Cuverville
M�dia
Article mis en ligne le le 6 /05 /2010
Ins�curit� � l’�cole : du fait divers au fait social
et inversement

Depuis le d�but de l’ann�e, les �tablissements scolaires connaissent de plus en plus d’arr�ts de travail collectifs cons�cutifs � des actes de violence. Enseignants et parents d’�l�ves haussent le ton contre des situations qu’ils ne supportent plus. Mais qualifier l’agression d’un �l�ve ou d’un professeur rel�ve-t-il de la rubrique fait divers ou de la rubrique soci�t� ?

Le coll�ge Pierre-Puget, lecteurs assidus de Cuverville, vous connaissez. C’est cet �tablissement d’enseignement secondaire situ� � la fois dans un cercle d’urgence nucl�aire, dans l’axe de rupture d’un barrage et le delta d’un cours d�tourn� (le Las pour les intimes). Ce charmant coll�ge est bord� par une autoroute, elle-m�me aliment�e par une sortie de tunnel ; il est surplomb� d’une passerelle d’acc�s � cette m�me autoroute. Pour mieux l’ins�rer dans ce cadre idyllique, ses concepteurs l’ont color� de noir et de gris, sans compter les couleurs vives en lignes et pointill�s d�limitant les terrains de sport de la cour de r�cr�ation napp�e d’asphalte. Adoss� au coll�ge, le quartier du Pont-du-Las joue aux boules en attendant un improbable tramway.

Un cas parmi d’autres

Pierre-Puget accueille quelques 850 �l�ves, de la 6e � la 3e, dans toutes sortes de classes parmi lesquelles des SEGPA et des sections sport. Ces adolescents viennent de Bon Rencontre, de l’Escaillon, du Pont-du-Las, parfois de la Beaucaire, quartiers o� le taux de ch�mage avoisine bien souvent les 25%.

Plus de soixante professeurs dont cinq rempla�ants, trois en compl�ments de service et trois vacataires exercent dans cet �tablissement, avec � leur c�t� six surveillants � temps plein, trois m�diateurs et trois contrats-uniques-d’insertion effectuant une vingtaine d’heures chacun, pour une moyenne de sept surveillants par jour et une conseill�re principale d’�ducation � temps plein, ainsi que deux � mi-temps.

Une infirmi�re est pr�sente au coll�ge deux jours complets par semaine ainsi qu’un mercredi matin tous les quinze jours. Interdit aux gamins de s’�corcher les genoux le mardi et le vendredi, l’infirmerie est ferm�e ! Dans les entreprises de service appartenant au secteur priv�, de 500 salari�s ou plus, il faut un infirmier pour une entreprise de 500 � 1000 salari�s et au-dessus, un infirmier par tranche de 1000 salari�s. C’est vrai, les coll�giens ne sont pas salari�s. Pas d’bras, pas d’chocolat !

Le co-psy [1], lui, vient une fois par semaine, le mardi, prenant en charge un gamin par heure. Il vient aussi toutes les 2 semaines environ, le jeudi ou le vendredi. Pour les plus pers�v�rants des enfants, le co-psy peut recevoir au CIO [2]. Reste � savoir o� se situe le CIO.

Depuis le d�but de l’ann�e scolaire en septembre 2009, et jusqu’en mars 2010, les professeurs du coll�ge Pierre-Puget ont r�pertori� 30 incidents graves � leurs yeux. 23 de ces incidents portent atteinte verbalement et/ou physiquement � la personne (tant l’enfant que l’adulte), et 7 autres portent sur des d�gradations mat�rielles. L’�chelle de gravit� est difficile � appr�hender : une �l�ve a bien mis feu � une porte mais c’�tait par l’inflammation de blanc correcteur ; un �l�ve a lanc� � la figure d’un adulte « Vous servez qu’� nous casser les couilles », mais dans quelle mesure ne traduit-il pas les r�sultats de la sociologie de l’�ducation [3] ou plus radicalement les id�ologies anarchisantes ? Et puis trente incidents r�pertori�s, �a p�se combien face au millier d’un lyc�e professionnel de banlieue parisienne [4] ? � moins que finalement, il n’y ait pas eu seulement 30 actes graves. D’apr�s le chef d’�tablissement de Pierre-Puget, il a �t� prononc� durant la m�me p�riode 386 jours d’exclusion, 99 avertissements, 14 commissions de vie scolaire et 7 conseils de discipline, le tout concernant environ 200 �l�ves.

La prise � partie d’une surveillante par une vingtaine d’�l�ves mit le feu aux poudres. Le 8 mars dernier, la jeune femme surveillait une salle de 60 �l�ves. Peut-�tre s’agissait-il pour l’administration du coll�ge de battre le record de productivit� des surveillants dans les �tablissements secondaires ? Peut-�tre ne savait-elle pas qu’un coll�ge n’est pas un lyc�e ? Toujours est-il qu’� la fin de l’�tude, apr�s avoir bataill� durant toute l’heure pour maintenir un minimum de calme, la surveillante fut accul�e contre le mur par des coll�giens qui avaient pris soin de fermer la porte pour exiger la restitution de leurs carnets de correspondance.

Une gr�ve et son enjeu m�diatique

Le personnel enseignant et le personnel de surveillance firent valoir un droit de retrait le lendemain matin de 8h � 9h. Panique dans l’administration, qui fit tout de m�me rentrer les �l�ves dans l’�tablissement alors qu’aucun adulte, si ce ne sont ceux du secr�tariat, n’�tait d�cid� � les prendre en charge. L’Inspection acad�mique fit remarquer aux professeurs avec une ironie bien sentie pour ce genre de situation, que le droit de retrait �tait individuel : s’ils refusaient de prendre les gamins � 8h il leur serait d�compt� une journ�e de gr�ve. C’est ce que choisirent de faire les enseignants, marquant ainsi leur double ras-le-bol, contre la violence dans le coll�ge et le m�pris de leur administration de tutelle.

Comment se faire entendre quand la hi�rarchie se bouche les oreilles ? Les enseignants n’ont pas encore la culture de la prise d’otage, ni celle du pneu br�l�, n’ont pas encore menac� de faire exploser un bahut. Pourtant, les profs d’EPS pourraient ligoter leur principal, ceux de fran�ais en profiteraient pour br�ler ces satan�s Lagarde-et-Michard, les professeurs de physique-chimie auraient de quoi faire monter la temp�rature en posant en �quilibre deux �prouvettes savamment dos�es. Non pas de �a chez eux, pas de violence physique ! Dans leurs t�tes de premiers de la classe, la lutte ne peut �tre l�gitime que si elle est rationnelle. Comme si le mouvement de col�re des personnels de Puget s’exer�ait raisonnablement !

Un bon moyen pour se faire entendre, c’est d’appeler les m�dias locaux. L’avantage, en plus, c’est qu’un m�dia mobilise plusieurs canaux. Prenez Var Matin. Trois journalistes sont envoy�s rapido : un prend des notes et r�dige selon le canevas-type son article, l’autre prend quelques photos avec un appareil num�rique et le dernier tourne un petit film. Tr�s vite l’information recueillie se trouve sur internet, texte et images � l’appui. Le lendemain, cela para�tra dans la version papier mais sans la vid�o, cela va sans dire.

Le rythme tr�pidant de l’info ne permet pas de creuser le sujet, surtout qu’il faut �tre � 10h � Berg pour assister � l’entra�nement du RCT, o� para�t-il un joueur a vomi sur la pelouse apr�s un plaquage trop appuy�. Quelques questions � la CPE (elle pr�sente les faits), � une parent d’�l�ve elle-m�me bouscul�e quelques temps auparavant (elle t�moigne de son v�cu), � une enseignante (elle analyse la situation) et une premi�re r�action de l’Inspecteur d’Acad�mie (qui promet des sanctions le matin, qui propose aux professeurs de r�duire les cours de 55 � 50 minutes l’apr�s-midi). Un vrai fait divers !

La photo elle-m�me sent le chien �cras�. Au premier plan, � gauche, le dos d’une femme blonde barr� d’un r�fl�chissant « POLICE MUNICIPALE ». Au deuxi�me plan, des coll�giens font face en balan�ant les bras fa�on rappeur, sautillent et se bousculent. Au fond, la voute m�tallique de l’entr�e du coll�ge.

Le reportage vid�o est, lui aussi, �difiant. Sur une minute cinquante, la police appara�t sept fois, entre les interviews d’une enseignante puis celle d’une parent d’�l�ve, comme pour ponctuer la narration et instiller une ambiance anxiog�ne. La professeur se plaint d’un manque de reconnaissance ; la maman avoue sa peur en l’�tendant � l’ensemble des acteurs avec en bruit de fond les �changes de jeunes turbulents dont on ne voit que les pieds.

Au final, journalistes et lecteurs restent hors du coll�ge, comme les �l�ves au matin du 9 mars 2010. Les probl�mes sociaux, eux, sont toujours dedans.




[1] Conseiller d’orientation psychologue.

[2] Centre d’Information et d’Orientation.

[3] Pour un tour d’horizon de la sociologie de l’�ducation, cliquez ici

[4] Lyc�e professionnel Auguste-Perdonnet de Thorigny-sur-Marne, LeParisien.fr, 21 janvier 2010.