Nucl�aire � l’arsenal de Toulon : tentative d’inventaire
Les cit�s se d�veloppaient nagu�re autour du ch�teau qui abritait le suzerain local, et dans lequel on se r�fugiait quand quelque barbare agressif venait � pointer le bout de son nez.
Toulon reste structur�e comme ces villes m�di�vales. Sauf que la forteresse qui prive les autochtones de pr�s de 80% de littoral ressemble moins � un donjon protecteur qu’au ch�teau de Kafka. Immuable, myst�rieux, secret D�fense. Un ch�teau (toujours) au coeur de l’�conomie locale, dont on longe les murs sans jamais plus y pr�ter attention. Un ch�teau industriel qui, par son statut militaire, �chappe aux plus essentielles normes industrielles.
Toulon est la seule ville fran�aise � pouvoir s’enorgueillir d’une activit� nucl�aire en son centre.
Anticipant la politique de pr�vention que la municipalit� ne manquera pas de mettre en place un de ces quatre, Cuverville prodigue un conseil aux riverains : gardez toujours vos lunettes de soleil sur vous. « Nous habitions tout pr�s du r�acteur. Je revois tout cela de mes yeux : une lueur framboise, flamboyante. Le r�acteur semblait �tre �clair� de l’int�rieur. Ce n’�tait pas un incendie ordinaire, mais une luminescence. C’�tait tr�s beau. Je n’ai rien vu de tel, m�me au cin�ma. Le soir, tout le monde �tait � son balcon. Ceux qui n’en avaient pas sont pass�s chez les voisins. On prenait les enfants dans ses bras pour dire : "Regarde ! Cela te fera des souvenirs !" Et c’�taient des employ�s de la centrale... Des ing�nieurs, des ouvriers, des professeurs de physique... Ils se tenaient l�, dans la poussi�re noire... Ils parlaient... Ils respiraient... Ils admiraient... Nous ignorions que la mort pouvait �tre aussi belle » [1].
Mais n’anticipons pas. Les possibilit�s de pollution par l’atome ne se limitent pas � l’activit� nucl�aire. Les rebus radioactifs issus de l’industrie militaire "classique" s’accumulent au fond des oubliettes de la forteresse toulonnaise, et on en conna�t � peu pr�s le d�tail. Car le minist�re de la D�fense fait parfois preuve de transparence et de bonne volont� comme en t�moigne l’Agence Nationale pour la gestion des D�chets RAdioactifs (ANDRA) : « les inventaires des arm�es, coordonn�s par le SPRA (Service de Protection Radiologique des Arm�es), traduisent au fil des ann�es la continuit� de l’effort men� par le minist�re de la D�fense pour une meilleure connaissance des mat�riels destin�s au rebut. En effet, la majorit� des d�chets [radioactifs] d�clar�s correspond � des mat�riels r�form�s dont les activit�s unitaires sont faibles. Il s’agit de boussoles au radium ou au tritium, d’�l�ments de dispositifs de vis�e nocturne, de tableaux de bord et cadrans lumineux divers, de tubes radar, de plaques luminescentes, d’alliages au magn�sium thori�, de d�chets divers de laboratoire » [2]. Le pr�fet maritime �tait m�me pr�t � soumettre les aiguilles fluorescentes de sa vieille montre Lip � l’analyse des experts, c’est dire.
« Par ailleurs, en dehors des petits mat�riels r�form�s, la DCN (Direction des Constructions Navales) signale � Cherbourg, Crozon (en face de Brest) et � Toulon les d�chets provenant de la maintenance des sous-marins et des installations de soutien � terre » [2]. Cette remarque m�rite quelques d�veloppements.
Une centrale nucl�aire dans les m�andres du ch�teau ?
L’arsenal toulonnais, base d’attache des 6 Sous-marins nucl�aires d’attaque "classe Rubis" (SNA) et du porte-avions Charles de Gaulle (PAN), pr�sente une infrastructure adapt�e � l’accueil et la maintenance de ces b�timents. Entre autres, des installations permettant de charger et d�charger le combustible nucl�aire des r�acteurs et d’�vacuer vers la grande bleue les indispensables eaux de refroidissement. D’o� son �tiquette d’ "Installation Nucl�aire de Base Secr�te" (INBS - Cette maladie des initiales !) [3]
Les SNA ne font pas partie de la force de frappe nucl�aire, au contraire des sous-marins lanceurs d’engins (SNLE) bas�s � Brest. Seule leur propulsion est nucl�aire. Datant du d�but des ann�es quatre-vingt, ils disposent de r�acteurs dits de seconde g�n�ration, quand les deux du PAN (un pour chaque h�lice), lanc� en 2000, sont de troisi�me g�n�ration.
Huit r�acteurs en tout : certains estiment que l’arsenal est ainsi comparable � la centrale de Gravelines qui en compte six. Mais le seigneur du ch�teau conteste ce parall�le en indiquant que les r�acteurs embarqu�s ne sont jamais simultan�ment pr�sents sur site.
L’ANDRA a r�cemment mis � jour l’inventaire g�ographique des d�chets radioactifs en France [4].
Le tableau ci-dessous reprend la fiche publi�e par l’agence pour l’arsenal toulonnais. Plut�t instructif, bien qu’il ne soit pas tr�s explicite sur la nocivit� des mat�riels [5]. Description : « les d�chets de proc�d� ainsi que les d�chets technologiques r�sultent des op�rations d’entretien ou de maintenance des sous-marins (essentiellement SNA) et du porte-avions � propulsion nucl�aire ; les d�chets divers r�sultent des op�rations d’entretien ou de d�mant�lement de l’ensemble de la flotte. La DCN assure le regroupement de l’ensemble de ces d�chets ». Remarque : le label "non g�r�" pointe des d�chets pour lesquels aucune fili�re de gestion n’a encore �t� envisag�e.
Nature
des matériels
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Activité
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Nucléide
majeur
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1 - Déchets technologiques (maintenance)
|
|
|
3
fûts de 200 litres de liquides divers
(produits chimiques, huiles, graisses)
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?
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Ag 110, Co 60, Cs 137
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170
fûts de 200 litres d’équipements de protection pour la
maintenance
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<
10 GBq
|
Ag 110, Co 60
|
2
fûts de 200 litres de déchets solides et liquide (acide
borique ?) - Non
géré
|
?
|
Ag 110, Co 60
|
67
fûts de chiffons, peintures et éponges
|
?
|
Ag 110, Co 60, Cr 51
|
Thermocouples
de fond de cuve SNA, conditionnés dans des poubelles de
décroissance (protections plombées) - 18 pièces
|
?
|
Co 60
|
Pièces
métalliques (1 conteneur "open top" de 12 m3)
|
?
|
?
|
Calorifuge
contenant de l’amiante (1 caisson de 10 m3)
|
?
|
?
|
10
fûts de 200 litres de boues (nettoyage des cuves)
|
?
|
Co 60
|
Boues
constituées d’absorbants mélangés à de
l’huile (2 fûts de 200 litres)
|
?
|
?
|
Déchets
métalliques divers (5 fûts de 200 litres)
|
?
|
Ag 110, Co 60
|
Ciment,
peinture, agglomérés (5 fûts de 200 litres) - Non géré
|
?
|
?
|
Peinture
au tritium - Non
géré
|
?
|
H3
|
2 - Déchets de procédé
|
|
|
10
fûts de résines échangeuses d’ions (2000 litres)
|
120
GBq
|
Ag 110, Co 60, Mn 54, Sb
124
|
2
fûts de filtres et flexibles (400 litres)
|
?
|
Ag 110, Co 60
|
Filtres
d’épuration d’eau, déposés dans 3 fûts de
200 litres (29 pièces)
|
?
|
Ag 110, Co 60
|
3 - Déchets solides et liquides divers
|
|
|
10371
plaques radioluminescentes en fûts - Non géré
|
55 TBq
|
H3
|
48
plaques radioluminescentes - Non
géré
|
120
MBq
|
Ra 226
|
83
tubes électroniques - Non
géré
|
<
1 MBq
|
Ra 226
|
Sources
de contrôle (407 pièces) - Non géré
|
15 MBq
|
Ra 226
|
DCN Toulon - Mise à jour : juin 2003
Les travaux de l’ANDRA ne concernant que les d�chets, on ne s’�tonnera pas si le tableau occulte le combustible utilis� dans les r�acteurs. « Nous disposons de tr�s peu d’information concernant le combustible des navires militaires, dont les chaufferies sont toutes de type REP (R�acteur � Eau Pressuris�e) ; mais il semble que la marine a utilis� du combustible divers, � l’uranium de faible et de haut enrichissement [...] Les sous-marins nucl�aires d’attaque utilisaient, au moins pour un temps, le combustible Caramel (un combustible � faible taux d’enrichissement). Nous ne savons pas si les SNA continuent � utiliser ce combustible. Technicatome cherche actuellement � d�velopper un combustible pour sous-marins qui contiendrait de l’uranium enrichi au m�me niveau que le combustible � l’oxyde d’uranium utilis� dans les r�acteurs � production d’�lectricit�, soit environ 3,25% d’uranium 235. [...] Ce combustible servirait aux sous-marins de la future cat�gorie Barracuda des SNA. Il est difficile de savoir avec certitude si le combustible enrichi au niveau commercial est d�j� utilis� dans le porte-avions Charles-de-Gaulle, qui fait partie de la nouvelle g�n�ration. [...] Le Commissariat � l’Energie Atomique (CEA) lui-m�me est responsable du d�veloppement et de la fabrication du combustible. La ma�trise d’oeuvre industrielle de la propulsion nucl�aire �tait assur�e avant 1974 par son d�partement de propulsion nucl�aire ; depuis, il est assur� par sa filiale Technicatome » [6].
A noter : depuis 2001, les r�acteurs de la propulsion nucl�aire ne sont plus hors r�glementation. Ni "INB" ni "INBS", on leur a coll� le tampon "SNM" : "syst�mes nucl�aires militaires". Le d�cret n° 2001-592 "relatif � la s�ret� et � la radioprotection des installations et activit�s nucl�aires int�ressant la d�fense" dit, dans son article 18, que « les services d�sign�s par le ministre de la d�fense [...] constituent un dossier exposant les dangers inh�rents � ce type de syst�mes, analysant les risques qu’il pr�sente et proposant les dispositions � prendre pour pr�venir tout accident et en limiter les effets �ventuels.
Ce dossier comprend :
1° Un rapport pr�liminaire de s�ret� ;
2° Les prescriptions de s�ret� nucl�aire et de radioprotection auxquelles devront se conformer les services dans l’exploitation des syst�mes de ce type ;
3° Les �tudes de site et d’impact sur l’environnement et les populations, relatives � leurs lieux habituels de stationnement. » De plus, « lorsque les lieux pr�vus pour le stationnement habituel de ces syst�mes sont proches d’une installation nucl�aire de base secr�te, les �tudes de site et d’impact sont compl�t�es par l’�tude des risques induits par cette proximit� ; elles indiquent les mesurespr�ventives correspondantes ».Malheureusement, l’article 23 cl�t le d�bat en pr�cisant que « les syst�mes nucl�aires militaires existant ant�rieurement � la publication du pr�sent d�cret sont soumis � ses dispositions dans un d�lai de deux ans. Les autorisations de r�alisation et les d�cisions de mise en service d�j� d�livr�es n’ont pas � �tre renouvel�es ». Les SNA et le PAN, lanc�s avant l’�laboration du d�cret, peuvent donc ronfler tranquilles.
Dans une deuxi�me partie, nous nous int�resserons � la "simulation d’incidents", � la pr�vention et � l’information du public.
Tiens, � ce sujet, reprenons cette photo publi�e dans le journal municipal de la ville de Toulon en septembre 2004 - « Un chantier d’envergure pour l’�quipement qui faisait d�faut � Toulon » :
On remarquera que le quai Missiessy, o� sont amarr�s les SNA et leurs r�acteurs, se situe � une centaine de m�tres des gradins du futur palais omnisports de la ville. Capacit� : 5000 personnes. Un bel endroit d’o� admirer une lueur framboise jamais vue au cin�ma.
[1] La supplication - Tchernobyl, chronique du monde apr�s l’apocalypse, Svetlana Alexievitch, Jean-claude Latt�s 1998.
[2] R�trospective sur l’�tat et la localisation des d�chets radioactifs depuis 10 ans, observatoire de l’ANDRA 2001.
[3] INB : Installation Nucl�aire de Base : r�acteurs nucl�aires � l’exception de ceux qui font partie d’un moyen de transport, acc�l�rateurs de particules, usines de s�paration/fabrication/transformation de substances radioactives, installations destin�es au stockage des substances radioactives. Lorsqu’une installation nucl�aire est class�e en INB, elle est soumise � des proc�dures et � un syst�me de contr�le fix� par d�cret. Mais ce d�cret (63-1228, 11 d�cembre 1963, version consolid�e au 26 f�vrier 2002) stipule que « les installations nucl�aires de base int�ressant la d�fense nationale, class�es secr�tes [INBS] par le premier ministre sur proposition du ministre de la d�fense ou du ministre charg� de l’industrie, cessent d’�tre soumises, � compter de la d�cision de classement, aux dispositions du pr�sent d�cret »...
[4] La brochure consacr�e aux d�chets en r�gion Paca, qu’ils soient d’origine industrielle, m�dicale ou militaire, se trouve sur le site de l’ANDRA. On trouvera de tr�s utiles compl�ments dans le cahier n°2 de l’Observatoire des armes nucl�aires fran�aises : les d�chets nucl�aires militaires, 2000.
[5] Le becquerel, fut-il quantifi� en tera - million de millions -, ne permet pas de mesurer l’impact du poison atomique sur l’organisme. La dangerosit� vient de l’activit� du nucl�ide, mais aussi du type de rayonnement et du temps d’exposition de l’organisme � la saloperie. On peut toutefois classer les radio�l�ments selon leur toxicit� :
Groupe 1 - très forte radiotoxicité |
p�riode |
rayonnements
|
Radium 226 - Ra 226 |
1600 ans |
α et γ |
Groupe 2 - forte radiotoxicité |
|
|
Argent
110 - Ag 110
|
248
jours
|
γ |
Cobalt 60 - Co 60 |
5,2 ans |
β et γ |
Thorium
232 - Th 232
|
14,1
milliards d’années
|
α et γ |
Groupe 3 - radiotoxicité modérée |
|
|
Césium 137 - Cs 137 |
30,1 ans |
β et γ |
Manganèse 54 - Mn 54
|
312
jours
|
γ |
Antimoine 124 - Sb 124
|
60
jours
|
β et γ |
Groupe 4 - faible radiotoxicité |
|
|
Chrome 51 - Cr 51
|
2,7
jours
|
γ |
Tritium - H3 |
12,2 ans |
β |
Uranium 235 - U 235
|
700
millions d’années
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α et γ |
La p�riode ou "demi-vie" d’un �l�ment indique le temps qu’il faut pour que le nombre d’atomes radioactifs de l’�l�ment diminue de moiti�. Les rayonnements α sont tr�s dangereux mais tr�s peu p�n�trants, ils peuvent �tre absorb�s par une feuille de papier. Les rayonnements β sont p�n�trants, une feuille d’aluminium de quelques millim�tres d’�paisseur peut les absorber. Enfin, les rayonnements γ sont tr�s dangereux et tr�s p�n�trants : pour y �chapper, pr�voyez quelques d�cim�tres de plomb ou m�tres de b�ton.
[6] La France nucl�aire, mati�re et sites, Mary Bird Davis, �dition Wise-Paris 2002.
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