euros à la France en 2011 selon le rapporteur général de la Commission des affaires sociales du Sénat (Yves Daudigny, socialiste). Cette évaluation n’est pas contestée par la nouvelle ministre de l’Économie Valérie Pécresse. L’argumentation gouvernementale est d’ailleurs à la peine, d’autant que le doute s’est progressivement installé au sein de la majorité quant à l’efficacité du dispositif. Des ténors de l’UMP ont œuvré pour la révision, à tout le moins partielle, du paquet fiscal.

Celui-ci était déjà opérationnel quand le gouvernement a supprimé la taxe professionnelle, un impôt ciblant les entreprises au bénéfice des collectivités locales. Cette taxe est remplacée par la Contribution Économique Territoriale, insuffisante pour neutraliser la disparition de la précédente. Alors l’État verse aux territoires des sommes censées compenser ce qu’ils n’obtiennent plus du privé. Initialement, le ministère de l’Économie tablait sur 4,7 ou 4,8 milliards de coût annuel en régime de croisière, mais le Rapporteur général Gilles Carrez (UMP), à l’occasion de la préparation du budget 2011, a déclaré que la facture avait doublé. La Cour des comptes elle-même n’y retrouve pas ses petits. Laissons les experts s’affronter, l’essentiel étant d’admettre ici que l’initiative se chiffre une fois de plus en milliards d’euros.

Enfin, le gouvernement a imposé à l’été 2009 la réduction du taux de TVA dans la restauration. Selon la Cour des Comptes, ce passage de 19,6 à 5,5% coûte à l’État très cher, 3 milliards par an, tout en ayant un impact limité sur l’emploi. Bon d’accord, le secrétaire d’État au commerce Hervé Novelli admet plus facilement la somme de deux milliards et n’est pas du tout d’accord quant à l’(in)efficacité de la mesure. Mais la discipline budgétaire aura quand même eu raison de la détermination gouvernementale : en janvier 2012, le taux de TVA dans la restauration sera relevé à 7%. Conséquence : le patronat estime que ses engagements de 2009 sur l’emploi, la formation et les tarifs à la consommation sont caduques.

Bref, sans aller plus loin dans la liste [3] et en admettant les chiffres admis par le gouvernement, on conviendra que les principaux aménagements fiscaux du mandat Sarkozy ont grévé le budget de l’État de plusieurs dizaines de milliards d’euros depuis 2007 : soit par des recettes en moins, soit par des charges supplémentaires. Et c’est par l’emprunt que ces choses là se règlent. Le 27 juillet dernier, Le Monde publiait une édifiante infographie concernant l’évolution du déficit public sur 20 ans (réalisée à partir d’études de l’INSEE) :

« À la fin du deuxième trimestre 2011, la dette publique s’établit à 1.692,7 milliards d’euros », dit l’INSEE. Il y a tellement de chiffres dans ce nombre qu’on a du mal à percevoir si c’est un problème ou pas. Ce qui suit est peut-être plus explicite : en 2012, "la charge de la dette", c’est-à dire les intérêts que l’État devra régler à ses créanciers indépendamment du remboursement de la somme empruntée, s’élèvera, selon la Commission des finances du Sénat, à 48,8 milliards d’euros. Plus que ce que rapporte l’impôt sur le revenu !

En observant le graphique du Monde/INSEE, on constate que les initiatives fiscales des gouvernements Fillon n’ont pas vraiment favorisé la modération du déficit public depuis 2007. Quant à l’efficacité des dispositifs sur la confiance, sur l’emploi et sur le prix du café au comptoir du bistrot, nous laissons à chacun le soin de tirer les conclusions qu’il a envie de tirer.

Et le Livre, dans tout ça ?

Parlons de niche fiscale. Dans la chaîne du Livre, la TVA se règle à taux réduit. Cela concerne les deux maillons les plus extrêmes de la chaîne. L’acheteur, lecteur particulier ou médiathèque, qui profite de la TVA à 5,5% depuis 1989 [4]. Et puis l’auteur, dont les droits sont assujettis au taux réduit sauf exonération [5].

Le taux réduit contribue à l’équilibre d’un écosystème que tout le monde s’accorde à trouver très fragile. On se souvient du vibrant plaidoyer du ministre de la culture Frédéric Mitterrand en faveur des librairies indépendantes, exprimé à l’occasion des Rencontres nationales de la Librairie en mai dernier.

Dans les 356 pages de son rapport sur les dépenses fiscales et les niches sociales daté de juin 2011, l’Inspection Générale des Finances ne cite même pas la situation "privilégiée" du Livre. Un peu comme s’il n’existait pas, comme si on s’en foutait. Précisons que le rôle de ce document est d’évaluer l’efficacité des dispositifs fiscaux en pointant ceux qui ne servent à rien. Un outil commandé et prévu pour mâcher le travail des cabinets ministériels, qui élaborent ensuite une Loi de finances juste et équitable.

Pourtant, quand le gouvernement a dévoilé son plan de rigueur qui verra le taux de TVA réduit relevé à 7% dans un certain nombre de domaines mais pas tous, il n’a pas épargné les acteurs du Livre.

Tout ça pour un gain estimé par Pécresse à 80 millions d’euros annuels, à une soixantaine de millions selon le Syndicat National de l’Édition.

Calculs rigolos

60 millions, c’est 1,33% de ce que coûte la défiscalisation des heures supplémentaires en 2011 (voir plus haut).

60 millions, c’est 0,32% des 18,6 milliards du Plan d’équilibre des finances publiques (celui que les intimes nomment deuxième plan de rigueur) dans lequel s’inscrit la hausse de la TVA réduite.

60 millions, c’est 0,12% de la charge annuelle de la dette [6].

Autrement dit : 60 millions c’est bagatelle, gnognotte et fifrelin.

Devant le Parlement, la ministre de l’Économie justifie sa décision : « le taux réduit fixé à 7 % s’applique à tous les biens culturels ; je ne vois pas pourquoi on devrait faire une différence pour le livre » [7].

Les professionnels du Livre ne s’attendaient pas à une telle brutalité (certains osent le terme connerie). Frédéric Mitterrand n’en revient pas non plus. Toute concentrée sur sa petite calculette à faire des petits calculs de petits bouts de ficelle, souhaitant impliquer le maximum de secteurs pour ne pas stigmatiser la restauration et le BTP, ses véritables cibles, Valérie Pécresse n’a pas eu le temps de réfléchir. Pour ne citer qu’un aspect collatéral affectant les librairies : si la TVA augmente à compter du premier janvier, il faudra que les libraires passent leur réveillon de la Saint Sylvestre à calculer les nouveaux prix et ré-étiqueter les ouvrages qui constituent leur fonds, à moins de vouloir assumer eux-mêmes le surplus de taxe, c’est à dire plomber une marge qui fait déjà rire les autres commerçants. Car « dans la "chaîne du livre", on relève peu de grandes marges bénéficiaires ; la faiblesse relative des marges de chacun est la contrepartie d’un paysage éditorial riche et varié », comme l’explique une vieille note émanant du Ministère de la culture. Pensée émue en cet instant, spéciale dédicace aux salariés de Gibert, enseigne parisienne comptant plusieurs centaines de milliers de livres en stock. Qu’on se rassure, Pécresse a depuis lancé une mission d’accompagnement chargée de trouver une solution au problème qu’elle a engendré ex-nihilo.

Le Syndicat National des Libraires a clairement exprimé ses inquiétudes : « si les libraires devaient absorber sur leur marge la hausse de la TVA - ce qui est un risque très réel sur les millions de livres qu’ils ont en stock -, cela reviendrait à diminuer la valeur de leur stock de 1,5 % et à faire passer leur bénéfice de 0,3 % du CA en moyenne à - 0,2 % ! Une majorité des librairies se retrouveraient ainsi en perte et menacées de fermeture ». Le Syndicat des Distributeurs de Loisirs Culturels (qui regroupe les grandes surfaces culturelles) n’en pense pas moins.

Du côté des éditeurs, comme on se sent moins concerné, on avance en ordre dispersé. Certains, comme l’École des Loisirs, ont déjà entériné une évolution des tarifs alors que la décision n’a même pas été débattue au Sénat. Car il n’y a pas de combat plus ennuyeux que celui qu’on se fiche pas mal de mener.

Et du côté des auteurs, ça hurle dans le vide. On s’en fout complètement, des auteurs. Nicolas Sarkozy, François Fillon, Valérie Pécresse et nombre de leurs amis sont bien placés pour le savoir : celui qui compte n’est pas l’auteur du livre, mais celui qui le signe.

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P.S.

Les taux de TVA en 2012

On en comptera un de plus par rapport à l’année précédente. Attention à l’interprétation du discours officiel : la TVA a 5,5% n’a pas été intégralement "relevée" puisqu’elle existe encore, le taux à 7% n’est qu’une strate supplémentaire. À notre connaissance, ni Fillon ni Pécresse n’ont évoqué la réinstallation du taux majoré qui existait avant 1995 (jusqu’à 33,3%), à destination des produits de luxe.

- TVA normale : 19,6. Exemple, le disque.
- TVA réduite : 7. Exemple, le livre.
- TVA super réduite : 5,5. Exemple, les pâtes.
- TVA méga réduite : 2,1. Exemple, le Figaro magazine.

[1] Premier août 2007.

[2] Estimation 2009.

[3] On pourrait ajouter "l’amendement Scellier" qui a permis d’associer investissement immobilier et réduction d’impôt.

[4] Façon de parler : il la paye, évidemment.

[5] Plus de détails sur le site de l’ARL Paca.

[6] Encore une fois : la charge de la dette ne concerne que les intérêts de l’emprunt, pas le principal de l’emprunt. La charge de la dette n’est qu’une partie du service de la dette, la somme totale de ce que la France rembourse chaque année à ses créanciers.

[7] Lire sur le site de l’Assemblée nationale l’intégralité des échanges du 30 novembre dernier.

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